Yannick Bestaven, le marin qui a toujours cru en son étoile

Alors que beaucoup le présentaient comme un outsider de ce neuvième Vendée Globe, le skipper rochelais, lui, avait, dès le début, affiché ses prétentions. Cette victoire concrétise le parcours unique d'un marin pas comme les autres dans le monde de la course au large.

C'était le 30 octobre 2001 dans la baie de Tous les Saints à Salvador de Bahia. Un certain, Yannick Bestaven franchissait la ligne d'arrivée de la Mini-Transat sur Satanas, sa coque de noix de 6m50 (son copain Arnaud "Cali" Boissières avait construit le même, "Diabolo"). C'était aussi au milieu de la nuit, mais la température, évidemment, était un peu plus acceptable qu'hier soir aux Sables d'Olonne. Mais comme dans cet incroyable dénouement de cet inédit Vendée Globe, Yannick, contre toute attente, gagnait la deuxième étape de la course avec 17 minutes et 20 secondes d'avance sur l'Irlandais Brian Thomson. Un petit quart d'heure d'écart après 18 jours en mer entre La Rochelle et le Brésil. C'était il y a vingt ans.

Bestaven a la fâcheuse manie de ne rien lâcher.

Qui s'en souvient ? Lui sans aucun doute. Cela peut certes sembler anecdotique, alors qu'à 48 ans, le Rochelais vient de remporter la reine des courses au large. Pourtant, pour ceux qui le connaissent bien, c'est assez emblématique pour ne pas dire symptomatique du bonhomme ; Bestaven a la fâcheuse manie de ne jamais rien lâcher. "Pen Kalled", tête dure, dirait-on s'il était né au Nord de la Loire, ce qui est d'ailleurs le cas. Mais n'en déplaise à certains de nos confrères parisiens, Saint-Nazaire est dans le département de Loire Atlantique, le marin a grandi à Arcachon et il habite à La Rochelle depuis bien longtemps. Donc, il a peut-être beaucoup de défauts mais pas celui d'être Breton. 

Obstiné, opiniâtre, têtu, ça, c'est sûr. Sa soeur Emma se souvient par exemple chez nos confrères de Ouest France qu'il s'était construit son propre kayak, un surf des sables pour glisser sur les aiguilles de pain ou bricoler un gréement sur une planche à roulette pour "jiber" sur les parkings de supermarché. Evidemment licencié au Cercle de Voile d'Arcachon, c'est sur le bassin qu'il fait ses armes avec Cali donc, Jean-Marie Dauris, son bras droit sur Maître Coq, et c'est là qu'il va également croiser des navigateurs comme Yves Parlier. En 1999, il s'engage sur sa première Mini-Transat. Une course qui lui permettra donc deux ans plus tard d'inscrire une première ligne sur son palmarès. Qui peut douter alors qu'il n'a déjà pas dans un coin de sa tête le Vendée Globe ?

Une figure de La Rochelle.

Très vite donc, le skipper choisit La Rochelle comme port d'attache et on ne le croise pas que sur les pontons des Minimes. Au-delà du cercle des "voileux", il devient une figure de la ville que l'on peut aborder sans problème dans certaines tavernes de Tasdon, l'ancien quartier cheminot, mais aussi dans les travées du stade Marcel Deflandre pour supporter les rugbymen jaune et noir. Avec d'autres skippers, il a de grandes ambitions pour la cité huguenote. Déjà, il oeuvre pour que le port charentais reste une place forte de la course au large.

La première association que l’on avait montée de coureurs en solitaire pour préparer les Minis s’appelait Voile Solitaire 17 et, toute cette équipe - Yannick, Cali, Benoit Parnaudeau… - a ensuite monté Quai 17. Ça nous permettait d’avoir un chantier à nous, de mutualiser les outils parce qu’avant chacun préparait son bateau dans son coin. Ça nous permettait aussi d’être plus représentatifs pour avoir, par exemple, des places au port. C’était à La Pallice dans un local de la DDE où on ne payait même pas l’électricité ! A l’époque, il était déjà un favori dans la classe Mini.

Richard Mérigeau, skipper

Ce credo, ce combat, il lui restera toujours chevillé au corps. Le 1er janvier dernier, alors qu'il s'apprête à passer le Cap Horn en tête de la course, il avait encore une pensée pour tous ces copains rochelais qui, comme lui, peuvent prétendre à écrire quelques belles pages de l'histoire de la voile hauturière. Une obstination qui, paraît-il, ferait encore grincer quelques dents chez certains élus locaux.

Depuis le temps que je dis que La Rochelle a sa place dans le monde de la course au large et qu’il faut, messieurs les financiers, les élus, tous les chefs d’entreprise, aider la course au large à émerger à la Rochelle... Parce qu’on ne va pas refaire le débat, mais y en a plein des bons marins à La Rochelle, y en a plein. C’est un creuset de champions La Rochelle. C’est vraiment ce message que j’ai envie de porter, plus qu’un message personnel de gagner le Vendée. Je serais content bien sûr mais la course au large, c’est la Rochelle. Je pense à plein de copains, des petits jeunes qui n’attendent que ça. Des Julien Pulvé, des Aymeric Chappellier et je vais en oublier plein… donc je suis hyper fier de dire que La Rochelle est en tête du Vendée Globe au Cap Horn.

Yannick Bestaven skipper de Maître Coq

Un premier Vendée Globe qui vire au cauchemar.

Et nous voilà donc en septembre 2007 au Grand Pavois de La Rochelle. C'est tout naturellement sur le salon nautique à flot de sa ville d'adoption que Yannick officialise son partenariat avec le groupe Cervin Enr pour le prochain Vendée Globe. L'entreprise est spécialisée dans les énergies renouvelables et tout cela fait sens pour le jeune ingénieur de formation. Avec son accolyte Matthieu Michou, il réfléchit déjà à ce qui équipera bientôt tous les bateaux de course, l'hydrogénérateur. Grâce à ce "moulin à eau", installé sur la jupe arrière des voiliers, l'éternelle et cruciale question du rechargement des batteries à bord trouve la plus écologique des solutions. Ensemble ils vont créer la société rochelaise Watt & Sea.

Mais ce premier Vendée Globe va tourner au cauchemar. D'abord parce que deux mois avant le départ, son sponsor Cervin Enr le laisse tomber après un silence radio de plusieurs semaines. Le skipper se retrouve criblé de dettes et, légalement, sans bateau. In extremis, avec toute sa force de persuasion, il arrivera à trouver d'autres mécènes de dernières minutes. « Les huissiers débarquaient au départ de course en lui disant « tu n’as plus le droit de partir », le sponsor qui ne paye plus rien alors qu’il nous avait promis monts et merveilles, c’était une sacré aventure !", se souvient Karen Leibovici qui avait bouclé, elle, son Vendée deux ans plus tôt. 

Il avait passé un an et demi de sa vie sur ce projet pour ce faire planter par le sponsor deux mois avant le départ. Au mois de juin, on sentait que ça commençait à ne pas sentir bon parce qu’il ne payait plus les factures et, fin août, il dépose le bilan sans rien dire à personne, par surprise. On se retrouve avec 250.000 euros de bons de commandes qu’on ne sait pas comment payer! Et c’est là que Yannick est incroyable ; il me dit « t’inquiètes pas, je vais trouver un autre sponsor, l’autre on va l’attaquer au tribunal de commerce et on va proposer le paiement d’une partie des dettes contre le prêt du bateau pendant un an ». Et le juge a dit oui !

Jean Saucet, navigateur rochelais

Malheureusement, comme disait Edward Murphy Junior, "tout ce qui est susceptible d'aller mal, ira mal". En clair, selon la célèbre loi qui porte son nom, le pire est toujours certain. Et le pire, ça sera un fichu démâtage dans le golfe de Gascogne deux jours après le départ. Bestaven avait peut-être dépensé bien trop d'énergie à régler les problèmes extra-sportifs avant de partir pour un tour du monde en solitaire. Cet abandon, cette fortune de mer laissera une marque indélébile dans le coeur du marin. De là à imaginer un impérieux besoin de revanche personnelle...

Changement de monture

Brutalement tombé de cheval, Yannick décide de changer de monture. D'aucuns auraient abandonné l'histoire et vaqué à d'autres occupations. Lui repart au galop sur un destrier, certes plus modeste, mais tout aussi exigeant. La Class 40 regroupe des voiliers de 13 mètres, beaucoup moins onéreux que les Imoca et qui attire des sponsors moins fortunés. Dès 2011, il gagne la Jacques-Vabre en double avec Eric Drouglazet.

Pour ne rien changer, le Rochelais va innover en la matière et construire un nouveau prototype de dernière génération et, chat échaudé ne retournant pas deux fois au tribunal, il l'acquiert en fonds propre. Après une honorable septième place dans la Route du Rhum alors que le bateau vient tout juste d'être mis à l'eau, il gagne une deuxième Jacques-Vabre, cette fois avec Pierre Brasseur en 2015. Cette année-là, alors qu'il a plus de 500 miles d'avance en approche des côtes brésiliennes, il se retrouve encalminé et bientôt rattrapé par ses plus proche concurrents. Il finira par l'emporter de justesse. Ca ne vous rappelle rien ?

C’est le maître du suspens le Yannick ! Il aime bien ça ! C’était le premier bateau du genre à l’époque. Il l’avait construit dans le chantier de Louis Burton. C’était un bateau de dernière génération avec le début des carènes puissantes et tendues, comme les Imoca mais en version plus petite. Dans le projet, il était armateur du bateau, il avait réuni des investisseurs. En fait, il s’est fait la main sur ce projet pour le reproduire en 60 pieds.

Pierre Brasseur, skipper

Une préparation méthodique pour gagner le Vendée

Mais évidemment, le Vendée Globe reste le but ultime. Têtu, on vous dit. Il revient dans le circuit Imoca avec un bateau à dérive. A Saint-Malo, pour le Rhum 2018, il trépigne sur les pontons où sont aussi accostés les Beyou et Thomson avec leurs belles moustaches en carbone. Il sait qu'il ne peut pas rivaliser avec ces "foilers" dernier cri. Il ne finira de toute façon pas la course, victime d'avaries. Certains commencent à penser que décidément le Rochelais a la poisse. Il laisse dire. Avec son nouveau sponsor, Maître Coq, il se donne les moyens de ses ambitions. Pendant deux ans, dans le bassin des chalutiers, en face de l'aquarium de la Rochelle, il va discrètement et méthodiquement se préparer à gagner le Vendée Globe.

En novembre dernier, avant un départ à huis clos aux Sables d'Olonne, les journalistes n'ont d'yeux que pour les dernières fusées avec leurs appendices de plus en plus longs. Certains ont déjà pronostiqué le podium final et très peu envisagent l'option Bestaven. Les spécialistes, eux, savent bien que Maître Coq, ex Safran II, est un bon bateau, parfaitement fiabilisé et optimisé, notamment grâce à son ancien propriétaire, Bilou, Roland Jourdain.

Ils savent aussi qu'à 47 ans, le skipper a désormais toute l'expérience nécessaire, forgée à coup de victoires et d'abandons, pour bien figurer dans la course. Il a pris de la bouteille. "La sagesse est un peigne que la vie vous offre lorsque vous êtes chauve", disait Bernard Blier. Bestaven a encore la crinière des jeunes loups de mer. 

La suite, vous la connaissez évidemment. Dérouté pour partir à la recherche de Kevin Escoffier, Maître Coq va avaler les mers du Sud comme personne, passer le Cap Horn en tête et nous refaire le coup de la panne de vent dans les bulles anticycloniques de Sainte-Hélène face au Brésil. Il y avait vraiment de quoi "péter les plombs", comme il l'avouera une fois passée la ligne d'arrivée.

"Il m'épate vraiment", nous dit Roland Jourdain," c’est vrai que tu as parfois tendance quand tu es en solo comme ça à mettre ton influx et ton énergie à envisager ce que les autres pensent de toi, ce qui se passe à terre pour ton équipe technique proche, ton sponsor, le public, ta femme, que sais-je… mais en fait, non, il faut apprécier l’instant et faire la part des choses. Et ça, Yannick, il a bien su le faire". L'aide d'un préparateur mental, Eric Blondeau, une nouveauté pour le skipper, n'y est peut-être pas pour rien. 

Cet aspect mental, c’est quelque chose qu’on a vraiment travaillé, presque trop tard à notre goût. Heureusement, on l’a déclenché il y a quelques mois et clairement ça porte ses fruits. On a traité ça comme tous les autres aspects de la performance dans le projet. Il n’y a pas que la technique, il y a la tête, il y a les jambes, le physique, c’est un ensemble. C’est une course qui se joue beaucoup au mental.

Jean-Marie Dauris, directeur technique et sportif du team Maître Coq

Les amateurs de routage et de fichiers météos, les marins de comptoir privés de zinc, les architectes navals refoulés auront désormais tout le temps de refaire la course et de continuer à rêver sur cette incroyable aventure que viennent de vivre tous les skippers de ce Vendée Globe. Yannick Bestaven, lui, ne pouvait cette nuit que tenter de consoler Charlie Dalin, éphémère premier de la course, et tomber dans les bras de Kevin Escoffier venu accueillir le Rochelais. Il vient d'empocher le premier prix de la course, soit un quart d'ongle de pied d'un footballeur du PSG. Têtu comme il est, il est fort à parier qu'il avait déjà en tête des améliorations à faire sur le bateau pour la prochaine course.

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