Peu connus, les commissaires sont pourtant des maillons essentiels des courses cyclistes, dont ils assurent le respect des règles, quitte à froisser les coureurs et directeurs sportifs.
C'est un bruissement qui agite le peloton à l'issue de la première étape du Tour Poitou-Charentes, à Périgny, mardi 23 août. Un danger flairé instinctivement par les coureurs. Le troisième du sprint, le très prometteur Paul Penhoët de la Groupama-FDJ, serait déclassé. La vidéo, tournée depuis l'hélicoptère a été remontée aux commissaires, qui scrutent, image par image, l'arrivée au sprint. Le couperet finit par tomber. Coupable d'une "manoeuvre d'intimidation", le jeune coureur perd sa troisième place et écope d'une amende. "J'ai frotté un UNO-X qui vient me serrer sur la droite, concède, amer, le jeune sprinteur le soir même. Apparemment c'est ce geste-là qui m'a déclassé, c'est comme ça, j'y peux rien…"
Le lendemain matin, sur le village départ, le sort veut que la tonnelle réservée aux commissaires jouxte celle… des gendarmes. Eux aussi ont un gyrophare, à la différence que le leur est rouge. Leur loi, c'est le règlement des courses cyclistes. Ils sont sept à sillonner les routes du Tour Poitou-Charentes, dans l'ombre des coureurs. "Beaucoup de gens ne savent même pas qu'on existe, sourit le président de jury, Philippe Mariën. Pourtant je pense que c'est important d'expliquer ce qu'on fait." Les relations peuvent parfois être tendues avec les coureurs et leurs directeurs sportifs. A l'évocation de ces rapports empreints de "je t'aime moi non plus", Philippe Mariën se raidit. "C'est nous qui décidons ; quand on regarde les images d'un sprint, ils n'ont qu'à attendre. On ne peut pas plaire à tout le monde, il faut parfois être méchant." A peine achève-t-il sa phrase qu'un commissaire l'attrape par le bras : "allez, il faut qu'on aille vérifier un vélo avant le départ".
S'il aime parler de son métier, sur le village départ de Périgny, téléphone à l'oreille, le Belge peine pourtant à convaincre l'Union cycliste internationale (UCI) d'ouvrir ses portes. La justice se rend dans l'ombre, qu'elle soit le fait de jurés dans un procès ou de commissaires de l'UCI sur une course. Le verdict des jurés tombe, pour nous cette fois : impossibilité d'accompagner les arbitres dans leur véhicule. Ce sera donc de la voiture du directeur adjoint de la course qu'on assistera à un drôle de bal. Avec ses pas bien cadencés, son tempo particulier. Si une échappée dépasse la minute, la voiture des commissaires se positionne derrière et scrute le comportement des coureurs. L'arbitre, juché sur la moto, casque rouge sur le crâne, fonce ensuite sur les lignes de sprint intermédiaire pour attribuer les points. Caméra au poing, au cas où cela se jouerait à la photo finish. Une fois la ligne franchie, il enfourche sa moto et file.
Sur une course, tout passe par les commissaires. Toute info concernant la course, demande d'équipe pour ravitailler un coureur, assistance médiale, chute, est remontée jusqu'au centre névralgique : la voiture du président de jury. Ce dernier dispose d'un canal radio pour parler à ses comparses. Mais, paradoxalement, la fréquence reste relativement silencieuse. "Ils se parlent plutôt par téléphone pour garder la confidentialité", explique Nicolas Rougeon, le directeur adjoint de la course, tandis que défilent les paysages de Charente-Maritime. L'ombre, toujours. Jusqu'à la couleur de la voiture des deux commissaires qui observent en détail le passage de bidon de l'équipe Nice Métropole Côte d'Azur à son coureur Andréa Mifsud, bras désespérément tendu. Mais pas d'infraction relevée cette fois. "Ils sont sages", envoie par message Philippe Mariën, depuis sa voiture. Il en a vu d'autres, lui qui était président de jury du Tour de France lors de l'exclusion du médiatique sprinteur slovaque Peter Sagan, en 2017, pour un coup de coude.
Pourtant, derrière cette image de durs du peloton, capables de faire tomber une lame froide sur les espoirs de coureurs échaudés par l'effort, se cachent avant tout des passionnés. Non professionnels, beaucoup ont un emploi et consacrent leurs congés à leur passion, quitte à ce que cela empiète sur leur vie personnelle. Le ton est moins martial quand Philippe Mariën retrace son parcours. Le vélo, il l'a épousé à l'été 1979, en Belgique, devant sa télé branchée sur le Tour de France. Deux ans plus tard, il devient indicateur sur une petite course régionale de chez lui, où il se rend à vélo. "Ils cherchaient plein de jeunes pour devenir commissaires, et ça s'est fait doucement."
Pendant un peu moins de 20 ans il va gravir les échelons, jusqu'à devenir commissaire UCI. Fini le temps des petites courses d'outre-Quiévrain rejointes à bicyclette. C'est en avion désormais qu'il part arbitrer les plus grosses courses de la planète. "J'ai découvert le monde grâce à ça : le Japon, la Malaisie, les Etats-Unis." Une vie menée avec le règlement dans une main, mais la passion dans l'autre.