Avec 15 morts recensés le 26 mars au soir, l’Aude est l’un des départements d'Occitanie qui a connu le plus de décès depuis le début de l’épidémie. Mais ces chiffres pourraient être sous-estimés car ils ne tiennent pas compte des décès intervenus à domicile et en EHPAD.
C’est un triste rituel, depuis les premiers cas confirmés de malades du coronavirus en Occitanie. Chaque fin de journée, l’Agence régionale de Santé (ARS) publie un communiqué cherchant à rendre compte de la progression de l’épidémie dans la région. Y sont annoncés, pour chaque département, le nombre de personnes porteuses, le nombre de personnes hospitalisées dont celles en réanimation, ainsi que le nombre de personnes ayant pu regagner leur domicile. Figurent aussi le nombre de décès recensés dans la cadre de l’épidémie dans chaque département. Mais les syndicats des professions de santé doutent de la fiabilité des chiffres fournis à la presse.
Des chiffres tronqués ?
En effet, et l’ARS Occitanie l’indique en toutes lettres dans ses tableaux, le nombre de personnes décédées rapporté par ses services ne fait état que des personnes ayant succombé alors qu’elles étaient hospitalisées. Si certains malades décèdent chez eux des suites du COVID-19, ils n’intègrent donc pas les chiffres officiels de l’ARS.
Plus inquiétant, les personnes qui décèdent dans les EHPAD (établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes) ne sont pas comptabilisées dans les statistiques officielles.
Des tests loins d’être systématiques
Les représentants des syndicats des professions de santé s’étonnent de cette comptabilité incomplète. Et donnent déjà des éléments d’explication. Au début de la crise du coronavirus, le laboratoire d’analyse de Limoux n’aurait ainsi disposé que de 15 tests. C’est peu pour une ville qui compte plus de 10 000 habitants, la plus proche d’un des premiers foyers de contamination (cluster), celui de Quillan en Haute-Vallée de l’Aude. Deux des trois premiers cas diagnostiqués dans le département l’ont en effet été dans cette commune. Il s’agissait d’un couple de retraités qui revenaient d’une croisière en Egypte. Les tests ne sont donc pas systématiques.
Une surmortalité qui pose question dans au moins un EHPAD
Entre le 13 et le 24 mars, 11 décès sont survenus à l’hôpital de Limoux, entre le service médecine, et les deux EHPAD, Madeleine Brès et André Chénier. Une mortalité anormale qui n'est sans doute pas imputable entièrement aux effets du coronavirus. Depuis quinze jours, pour protéger les résidents, les visites des familles, comme dans toutes les maisons de retraite de France, n’y sont plus autorisées. De quoi fragiliser un peu plus ce public. Mais d’après nos informations, au moins cinq décès présenteraient des signes pouvant être ceux d’une infection par le COVID-19. En l’absence de tests généralisés, difficile de se prononcer.
On a eu 10 tests pour tester 10 patients ou résidents. Et on a réussi à tester 10 agents sur les 350 de l’hôpital », révèle Yannick Bonnafous , délégué syndical FO à Limoux. On n’a pas d’autres tests, on est plus que limités.
En l’absence de ces fameux tests de dépistage, impossible de relier un décès à une éventuelle infection au coronavirus.
D’autres maisons de retraite présenteraient pour l’instant des taux « normaux » de mortalité, similaires à ceux connus à cette période les autres années. C’est le cas notamment des Rives d’Ode, l’EHPAD de Carcassonne qui dépend de l’hôpital de cette même ville.Quand on a des suspicions de COVID auprès de certains patients, quand on pense que la personne peut avoir tous les éléments indiquant une infection, il faut le confirmer par imagerie. Par le scanner par exemple. Or à Limoux, on n’a pas de scanner. Ça fait des années qu’on en demande un.
Pas de surmortalité à Lézignan-Corbières
Lézignan-Corbières a été la deuxième commune audoise à connaître des cas de coronavirus avérés. Une enseignante y a été diagnostiquée dès le 7 mars, entrainant dans la foulée la fermeture des écoles de la ville, quelques jours avant la suspension des cours pour l’ensemble des écoliers de France.
La ville accueille également un EHPAD. L’équipe municipale a cherché à comparer la mortalité des dernières années : les services de l’état civil de la ville de Lézignan-Corbières ont ainsi recensé 37 décès depuis le 1er janvier dernier, soit exactement le même nombre qu’en 2019 sur la même période.
Une bombe à retardement ?
Des chiffres qui pourraient évoluer très vite, c’est en tous cas la crainte du personnel soignant. Les équipes des maisons de retraite, aides-soignants et infirmiers notamment, ont dû travailler pendant de trop longues semaines sans le matériel adapté. La hiérarchie a même passé des consignes pour économiser les masques et les sur-blouses. Les agents étaient ainsi invités à garder leurs masques de protection pendant toute une journée.
On avait un masque par jour et par agent. Depuis jeudi on est passés à deux par jour mais quand on regarde bien il faut le changer toutes les deux à trois heures, dès que le masque est souillé, humidifié, il faut le changer, mais on n’a pas le matériel. Nous sommes une armée sans armes, explique Yannick Bonnafous
Dans d’autres maisons de retraite, les sur-blouses, qui doivent normalement être changées entre chaque soin, devaient servir toute la journée. Depuis le début de semaine, des équipements sont arrivés sur le département et sont en train d’être acheminés dans les différents établissements de soin et de santé.
« Ils seraient a priori en train d’être distribués, mais pas à Limoux en tous cas. A Limoux, ce que nous avons, c’est une dotation interne et une dotation locale. Parce qu’on a réussi à mobiliser nos élus locaux pour obtenir des masques. On a eu quelques masques venant de l’ARS, mais ce n'est rien du tout. Si on compte deux masques par jour et par agent, il nous faut 800 masques par jour".
La dotation qu’on a, ne permettra pas de tenir plus de 15 jours, il ne faut pas se leurrer, tempère Yannick Bonnafous.
Le scénario redouté est celui d’un afflux de patients dans les prochains jours, qui épuiserait encore plus vite le stock des équipements de protection.
Des quantités limitées et un personnel qui craint que le mal ne soit déjà fait. Qu’à la faveur du manque de matériel et donc du manque de précautions qu’il a engendré, des résidents aient déjà été contaminés au sein des EHPAD. Le délai d’incubation ne permettrait pas encore de s’en rendre compte.
Le risque est réel. Maintenant on espère que le confinement va avoir quelques effets et va ralentir une possible bombe.
Nous avons sollicité à de nombreuses reprises le service communication de l’ARS Occitanie ainsi que le délégué territorial de l’Aude, par mail et par téléphone, pour répondre à nos questions, ceux-ci ne nous ont pas répondu.