Pour limiter les inondations ou mieux stocker l'eau, le démontage de barrages ou digues construits sur les rivières, préconisé par l'Union européennee et bien accepté dans l'Aude, peine à s'imposer massivement en France.
Près de Villegly, à une quinzaine de kilomètres de Carcassonne, Mathieu Dupuis, expert en rivières, regarde satisfait les vestiges d'une digue détruite pour redonner à la Clamoux l'espace dont disposait ce cours d'eau avant le début de l'intervention humaine, il y a déjà des siècles. Cette destruction, accompagnée d'acquisitions de terres agricoles pour les rendre à la rivière, vise à limiter les risques d'inondation, favoriser la biodiversité ou mieux stocker l'eau, face à des sécheresses.
"Crue éclair"
Pendant longtemps, "on s'est dit qu'il fallait que l'eau arrive rapidement à la mer" pour limiter les risques d'inondation, rappelle Karine Bonacina, de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. Mais, ce faisant, "c'est comme si on avait mis l'eau dans un tuyau" qui a accéléré sa vitesse et "aggravé le risque", ajoute-t-elle, debout sur les galets du lit du torrent, encore à sec début décembre mais pouvant croître brutalement lors d'orages violents, comme les épisodes cévenols.
"On peut penser qu'en envoyant l'eau plus vite en bas, on va faire baisser le niveau. En fait, c'est le contraire : si vous entretenez trop les ruisseaux, vous les curez, comme on l'a fait pendant longtemps, vous accélérez l'eau qui va toute arriver en même temps", et pourra causer une "crue éclair", appuie Mathieu Dupuis, du syndicat mixte des rivières de l'Aude (Smmar).
En revanche, en redonnant à la rivière son espace d'origine, "vous retenez l'eau. Vous aurez une crue plus longue mais moins de hauteur d'eau, peut-être un mètre en moins dans les maisons" en cas d'inondation, ajoute-t-il. En outre, la végétation des bords, jadis cultivés, agit "comme un filtre, un peigne qui stocke les (objets) flottants pouvant faire des dégâts", précise le directeur du Smmar, Jean-Marie Aversenq.
Un barrage démonté
Une quinzaine de kilomètres plus loin, à Pennautier, toujours dans l'Aude, c'est notamment un barrage sur le Fresquel, proche de la zone urbaine, qui a été démonté en 2021, après dix ans de concertation, réunions avec habitants et experts ou négociations en vue du rachat de terres.
Face à la rivière, le maire Jacques Dimon rappelle que "déjà au 18e siècle il y avait des projets de suppression de méandres". En 1966 ont été décidés de nouveaux travaux, réalisés en 1973 : curage du Fresquel, avec suppression des méandres et construction de digues et barrages sur une vingtaine de kilomètres. "Le problème en 1966, ce n'était pas les inondations des lieux habités mais des terres agricoles", souligne Jacques Dimon.
"On pensait bien faire à cette époque-là. Et aujourd'hui on revient à des choses plus naturelles", explique le directeur du Smmar qui intervient sur quelque 420 communes, essentiellement dans l'Aude mais aussi dans quatre autres départements d'Occitanie : Pyrénées-Orientales, Hérault, Ariège et Tarn.
"Quand il y a un barrage, les poissons ne peuvent pas remonter", note Mme Bonacina, citant notamment l'anguille, une espèce menacée d'extinction. Désormais, "la biodiversité se réinstalle, la qualité de l'eau s'améliore", se félicite-t-elle. Or, pour y arriver, il a bien fallu "une mobilisation des élus et de l'ensemble des acteurs du territoire", comme les agriculteurs, souligne-t-elle.
Stocker l'eau "naturellement"
Pour Simon Popy de France Nature Environnement, "pendant longtemps, on a endigué, canalisé, accéléré les flux d'eau et on l'a stockée artificiellement dans des barrages". "Maintenant, il faut désartificialiser, libérer, restaurer, ralentir le flux de l'eau et la stocker naturellement", comme le préconise l'UE dans sa directive-cadre de 2000 qui "avait fixé comme objectif le 'bon état' des cours d'eau pour 2015".
Or, "on n'y est pas du tout. Ce n'est pas facile de mettre en oeuvre les solutions fondées sur la nature. Il faut une forte volonté des collectivités", ce qui "n'est pas gagné" partout. Face à l'"urgence", il faudrait aussi des "actions contraignantes" : "Ca fait vingt ans qu'on fait de l'incitatif et qu'on voit que ça ne donne pas trop de résultats, peut-être qu'on peut faire aussi un peu de prescriptif", estime encore Simon Popy.