Affaire Chloé : la justice reconnaît des ratés dans le suivi du suspect

Depuis l'arrestation de Kamel Bousselat en Allemagne, la polémique enfle sur d'éventuels "dysfonctionnements" de la justice sur le suivi des détenus à leur sortie de prison. Le gouvernement promet des réponses aux questions.


Fax pas reçu, dossier non transmis, adresse pas vérifiée: le suivi du ravisseur présumé de Chloé, détenu en Allemagne où l'adolescente a été retrouvée après sa disparition dans le Gard, a connu des ratés auxquels le gouvernement veut remédier en faisant la "clarté totale" sur l'affaire.

Le suspect avait écopé en mai 2009 à Nîmes de cinq ans de prison, dont deux avec sursis et mise à l'épreuve, pour des agressions sexuelles à répétition en 2007. Il est alors inscrit au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.
Mais quand les gendarmes qui enquêtent sur la disparition de Chloé, le 9 novembre à Barjac, consultent ce fichier, il y figure comme détenu alors qu'il est sorti de la prison de Béziers dans l'Hérault le 14 septembre, a indiqué mardi une source proche du dossier, confirmant une information de M6.
Premier dysfonctionnement sur lequel la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a indiqué que des vérifications étaient en cours, mardi en marge d'un déplacement à Roubaix (Nord), au lendemain d'une réunion à la Chancellerie à laquelle ont participé des magistrats du Sud-Est.

Quand le suspect recouvre la liberté, une convocation devant le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) d'Avignon lui est remise, conformément à la législation en vigueur depuis l'affaire de la disparue de Nantes en 2011.
"Pourquoi Avignon ? Il devait aller au départ dans le Gard, mais une personne a semble-t-il refusé de l'héberger. Il dit alors aller dans un foyer à Avignon et on le rajoute à la main sur sa convocation, en rayant le SPIP de Nîmes", a expliqué à l'AFP une source proche du dossier.
Mais le 24 septembre, le suspect ne se rend pas à Avignon, où "il n'a peut-être jamais mis les pieds, car personne n'a vérifié son adresse, faute de l'avoir", a ajouté cette source, soulignant que tout probationnaire doit pourtant en fournir une.
Selon la secrétaire nationale du syndicat SNEPAP-FSU, Charlotte Cloarec, le conseiller d'insertion d'Avignon signale alors ce défaut de présentation au juge d'application des peines (JAP) de la ville.
 
Des "défaillances" de l'ensemble du système

Par fax, le lendemain, précise la source proche du dossier. Ajoutant que le JAP, lui, dit ne pas retrouver ce fax et ne pas avoir reçu, non plus, le dossier judiciaire du suspect, ce qu'a confirmé la Chancellerie mardi en annonçant qu'un dispositif destiné à éviter ces problèmes de communication et de coordination était à l'étude.
La garde des Sceaux a assuré vouloir faire la "clarté totale" sur les circonstances de l'enlèvement de Chloé et le suivi de son ravisseur présumé. "Nous allons voir clair très vite et nous verrons, là où il y a eu des défaillances, quelles mesures appellent ces éventuelles défaillances", a déclaré Mme Taubira.
"Toute la discussion au ministère a porté sur les hiatus entre la gestion administrative et le traitement +criminologique+ des probationnaires", a souligné la source proche du dossier.
"On a là un détenu déjà condamné à 13 reprises, la dernière fois pour agression sexuelle, qui dit qu'il va à Avignon et on le prend pour argent comptant. Alors que s'il donne une adresse bidon, la probation part mal. Sans compter qu'il peut très bien passer à l'acte dans le délai légal dont il dispose pour se présenter au SPIP", a poursuivi cette source.

Le syndicat Magistrats pour la Justice, pour qui l'affaire rappelle des failles "maintes fois dénoncées", a estimé, dans un communiqué, que la justice n'a pas
les moyens d'assurer "une évaluation sérieuse de la dangerosité des personnes" et de prendre "toutes les mesures destinées à réduire au maximum les risques de réitération après la libération du condamné". (Voir le communiqué en fin d'article).

Le suspect, incarcéré depuis samedi en Allemagne, doit être transféré en France, qui a émis un mandat d'arrêt européen, d'ici une à deux semaines, sauf accélération -probable- de la procédure.
Selon une source proche du dossier à Strasbourg, il sera soit remis à la police aux frontières sur le pont de Kehl à la frontière franco-allemande puis transféré en avion à Nîmes où une information judiciaire est ouverte pour enlèvement, séquestration et viol; soit conduit par la route dans le Gard sous escorte de la gendarmerie.





Le communiqué du syndicat Magistrats pour la justice

ASSEZ !

Une semaine après son enlèvement, la jeune Chloé âgée de 15 ans a été retrouvée en Allemagne, saine et sauve nous dit-on, enfermée dans le coffre d’une voiture.

Elle ne doit son salut qu’à un concours de circonstances ; Son ravisseur tentait en effet de dérober un ordinateur dans un véhicule lorsqu’il a été surpris par la police. Remonté dans la voiture volée qu’il utilisait, il était pris en chasse et dans sa fuite percutait un autre véhicule dont l’occupant est sérieusement blessé semble-t-il. C’est alors seulement que la jeune fille enlevée était découverte enfermée dans le coffre et que son ravisseur pouvait être arrêté.

Tout est bien qui finit bien ? Pas vraiment !

La justice française n’a aucune fierté à tirer de cet événement qui nous rappelle les failles de notre système judiciaire, maintes fois dénoncées, mais auxquelles on tarde encore à apporter des réponses adaptées et pertinentes pour de mauvaises raisons.

Le ravisseur de la jeune Chloé est, à 32 ans, un multi-réitérant avec 13 condamnations à son actif, dont de nombreux actes violents (vols, violences avec préméditation, transport d'armes, destruction par un moyen dangereux pour les personnes, menaces de mort, exhibition sexuelle et agressions sexuelles).

Son arrestation en juin 2007 avait mis fin à la psychose suscitée par une série de onze agressions sexuelles ou tentatives qu’il avait déjà expliquées à l’époque par des pulsions auxquelles il avait cédé après sa dernière libération de prison. Il était condamné pour ces faits en mai 2009 à cinq ans de prison dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve (SME).

Il était libéré à nouveau le 14 septembre 2012 et était convoqué dix jours plus tard devant le service d’insertion et de probation d'Avignon afin de mettre en place son suivi dans le cadre du SME, mais ne s’y présentait pas et, début novembre, enlevait finalement Chloé « par hasard », comme toute les autres agressions d’opportunité commises lors de sa précédente affaire.

Cette seule chronologie suffit à légitimer les interrogations quant à un éventuel dysfonctionnement dans le suivi post-carcéral du mis en cause.

Notre Ministre en a bien conscience puisqu’elle a convoqué hier soir la hiérarchie des parquets concernés par cette affaire pour une « réunion de travail ».

Le ravisseur de Chloé est à l’évidence un délinquant dangereux. Son obsession irrépressible, sa prédation et le choix opportuniste de ses victimes qui lui font prendre tous les risques en sont des marqueurs.

Seulement la justice ne dispose pas aujourd’hui de tous les outils pour assurer une évaluation sérieuse de la dangerosité des personnes qu’elle juge.

Et l’arsenal répressif dont elle dispose ne lui permet pas davantage de prendre toutes les mesures destinées à réduire au maximum les risques de réitération après la libération du condamné (sans parler d’une sécurité garantie qui serait illusoire).

Sans se contenter de demander des moyens matériels et l’augmentation des effectifs des services d’application des peines et de probation, il faut sans tarder reprendre les travaux engagés sous la précédente législature afin de doter la justice française d’outils modernes de criminologie clinique appliquée, pour imposer à ceux qui le nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire adaptée dès le début de leur détention et pour permettre un suivi post-carcéral plus long, plus étroit et plus efficace des délinquants et criminels dangereux.

Pour cela un changement de la philosophie ambiante est indispensable.

Seule la prison a permis en l’espèce de mettre fin aux agressions du mis en cause et à une probable escalade dans la gravité de ses actes.

Une peine de trois ans fermes, comme celle prononcée contre le ravisseur de Chloé, démontre que certains se trompent lourdement en la classant dans la catégorie des courtes peines, supposées s’appliquer à des faits de faible gravité et être plus criminogènes qu’utiles socialement.

Une peine sanctionne des faits avec lesquels une juste proportionnalité est recherchée, mais ne dit rien de la dangerosité de son auteur et des dispositifs de contrôle et de réinsertion qui doivent être mis en place dès son incarcération et qui doivent l’encadrer à sa sortie.

Lorsque les autres syndicats de magistrats dénoncent « un drame – une loi » et refusent toute réflexion suite à des événements de ce type au motif qu’ils sont inévitables, le MPJ soutient pour sa part toute initiative visant à améliorer notre système judiciaire et à assurer la confiance de nos concitoyens dans cette institution dont la vocation première est de les protéger.

La mise en cause des acteurs judiciaires est injuste si les moyens ne leur sont pas donnés d’éviter des drames.

Alors parlons solutions plutôt que de lancer un débat stérile sur les responsabilités.

Adaptons notre traitement pénal plutôt que de rêver d’un monde où le traitement social remplacerait la prison, où les délinquants recevraient de l’aide pour seule peine et adhéreraient volontairement à des programmes de réinsertion hors de toute contrainte.
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