Epreuve à part, le contre-la-montre est un moment clef du Tour, loin d'être évident. Nous en avons emprunté le tracé avec les coureurs... mais à moto.
Clac, clac, clac, clac... "Allez, les F1 sont lâchées", s'amuse un amateur de vélo devant le bus de l'équipe espagnole Kern Pharma, jeudi 25 août, quelques minutes avant le départ de la quatrième étape. Ces "F1", ce sont les vélos de contre-la-montre, racés, dotés d'une roue pleine à l'arrière et de poignées avant, qui leur donnent de faux airs de cornes. Devant le bus de la Bingoal Pauwels Sauces, Bartholo s'affaire, outils à la main. Le mécanicien cajole l'une de ces bêtes de vitesse. "Toutes ces spécificités, c'est pour l'aérodynamisme, détaille-t-il, l'oeil rivé sur une vis de poignée récalcitrante. C'est recherché dans les labos pour gagner des secondes au kilomètre."
Partout les coureurs s'échauffent devant ces grosses bêtes, qui semblent paître avant de rugir. Mais pour pouvoir ruer sur la route, pas encore détrempée par le ciel menaçant, les commissaires de l'UCI vérifient leur pedigree, juste avant la ligne de départ. Poids, conformité aux règlements, les vélos de contre-la-montre sont scrutés.
Une fois leur conformité au "LOF" des vélos validée, les coureurs les enfourchent. Pour dompter de telles créatures, ils se parent de casques eux-mêmes aérodynamiques. 15 heures, il est temps de s'élancer, un à un. Cinq bips courts, un bip long. C'est parti.
15 heures, c'est aussi l'heure de la pluie. Cela commence à tomber dru, dur de garder les yeux ouverts tandis que le coureur, regard abrité sous sa visière pousse fort. La chaleur emmagasinée par le bitume surchauffé vaporise la pluie, comme si les naseaux de ce vélo à cornes libéraient un souffle.
Romain Cardis, de la Saint-Michel Auber 93 atteint plus de 65 km/h devant la voiture de son directeur sportif. Couché sur son vélo, le buste ne bouge pas, cramponné qu'il est aux poignées qui lui transmettent les cahots de la route. Il continue d'accélérer. De la brume au loin, émerge déjà un groupe. Des coups de klaxons répétés. C'est Stéphan Gaudry, le directeur sportif qui s'agace au volant. Une moto de la sécurité perturbe son coureur à l'entrée de Château-Larcher. C'est que Cardis a déjà fait la jonction avec son prédécesseur, Willie Smith (China Glory), non doté d'un vélo de contre-la-montre. Il prend l'aspiration dans la descente, le compteur frise maintenant les 70km/h, tandis que la pluie tombe franchement. Quelques virages en S sur cette route détrempée ; le souffle se coupe, candidement, devant la scène. Mais Cardis passe et attaque désormais la montée, laissant derrière lui le coureur de l'équipe chinoise.
Plus loin, Pierre Gautherat, pas un spécialiste de ce type d'épreuve, perd pied. Sans doute ne voit-il déjà plus le panneau annonçant les cinq derniers kilomètres, tant l'effort le fait grimacer. Il achèvera ce contre-la-montre à la 72e place, à plus de trois minutes des monstres de la discipline. Car c'est l'une de ses spécificités : ces bêtes de course ont leur jockey, et certains murmurent mieux à leur oreille.
C'est le cas des principaux favoris, Stefan Küng (Groupama FDJ), vainqueur du jour ou son lauréat Pierre Latour (Total Energies) ou encore Benjamin Thomas (Cofidis), les deux derniers ayant été champions de France de la discipline. "J'avais repéré l'étape hier soir, souffle le Suisse, nouveau maillot blanc de la course. Il fallait forcer jusqu'au bout. J'étais favori, mais il fallait rester concentré." Il l'a été. Grâce à sa connaissance de sa monture, il s'est offert le maillot blanc de leader et a pris une option sur la victoire finale.