Dans un petit village de l'Ariège, un couple qui ne se parlait plus depuis longtemps meurt dans l'incendie de sa maison bourgeoise. Mais qui a mis le feu ? Secrets et conflits se dévoilent peu à peu. Céline Laurens nous embarque dans son 3ème roman "La maison Dieu".
C'est une histoire de famille de la petite bourgeoisie locale au début du siècle, en Ariège. L'autrice ne l'écrit pas mais elle ne le cache pas, Céline Laurens pose son roman à Saint-Amadou, près de Foix. Amadou signifie amour, ce n'est pourtant pas ce qui prédomine dans l'esprit de ses personnages.
Madame passe ses journées à regarder par la fenêtre, monsieur s'enferme dans son bureau. "Avant, le noble avait son utilité dans un village. Qui sommes-nous désormais ? Qu'apportons-nous ? Les temps changent. (Extrait)
Un monde de silence
Le couple ne se parle plus depuis longtemps. Il cohabite dans le silence. "Si elle ne saisit pas la vie quotidienne à pleines mains, c'est pour mieux se garder une place là-haut. Tu as déjà vu les parents ensemble sauf lors des orages, Mollora ?" pense Abel à propos de sa mère.
Abel et Mollora sont jumeaux. Abel refuse de grandir, Mallora n'a que pour seul désir, celui d'échapper à ses parents et de quitter cette maison maudite.
Il y a également Elise, la domestique, au passé mystérieux, arrivée là grâce à une lettre de recommandation du curé de la paroisse : "On ne plaisante pas avec les démons et les anges," prévient-il.
Quand un feu, aussi petit qu'il soit, prend vie, c'est comme si enfin ce qui devait advenir est advenu
Extrait La maison Dieu, Céline Laurens (Editions Albin Michel)
La maison vient de brûler. Une maison de maître située entre les champs, le cimetière et le cœur du village qui accueille environ 400 habitants. Madame et monsieur sont morts. Qui est responsable ? Un membre de la famille, un voisin, le fameux "Mérou", un pyromane qui sème la terreur dans la région. Quand un feu, aussi petit qu'il soit, prend vie, c'est comme si enfin ce qui devait advenir est advenu. (Extrait)
Dans ce huis clos, où la maison agit comme une sorte de purgatoire, chacun va partager sa part de vérité, à la première personne du singulier, les vivants comme les morts. Secrets et conflits se dévoilent alors. Et la rumeur traverse le village.
Céline Laurens est l’auteure de Là où la caravane passe, prix Roger Nimier 2022 et de Sous un ciel de faïence en 2023, publiés aux éditions Albin Michel. Elle collabore, en tant que critique littéraire, à plusieurs revues. Elle enseigne également la littérature.
Cinq questions à Céline Laurens
Vous parlez de livre de raison. De quoi s'agit-il ?
C’était un livre, qui à la base était tenu par un chef de famille et dans lequel étaient agrégées différentes réflexions. Toutes les personnes présentes dans la maison pouvaient l’ouvrir, le lire et ensuite il était légué aux générations futures de manière à mieux saisir l’ambiance du foyer et les événements que la famille avait pu vivre comme si on était dans un journal intime.
C’est le dialogue avec un homme et ce qui fait sa vie au jour le jour. Je voulais que le livre se compose comme un livre de raison en laissant la parole de manière polyphonique à chaque personnage à l’intérieur de la maison.
Vous faites parler chaque personnage à la première personne du singulier. Donc, par le « je ». Pourquoi ?
Cela a plusieurs avantages. On est d’abord au plus proche de la voix de la personne. Comme en plus, on sait qu’il se passe un événement néfaste à l’intérieur de la maison, un incendie, puisque c’est dit dès les premières pages, on revient au fur et à mesure à ce qui a pu mener à cet incendie. Et comme en plus, on sait qu’il y a des tensions à l’intérieur de la maison, chacun va pouvoir y apporter sa part de vérité.
Je trouve qu’en écriture, se pencher sur un « je », cela permet justement d’exprimer des choses qui seraient difficilement exprimables de manière autre. On serait obligé de faire des ronds de jambe, exprimer que les personnages pensent ceci ou pense cela. Là, on a une liberté immense au niveau du ressenti et cela permet d’embarquer le lecteur de manière encore plus profonde et de le plonger dans une ambiance. On est vraiment dans un dialogue de cœur à cœur avec les personnages.
C’est un roman sur les névroses ?
Il y a beaucoup de névroses. Moi, ce qui m’intéresse, c’est d’envisager deux questions. Tout d’abord, ce que l’on lègue à nos enfants, à l’intérieur des familles. On a une place dans les familles et il est très difficile en fait de s’en détacher une fois que les rôles ont été distribués.
Et ce qui m’intéresse aussi, c’est de se questionner sur l’idée du bonheur. Je trouve que nous vivons dans une société où il y a une injonction au bonheur qui est de plus en plus grande et je pense que c’est une souffrance en règle générale et on oublie que le véritable bonheur n’oblige pas de cocher toutes les cases de réussite.
Mais la quête du bonheur, elle passe par la fuite pour Mallora, la jeune fille de votre roman ?
C’est la problématique des différents âges des personnages qui se côtoient dans cette maison. Quand on est jeune, on a tendance à penser qu’on ne voudra pas vivre la même vie que nos parents, que le bonheur dépend surtout d’une fuite, d’événements et d’aventure.
On a dans cette maison une adolescente qui part du principe que son bonheur va passer par le fait de partir et on a au contraire la mère qui explique qu’elle n’avait pas eu le bonheur qui était le sien et qu’elle est passée à côté. Du coup, en fonction des différents âges et de leurs expériences de vie, on va avoir une réflexion différente sur l’idée du bonheur.
Le titre de votre roman "La maison Dieu" fait référence à une carte du tarot. Quelle en est la signification ?
L’histoire se passe dans un village qui se nomme Saint Amadou (le saint amour). Cette une maison où de base le lecteur pourrait penser que l’amour a justement complètement déserté ses habitants. Ce n’est pas du coup le cas. Tout le but va être de démontrer justement que l’amour est bien présent.
Quant à la carte du tarot, c’est une mise en abîme complète de l’histoire du livre. La carte du tarot, la maison Dieu, c’est la carte des masques sociaux. On voit sur la carte une foudre céleste qui s’abat sur une vieille construction moyenâgeuse et des personnages en tombent et se dédoublent.
Or, à l’intérieur de l’intrigue, de la maison Dieu, c’est ce qui se passe. Ce sont des personnes qui en fait avaient des masques sociaux, qui correspondaient à des vies déjà réussies. Il y a un incendie qui tombe sur la maison et on va les obliger à repartir.