Nos campagnes sont-elles en train de se repeupler ? Il est trop tôt pour parler d’exode urbain, mais le coronavirus, le confinement ont accentué cette tendance. Chaque année, près de 100 000 Français quittent la ville pour s’installer au vert. Rencontre avec celles et ceux qui ont fait le pas !
Béret et grand manteau de tweed, le photographe Julien Lecomte-Elka arpente les brandes de Montmorillon avec son matériel de prise de vues et toujours avec style. Finis les mannequins et les shootings de mode qui lui faisaient courir la capitale. Ce conservatoire des espaces naturels, ses hautes herbes, ses buissons constituent désormais son terrain de jeu favori. Le Parisien a choisi l'est de la Vienne comme nouveau cadre de vie depuis quatre ans déjà.
Ouvrir une fenêtre de liberté
"Certains appelleront ça la crise de la quarantaine, c'est vrai que c'est un virage énorme, qui s'est fait très brutalement mais qui était nécessaire. Je crois aux signes. Quand les planètes s'alignent, il faut savoir saisir ça. C'était le bon moment pour moi et je ne regrette pas du tout mon choix !" commente-t-il aujourd'hui.
Le quadragénaire a fait comme un saut dans le vide. Tout avait commencé par un bon plan. Il avait une énorme commande publicitaire à honorer : une grande marque de spiritueux le sollicite pour des photos de produits. Les bouteilles, les reflets... Ce genre de travail demande du temps, la mise en place d'un éclairage très soigné, et d'un décor impeccable. Toutes choses qui nécessitent aussi de l'espace ou beaucoup d'argent. Plutôt que de se ruiner dans la location d'un studio professionnel en région parisienne, ou de devenir fou à transformer quotidiennement les quelques mètres carrés de son appartement, il part au Blanc, dans l'Indre, profiter de la maison prêtée par un ami.
Une opportunité bienvenue car Julien commençait à caresser l'idée de quitter la capitale et y voit là une occasion de tester la vie en région avant de rejoindre la Normandie. Le déclic de son départ était né quelque temps auparavant. "Quand j'ai découvert que le photographe américain dont j'adore le travail sur les produits vit dans une ferme, retiré de tout, là je me suis dit, il a tout compris le gars... Il peut travailler de n'importe où, il n'a même pas besoin de le dire à ses clients !" S'ouvre alors dans son esprit une possible fenêtre de liberté.
C'était vide de sens et exténuant.
Julien Lecomte-ElkaPhotographe professionnel
Cette envie coïncide aussi avec une grande fatigue professionnelle. "J’arrivais à un moment de ma vie où j’avais fait le tour, il y avait un tel décalage entre le réel que je vivais au quotidien et ce que je vendais dans mes photographies que je ne m'y retrouvais plus !".
Pendant ce premier séjour en province, le confinement est décrété... Julien sillonne la région, se met à travailler sur les paysages et lance de sérieuses recherches immobilières. Il a alors un coup de coeur pour une belle maison de ville de Montmorillon, ses hauteurs sous plafond et son jardin étagé, 40 000 euros. Des prix de l’immobilier très loin des standards parisiens.
Je ne pensais pas devenir propriétaire avec un budget pareil. A Paris, j’avais un abri à vélo.
Julien Lecomte-ElkaPhotographe professionnel
Ne plus subir
Depuis, ici, en bord de Gartempe, il a su pêcher des collaborations plus locales et développer son regard personnel sur la nature qui l’entoure. Il poursuit néanmoins, en télétravail en quelque sorte, des missions pour ses clients parisiens. Une nécessité financière, mais opérée dans un contexte très différent : "J’ai la place ! J'ai des pièces qui me permettent de tout laisser en plan pendant trois jours, parce que j'ai un produit compliqué à photographier. C'est un vrai confort, je ne subis plus."
Autres avantages non négligeables, l’argent de ses cachets ne s’envole plus dans un loyer et des frais mirobolants et Julien ne dilapide plus son énergie, il a quitté le rythme effréné de la capitale, sans regrets. "Les premiers temps j'ai eu l'impression d’être en vacances, et puis au bout d'un moment, on n'a plus envie de sortir des vacances. C'est une qualité de vie à laquelle je ne renoncerais pas aujourd'hui."
Pour mieux s’enraciner dans ce territoire où il débarque sans connaître personne, Julien a la bonne idée de se faire correspondant de presse, ça l'aide à identifier plus rapidement les acteurs clés du secteur, les personnes à contacter pour monter des projets, des expositions (qu'il multiplie d'ailleurs). Aujourd’hui, il est bien entouré.
J'ai noué de nouvelles amitiés, énormément. Il y a même quelqu’un dans ma vie, que j'ai rencontré ici, donc c'est très positif !!!
Julien Lecomte-ElkaPhotographe professionnel
Et à la question de savoir si Paris lui manque, Julien nous répond dans un sourire : "Pas vraiment. J’ai vraiment trouvé ma place, ma vie est ici maintenant".
De Paris à Montmorillon, la greffe a visiblement réussi pour Julien. Il est un néo-rural assumé, et épanoui.
"Ce n’était pas prévu..."
Pour les Frères Hachmi, pomiculteurs à Sablonceaux, plus que d'une greffe, il serait peut-être plus judicieux de parler de ré-implantation. À peine sortis des études, en recherche de leurs premières situations, ils se sont trouvés face à une occasion trop tentante. Le verger possédé par leurs grands-parents est à prendre. Le fermier qui l'exploitait partait en retraite. Nés avec seize mois d'écart seulement, les deux jeunes hommes, plus faux jumeaux que frères, rêvent de monter une entreprise ensemble.
Il y a quatre ans, c'était la première fois que je montais sur un tracteur. Bon, après, on s'y fait, c'est devenu le quotidien !
Soufiane HachmiCo-gérant des Vergers de Biguenet
Sauf qu'à ce moment-là de l'histoire, nos Poitevins n'ont pas vraiment fait les études adaptées. Management international pour l'un, énergies renouvelables pour l'autre. Ils ont grandi dans le quartier des Trois-Cités de Poitiers, leurs compagnes sont des citadines elles aussi. Ils sautent le pas tout de même, et emmènent tout le monde derrière eux.
C'est un pari de vie, on se bat tous les jours pour le gagner.
Issam HachmiCo-gérant des Vergers de Biguenet
Avant de se lancer, ils passent leur BPREA, Brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole. Et au début, ils s'installent tous les deux à Saintes. Mais c'est un peu loin pour surveiller le verger. La famille d'Issam habite désormais sur place. Soufiane lui fait toujours les vingt minutes de trajet tous les jours, une sorte d'exode urbain quotidien. Comme il s'occupe plus du volet administratif, sa présence en ville reste utile.
Se ménager du temps...
Pour Soufiane, ville et campagne ne sont d'ailleurs pas à opposer. "Citadins ou campagnards, les deux ne sont pas incompatibles ! On peut très bien vivre et travailler dans les deux. Je suis plus ici au travail que chez moi en ville. Pour autant, j'ai toujours cette part-là en moi."
C'est plus le poids de l'activité agricole qui joue. "On n'est pas à 35 heures par semaine, donc forcément, les relations sociales en pâtissent, dans le foyer forcément. Depuis qu'on est dans l'agriculture, on comprend davantage le nombre de divorces qu'il peut y avoir, l'éclatement dans les familles. Mais on travaille pour notre famille, il ne faut pas perdre de vue cette chose-là. En gérant à deux, on arrive à se prendre des vacances de temps en temps, à se dégager du temps personnel, pour le sport, les loisirs.
Les anciens étaient sur le tracteur du lundi au dimanche, nous c'est un peu moins notre philosophie de vie, peut-être parce qu'on est citadins de naissance, mais je pense aussi de part notre nouvelle génération, plus encline aux loisirs, au temps personnel.
Soufiane HachmiCo-gérant des Vergers de Biguenet
Difficile de faire fructifier l'argent
Aujourd'hui, ils sont à la tête de sept hectares de pommiers, convertis en bio par leurs soins, et désormais labellisés. Mais la rentabilité reste fragile, ils essaient de combler la saisonnalité de leur culture en se diversifiant, paniers de légumes, confection de jus de pommes, compotes. Les derniers fruits étant vendus en mai et les premiers récoltés fin août, début septembre. Il faut trouver de quoi tenir pendant ce creux.
"On a commencé dans ce milieu on n'y connaissait pour ainsi dire rien. Il y a toujours ce petit syndrome de l'imposteur mais j'ai la conviction qu'on fait les choses bien." Soufiane se pose beaucoup de questions. Il se sent néanmoins à sa place.
Publication de vidéos, animation d'une page Facebook, cueillette avec le public ouverte le week-end, les deux frères insufflent leur touche de modernité à leur activité agricole mais savent apprécier aussi le rythme et la proximité de la nature.
Seule ombre au tableau, et non des moindres, jusque-là, aucun des deux frères ne touche de salaire. Tous leurs bénéfices sont réinvestis.
"C'est un plaisir de pouvoir travailler sur notre exploitation, dans notre verger, mais l'équilibre n'est pas facile à trouver" concède Issam.
Pour l’instant, ce sont nos compagnes qui subviennent aux besoins du foyer, on espère que ça va s’inverser bientôt !
Soufiane HachmiCo-gérant des Vergers de Biguenet
Nos jeunes néo-ruraux sont encore dans un entre-deux. Une fois à maturité et productives, leurs nouvelles plantations changeront peut-être l’équation financière.
Entre larmes et sourires
Mais pour Pascale Sagnier, néo-rurale venue de Paris il y a quatre ans, c’est déjà le décompte final. Il lui faut fermer boutique. Elle avait acquis une grande maison à Arvert, tout près de la côte sauvage, et l’avait transformée en magasin de décoration. En pleine pandémie de Covid, l’ex-graphiste investit, avec son mari, près de 300 000 euros pour rénover cette belle demeure et y développer le concept d’une maison où l'on peut tout acheter, la décoration et les meubles. "Parfois je trouvais les clients installés dans le canapé, à papoter, j’adorais ça. C'était différent d'une boutique traditionnelle."
Aujourd'hui, elle range sa caisse dans des cartons, décroche la cloche de sa porte, alterne entre larmes et sourires. La liquidation s’est imposée, Pascale n’arrivait à se dégager que six cents euros par mois.
On a tout quitté pour ça, il a fallu prendre une décision, on l’a prise. Il fallait éviter de se couper un bras, on n'a que coupé la main !
Pascale SagnierGérante de la Maison 7
Reste le problème de l’emprunt qui court toujours. La maison est donc à vendre.
"Beaucoup me disent que c'est l'emplacement. J'ai réfléchi peut-être plus comme une Parisienne, peut-être qu'en campagne, les gens n'ont pas les mêmes priorités. Ils mettent beaucoup de temps. D'autres me disent que c'est le concept ou la conjoncture. J'ai commencé avec le Covid, et ensuite ça a été la guerre, donc les problèmes d'énergie, les gens n'avaient plus d'argent pour acheter de la déco, la priorité c'était de remplir le panier de courses, pas la déco. Tout s'est enchaîné pour que ça ne fonctionne pas."
Pascale s'interroge, culpabilise un peu. Et sa nature positive reprend le dessus, l'énergie revient. Bien décidée à continuer de l'avant, elle essaye de prendre tout ça avec philosophie.
Sans regret
Être zen, c’était justement l’espoir de départ, de leur départ. Pascale et Jean-Michel, presque sexagénaires avec chacun trente ans de carrière dans une même entreprise, ne supportaient plus ni le rythme, ni le quotidien de leur vie en banlieue.
Assis autour d'un café, dans leur salle à manger avec vue sur un champ, et la Seudre qui scintille au loin, ils se demandent encore pourquoi ils ne sont pas partis plus tôt. Jean-Michel est dégoûté, rien que d'en parler : "La vie parisienne, ça devenait de plus en plus dégueulasse dans le quartier où on était".
Pascale confirme. "Le travail qui vous bouffe, qui vous rend malade, parce que tous les six mois, j'étais hospitalisée (quatre fois en deux ans)... C'est aussi pour ça qu'on a pris cette décision et depuis que je suis là, tout va bien !"
Ils racontent aussi la lassitude des trajets. Un concert à Paris ? Plus de temps passé dans les embouteillages qu'à écouter la musique... Sortir le week-end ? Plus aucune énergie pour ça. Désormais retraité, Jean-Michel découvre la "joie simple" de rentrer son bois pour l'hiver. Il peut le faire en trois jours si ça lui chante.
Pour rien au monde, je ne retournerai dans la jungle des grandes villes !
Jean-Michel SagnierNéo-rural retraité
La sérénité... et les huîtres !
Sans ancrage familial en Charente-Maritime, Jean-Michel et Pascale goûtent ici chaque jour à des plaisirs minuscules, et majuscules. Les sentiers du bord de mer, des animaux en liberté dans les bois, croisés de nuit, en voiture au retour d'une soirée chez des amis, et jamais vus jusque-là... Pour Pascale, la fleur de béton, née et grandie en région parisienne, le "choc" est venu de l'un des arbres de son jardin : une prune croquée tout juste cueillie, chauffée par le soleil.
Quand on leur demande ce qu'ils ont trouvé ici, la réponse fuse pour elle : "La paix et la sérénité, et ça, ça n'a pas de prix !" Jean-Michel, lui, cite, avec un sourire gourmand, les huîtres.
Mais tous deux sont catégoriques. Dans ces conditions, et en dépit du contexte financier et professionnel incertain de Pascale, hors de question de retourner à Paris… Ils se sentent plus ruraux qu'urbains maintenant. Leur réussite est là.
Un reportage vidéo à retrouver le mercredi 30 octobre en deuxième partie de soirée dans votre magazine de société Enquêtes de Région sur france.tv.