Le dispositif, expérimenté à la cour d'Appel de Toulouse depuis janvier 20152, est jugé "extrêmement lourd" et "coûteux" et ne serait "pas adapté" pour rapprocher les citoyens de la justice.
Deux magistrats ont dressé un bilan très critique de l'expérimentation des jurés populaires en correctionnelle, jugeant que ce dispositif "extrêmement lourd" et "coûteux" n'était "pas adapté" pour rapprocher les citoyens de la justice, dans un rapport remis à Christiane Taubira.
Les deux magistrats de la Cour de cassation, Didier Boccon-Gibod, premier avocat général, et Xavier Salvat, avocat général, avaient été chargés en novembre par la ministre de la Justice d'une mission d'audit de cette expérimentation lancée en janvier 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans le ressort des cours d'appel de Dijon et Toulouse.
A son arrivée Place Vendôme en juin, la garde des Sceaux avait gelé l'extension qui était initialement prévue à d'autres juridictions. Dans un communiqué, la Chancellerie a indiqué que "sur la base de ce rapport, la ministre annoncera dans les tout prochains jours les orientations qu'elle aura retenues concernant le rôle du citoyen dans l'oeuvre de justice (...)".
La réforme a introduit deux "citoyens assesseurs" aux côtés de trois magistrats, en première instance et en appel, pour le jugement de certains délits passibles d'au moins cinq ans de prison.
"Aucun élément ne permet de penser que les décisions rendues sont plus sévères", écrivent les deux magistrats dans leur rapport. Ainsi, l'objectif "plus ou moins avoué d'une aggravation des sanctions pénales a été clairement manqué". Ils constatent les "très nombreuses difficultés" posées par le système: le "lourd processus de sélection annuelle" des citoyens assesseurs, leur gestion au quotidien, l'augmentation de la durée des audiences auxquelles ils participent (trois affaires dans une audience "citoyenne" contre 12 à 20 dans une audience classique), leur coût (300 euros en moyenne de plus).
Du fait de l'allongement des délais, cette "réforme qui était censée rapprocher les citoyens de la justice en éloigne d'autres, prévenus et victimes, dont les affaires sont retardées", a souligné lors d'un point presse M. Boccon-Gibod. Les magistrats et fonctionnaires que nous avons rencontrés ont (...) exprimé une réelle lassitude à l'idée de devoir maintenir une aussi lourde organisation pour un résultat qui se résume en définitive à l'amélioration de l'image de la justice auprès des quelques citoyens assesseurs qui découvrent la réalité de l'activité juridictionnelle", écrivent les auteurs du rapport. Ce bénéfice reste "strictement limité au cercle étroit des citoyens assesseurs eux-mêmes". "Ce dispositif n'est pas adapté pour remplir complètement l'objectif de dialogue démocratique", a conclu M. Salvat.
Autre problème: "on peut très nettement douter que les citoyens assesseurs, appelés à siéger le temps de quelques audiences, complètement dépendants des magistrats professionnels pour la partie technique de la procédure, soient véritablement libres du choix de leurs décisions". Après une formation d'une journée, "ils ne sont pas armés techniquement pour traiter les questions juridiques soumises aux juridictions".
Aux yeux des deux magistrats, l'intérêt de l'expérimentation a été de "montrer que le regard porté sur la justice est profondément changé dans un sens favorable lorsque l'occasion est donnée à une partie de la population d'observer de près son fonctionnement". Ils y voient "un encouragement à chercher par quels moyens, moins lourds pour les juridictions, pourrait être obtenu un résultat semblable".
Les syndicats de magistrats souhaitent un arrêt rapide
Les syndicats de magistrats souhaitent un arrêt rapide de l'expérimentation de ces jurés populaires en correctionnelle, après ce bilan très critique C'est "un excellent rapport, complètement conforme au bilan que nous avions tiré nous-mêmes de l'expérimentation" après sa mise en oeuvre, a réagi le président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), Christophe Régnard. "Nous attendons une décison rapide d'abrogation pure et simple de ce dispositif inefficace, inutile et coûteux", a-t-il ajouté.
Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) a pour sa part estimé que le bilan dressé par le rapport d'audit est "accablant". "La complexité de la procédure pénale, les difficultés d'organisation des juridictions, le ralentissement du cours de la justice, l'augmentation des stocks et le coût de la réforme en moyens matériels et humains, imposées à des juridictions déjà exsangues, doit conduire à l'arrêt de l'expérimentation", a-t-il ajouté dans un communiqué. Le SM "a toujours considéré qu'il était nécessaire que la justice s'ouvre sur la société", mais "cette participation doit s'inscrire dans une réforme globale de la justice pénale dont les missions doivent être redéfinies, pour ne plus se réduire à la mise en oeuvre de la politique de la tolérance zéro", a ajouté le SM.