A partir du 14 mars, 7 femmes et 7 hommes vont vivre isolés durant 40 jours et sans aucun moyen de connaître l’heure. Comment réussir à se synchroniser et s'organiser dans ces conditions ? Dans cette mission baptisée Deep Time, le chercheur Christian Clot interroge nos capacités d'adaptation.
Alors que les rayons du soleil commencent à réchauffer la terre et les premières fleurs annoncer le printemps, 14 personnes vont vivre sous terre pendant 40 jours au fond de la grotte de Lombrives en Ariège. A priori, des conditions de vie encore plus difficiles que celles que nous avons vécues pendant les deux confinements de l’année 2020 marquée par la pandémie de la Covid 19. Mais alors pourquoi une telle expérience ?
C’est justement parce que la crise sanitaire a soulevé beaucoup de questions et montré les difficultés à nous adapter à une situation nouvelle, que la mission Deep Time prend tout son sens.
Pourquoi cette expérience ?
Comme l’explique l’explorateur et chercheur Christian Clot dans une vidéo sur sa page Facebook, il est parti d’un constat pendant le confinement : un nombre conséquent de personnes ont perdu la notion du temps et ont du mal à envisager le futur. Une partie de la population souffre de fatigue mentale et l’anomie s’installe au fur et à mesure que la crise sanitaire se prolonge.
L’objectif de la mission, est de prouver qu’en situation de pleine anomie et de doute, il est possible d’agir, de créer des projets et surtout d’innover pour aider les humains à mieux faire face à leur avenir, tout en étant placés dans un environnement difficile.
Après avoir fait ce constat, le chercheur s’est dit qu’il était important de mener une expérience avec la méthode recherche-action pour essayer d’apporter des réponses assez vite à nos questions. Dans un second temps, l’analyse scientifique des résultats de l'expédition Deep Time, permettra peut-être de trouver des solutions pour mieux s’adapter à des situations nouvelles.
Pourquoi une grotte ?
En général, les avantages de mener une expérience scientifique en milieu naturel sont liés au fait que notre acuité sensorielle est particulièrement développée dans ces environnements : "En milieu naturel (comparé au laboratoire), nous conservons la perception fine d’une vie réelle traduite via les émotions provoquées par l’environnement, notre sensorialité et notre aptitude à l’émerveillement." Dans cette expédition en particulier, la grotte rappelle peut-être des sensations vécues pendant le confinement.
Il existe un parallèle notoire entre les individus du monde entier qui ont dû se confiner dans leur “grotte”, physique et mentale, et les explorateurs qui se plongent dans cette réalité temporelle, au plus près de la nature et des roches.
L'équipe de 14 personnes va donc s'enfoncer au fond de la grotte de Lombrives en Ariège, la plus vaste d'Europe, et vivre pendant 40 jours dans un camp installé au-delà de la zone habituellement ouverte au public avec une température constante de 12 degrés et 95 % d’humidité...
Qui va vivre dans la grotte ?
7 hommes et 7 femmes, âgés de 29 à 50 ans, non professionnels de l’exploration et ayant des profils très différents vont participer à l'expédition Deep Time.
Emilie Kim-Foo, infirmière et équipière
Originaire de l’île de la Réunion, Emilie vit à Toulouse avec ses deux frères et sa chienne. Elle exerce son métier d’infirmière dans différentes structures hospitalières de la région. Sa famille en partie à la Réunion et ses collègues de Mayotte la soutiennent pleinement dans cette aventure. A l'intérieur de la grotte, elle travaillera avec le médecin du groupe et participera en tant qu'équipière à titre personnel. Elle a accepté de répondre à nos questions avant son départ.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer ? L’aventure et l'excitation de découvrir le monde sous-terrain que je ne connais pas du tout. J'ai juste visité la grotte de Padirac, c'est tout ! Aider et faire avancer la science à travers des expériences. Je faisais partie de l'expédition 4 x 30 jours montée par Christian Clot mais qui a été annulée à cause de la crise sanitaire.
Pendant le confinement, en raison de son métier d'infirmière, Emile a continué à avoir un rythme de travail soutenu et n'a donc pas vraiment ressenti l’enfermement.
Comment vais-je réagir à l'isolement, l’absence de la notion de temps ? Mes capacités d’adaptation ou pas ? Bref, me confronter à l’inconnu !
Qu'emportez-vous dans votre trousse d'infirmière ? "J'ai préparé de quoi administrer des soins en cas de coup de froid, déshydratation et fatigue. J'ai aussi ce qu'il faut pour soigner les blessures suite à des chutes possibles car les participants seront éclairés en grande partie avec leur lampe frontale. Un seul spot de lumière sera installé au niveau du camp de vie."
Une large collaboration scientifique
Depuis 4 ans, le groupe de recherche Adaptation de l’Institut Human Adaptability Project, créé par Christian Clot et réunissant plusieurs laboratoires dont le LNC d’Étienne Koechlin (Neurobiologie, INSERM), COMETE de Stéphane Besnard (Perception et physiologie, INSERM), Ethospace de Carole Tafforin (Éthologie) et autres, cherche à mieux comprendre les capacités humaines d’adaptation face aux changements.
Jamais encore, nous n’avons pu évaluer la manière dont le cerveau conçoit le temps et ses évolutions face à une situation nouvelle réelle. Plasticité, émotions, décisions seront étudiées.
La cognition comme programme phare
Christian Clot détaille l'éventail des disciplines scientifiques impliquées dans le projet : "Nos recherches sont intégratives, pluridisciplinaires, de la cognition à la génétique, de la psychologie à l’éthologie et assurent une vision large de l’adaptation humaine. Les émotions, les perceptions ainsi que les mécanismes d’acceptation et de décisions peuvent également être évalués de manière très fine grâce à l’observation immédiate plutôt qu’au travers de récits basés sur la mémoire."
Donner des réponses à 3 questions
Les différents chercheurs vont chacun dans leur discipline faire des mesures pendant les 40 jours puis analyser les résultats pour enfin les croiser avec ceux de leurs collègues et essayer d'apporter des éléments de réponses à moins trois questions :
- Comment gérer la désorientation, lorsque nous sommes soumis à une situation totalement nouvelle comme les confinements de 2020 ?
- Comment notre cerveau conçoit et gère le temps en dehors de tout indicateur ?
- Comment un groupe humain peut-il parvenir à se synchroniser, à fonctionner ensemble lorsqu’il se trouve dans des conditions de vie totalement nouvelles ?
La grotte : un cadre de confinement expérimental
Carole Tafforin est docteure en neurosciences et sciences du comportement. Directrice d'Ethospace (Groupe de recherche et d'étude en éthologie humaine et spatiale) dont le siège est à Toulouse, elle est spécialisée dans les missions spatiales et d'enfermement. Elle a bien voulu répondre à nos questions concernant ses axes de recherches dans l'expédition Deep Time.
En quoi consiste l'éthologie, votre domaine de recherche ? "Développer une approche éthologique, c’est étudier la science du comportement de la vie physiologique d’individus. On observe leurs comportements spontanés moteurs et les interactions entre eux mais sans jamais intervenir puis on les analyse de façon objective. C’est très différent de l’ethnologie ou même de l’anthropologie."
Observer les allers et venues d'une colonie de fourmis sans intervenir, c'est faire la première étape du travail en éthologie par exemple.
En quoi l'expérience de la grotte vous interesse t-elle ? "Regrouper 7 hommes et 7 femmes pendant 40 jours dans une grotte et sans notion de temps constitue un cadre de confinement expérimental très intéressant pour étudier les relations sociales qui se nouent ou pas à l’intérieur d’un groupe."
Concrètement qu'allez-vous étudier ? "Pour nous, ça va être l’occasion d’observer par exemple : où, quand et comment les participants vont se déplacer dans la grotte, se regrouper, interagir entre eux, s’organiser, prendre leur repas ensemble ou pas, pendant combien de temps et caetera."
Que cherchez vous à comprendre ? "A partir de nos observations, on va chercher à comprendre comment l’organisation sociale d’une vie quotidienne d’un groupe d’individus qui ne se connaissent pas, va se mettre en place et évoluer dans son propre référentiel temporel."
Observer, décrire et quantifier constituent les étapes de notre démarche en éthologie.
Quelle est votre méthode de travail ? "Les observations nous permettent de relever les indicateurs dynamiques de tous les comportements spontanés pendant l’expérience. Ensuite, on les répertorie sous forme de descriptions et enfin on les quantifie avec une approche physiologique.
Mais rien ne se fait en direct : nos observations se font en dehors de la grotte, après l’expédition et à partir d’enregistrements vidéo. Il n’y a pas d’intervention de notre part ni avant, ni pendant et ni après l’expérience afin de garantir son objectivité. Il n’y a pas de règle d’organisation de prévue à l’avance. Chacun, chacune va se caler selon son rythme. La différence de Deep Time avec les expériences faites dans l’espace est l’absence d’alternance jour/nuit. La question qui va se poser c'est : comment l’horloge biologique va-t-elle fonctionner ?"
La parité homme-femme est-elle un atout ? "Chaque personne arrive dans ce nouvel habitat avec sa propre expérience individuelle pour vivre une expérience de vie collective dans un nouveau milieu assez hostile auquel elle va devoir s’adapter.
La mixité de genre, la diversité culturelle et des profils de participants très différents sont des atouts pour mettre en place une stratégie d’adaptation à un nouveau milieu au sein d’un groupe d’individus. Nous l’avons déjà observé dans des expéditions spatiales. Nous verrons bien si cela se vérifie aussi ou pas dans le cas de cette expérience conclut Carole Tafforin."
En attendant les réponses aux questions des scientifiques, nous souhaitons à toute l'équipe à l'intérieur comme à l'extérieur de la grotte de Lombrives, une fabuleuse aventure humaine qui commencera dimanche 14 mars à 20 heures.