C’est un record pour une ville moyenne : André Trigano, l’inoxydable maire de Pamiers (Ariège), est candidat à un cinquième mandat. Il a 94 ans.
Depuis l’annonce de sa candidature à un nouveau mandat de maire de Pamiers, la question lui a déjà été posée 1000 fois. Pourquoi a-t-il décidé de se représenter ? Installé confortablement dans un fauteuil de son bureau, André Trigano y répond dans un long monologue de 5 minutes.
Une réponse très technique, faite de chiffres, d’importants montants, évoquant des contrats divers et variés, comme les contrats de rénovation urbaine, cœur de ville ou encore bourg-centre. Une réponse comme pour démontrer qu’il a encore toutes ses capacités et qu’il maitrise totalement ses dossiers, même à 94 ans. "Le défaut que l’on me trouve c’est mon âge", assène le maire de la sous-préfecture de l’Ariège d’une voix légèrement chevrotante. "Apparemment je ne cours pas vite, j’ai mal aux genoux mais vous pouvez constater que je ne suis pas totalement obsolète d’un point de vue psychique. Je connais mes capacités, je suis à même, sauf maladie grave, de tenir encore quelque temps."
Trois à quatre ans, s’il est réélu, "lorsque tout sera sur les rails." André Trigano envisagerait alors de passer la main à l’un des membres de son équipe. Trop long pour certains anciens membres de son équipe municipale.
"Nul n’est irremplaçable et je ne prétends pas être exceptionnel", répond-il, "mais il y en a quelques-uns qui ont eu envie de prendre ma place. Au lieu de rester et d’attendre que les élections se passent, ils m’ont dit « vous êtes trop vieux faites la place aux jeunes ». Il est sûr que cela ne m’a pas plu. Je veux décider de mon sort car tant que je peux servir, aujourd’hui, j’ai envie de faire ce que j’aime. J’aime les gens avec qui je travaille. Je suis remplaçable mais je ne veux pas être remplacé de force. On m’aime ou on me déteste. Je ne laisse pas indifférent."
Jeunes contre vieux
Il suffit d’aller se balader en plein centre-ville de Pamiers, place de la République, pour le constater. Il y a ceux, souvent des personnes âgées, pour qui le maire actuel ne devrait pas se représenter : "A son âge, son mandat l’emmènerait à plus de 100 ans. Vous croyez que c’est raisonnable ? Il est bien trop vieux" tranche un vieux monsieur, dos courbé, casquette vissée sur la tête. " 94 ans c’est trop, il faut qu’il passe la main" décrète une mamie.
Et il y a les autres, les plus jeunes qui ne cachent pas "leur respect " pour "un maire qui a fait beaucoup de choses. A 94 ans, s’il pouvait être réélu cela permettrait de finir ce qu’il avait commencé. Il mérite d’être récompensé." Pour un jeune homme d’une vingtaine d’années avoir Monsieur Trigano comme maire "c’est une chance unique. Je ne regarde pas s’il peut courir un marathon mais ce qu’il a dans la tête. Monsieur Trigano c’est du concret." "Il a toute sa tête", assure une mère de famille. "Il a une belle réflexion. Si tout le monde pouvait être comme lui, la France irait beaucoup mieux. Et il n’est pas tout seul. Il est entouré d’une bonne équipe"
Une candidature pour survivre
Envisage-t-il de ne pas être réélu une 5e fois ? "Je l’accepterai volontiers mais je ne veux pas que l’on me dise « lève-toi de là que je m’y mette ! » Ce n’est pas mon style" avoue celui qui s’est au total présenté à 20 élections. "J’en ai gagné 19 explique fièrement André Trigano. La seule que j’ai perdu, c’était la députation de 1997 lors de la dissolution de l’Assemblée Nationale. Quoi qu’il en soit, tant que j’ai envie, tant que j’ai la passion, tant que j’ai la tête, qu’est-ce que vous voulez que je devienne, entre nous ? "
La véritable explication de sa candidature est sûrement à aller chercher là, dans le rapport d’un homme arrivant à la fin de sa vie. "Sa candidature c’est un peu une façon de survivre", nous confesse l’un de ses proches. "Il aurait pu passer la main dans de meilleures conditions mais cela lui était impossible."
L’ancien homme d’affaire le reconnaît sans fard : "C’est vrai, il y a une part d’ego mais ce n’est pas dramatique." Sa crainte : le vide et l’ennui : "J’ai peur que si je m’arrête, je me trouve inutile. Si je me retrouve inutile, 6 mois après vous apprendrez que je suis mort. Vous comprenez ma vie c’est ça. Elle a été faite de passions. Je n’ai jamais pris la place de personne."
L'angoisse de l'ennui
Il fait de ce nouveau combat électoral une affaire toute personnelle : "Pendant la guerre ma famille a été accueillie et protégée durant l’occupation nazie. J’ai vécu grâce à l’Ariège. J’ai une dette envers l’Ariège, que j’ai remplie je crois correctement. C’est ça la vie. La reconnaissance, la passion, l’envie de travailler et aimer ce que l’on fait. Moi lorsque je me lève, je me sens fatigué, pas en forme. Une heure et demie après un bonne douche froide je dis « allez, c’est reparti pour un jour ! » Il n’y a que Dieu qui peut me décider à ne pas continuer."
Il y a aussi cette angoisse de la solitude qui ne le quitte plus depuis le décès son épouse. "Ma crainte à moi c’est les dimanches. Les dimanches, je suis le seul à travailler ou à rester à la mairie. Et je ne veux voir personne car je suis triste. Le lundi en revanche, je redeviens heureux."
Ces dernières semaines, le maire de Pamiers a savouré le défilé des médias (France 2, Le Figaro, Libération, la BBC) dans son bureau afin de rencontrer le "cas Trigano". La preuve pour André Trigano qu’avec cette élection, il existe encore aux yeux des autres : "Je prends le risque d’être battu. Je n’ai pas eu d’échec dans ma vie. Cela me fera peut-être du bien d’en avoir un." Il faut un début à tout, même à 94 ans.