Ce fut pendant plus de 20 ans, un invariant, comme une forteresse urbaine encerclée par une campagne au rose vif. Et cela depuis au moins la fin de la seconde guerre mondiale et l’érosion progressive du Parti Radical, épine dorsale de la vie politique de l’Aude sous la 3è République.
Le Parti socialiste, depuis 1983 pour Carcassonne et 1971 pour Narbonne, essayait en vain de récupérer les deux villes du département. Rien n’y fit. Les maisons Chesa et Mouly étaient solidement bâties dans une dimension personnaliste que soulignait le charisme bien réel mais différents des deux élus. Deux maires marqués à droite mais dont les premiers pas se situèrent au temps de leur jeunesse dans les rangs de l’utopie autogestionnaire du PSU. Bref, Raymond Chesa à Carcassonne et Hubert Mouly à Narbonne agrégeaient un vote bien au-delà des frontières traditionnelles de leur famille politique. Les fiefs étaient bâtis. Il aura fallu la disparition de ces deux figures tutélaires pour que les socialistes concrétisent leur hégémonie sur le département. Narbonne bascula en 2008 et Carcassonne, à la faveur d’une élection partielle, en 2009. Tout devint rose dans ce pays à la vigueur cathare.
Il faut dire que ce rêve de grand chelem pour le Parti de la rose au Poing commença en 1995. Castelnaudary, la gaulliste, ce point d’encre bleu sur un parterre d’encre rose, tomba. Le decès, 8 ans plus tôt, du maire Cassabel poussa la droite dans un certain désordre qu’une division sans recours amena à la défaite.
C’est un jeune quadragénaire socialiste, Patrick Maugard, inspecteur au Ministère des Finances, qui devint le maire chaurien. Et depuis lors, les électeurs lui ont confié par 2 fois le soin d’administrer la cité. Dans l’incapacité de reconstruire un leadership et de recoudre un appareil déchiré par les guerres picrocholines de l’après Cassabel, la droite a laissé filer une partie de son électorat vers Patrick Maugard, homme tout en rondeurs. Cette malédiction , Emmanuel Bresson, descendant de Belcaire et délaissant son fauteuil de maire, y tente de mettre fin. Un pari osé mais qui résonne comme la volonté de s’imposer en tant que figure montante d’une UMP déboussolée sur le département.
Battre Patrick Maugard n’y sera pas aisé tant 19 ans de mandature municipale permettent la mise en réseau et un ancrage local renforcé. Néanmoins, les thématiques nationales sur un certain désarroi devant l’action gouvernementale et les soubresauts de l’affaire « Spanghero » restent autant d’angles d’attaque pour le candidat de droite au métier politique certain. La présence du vert, Stéphane Linou, déjà conseiller général, participera à un fractionnement de l’électorat progressiste au premier tour.
Des divisions au 1er Tour, des additions au second ?
A Narbonne, la droite et le centre droit (non affilié) de Nouveau Narbonne n’ont pas trouvé d’entente pour le premier tour. Nouveau Narbonne, ce mouvement transcourants inventé par Hubert Mouly ,dans l’aube des années 1970, a tenu la ville pendant 37 ans, reléguant le RPR et l’UDF à un rôle d’accompagnement de l’appareil Moulyste. Certains dans les rangs de la droite républicaine voient dans cette réalité politique une entrave pour les élections nationales, notamment les législatives.
Au-delà même des problématiques locales, il ne faut pas écarter l’objectif d’une récupération éventuelle, avec la candidature UMP/UDI de Maître Pinet, d’un territoire politique peu travaillé pendant des décennies. Au niveau de Nouveau Narbonne, la légitimité dynastique a joué. C’est le fils d’Hubert Mouly, lui aussi homme de droit puisqu’avocat, Didier Mouly qui est tête de liste. Il fut pendant un certain temps président du club de Football et est un homme courtois. Les deux candidats de droite ont annoncé lors du débat sur France3 Languedoc-Roussillon, en tous les cas très clairement dans le cas de Frédéric Pinet, qu’il y aurait un désistement pour la liste la mieux placée au soir du 1er tour. Il faudra néanmoins suivre la candidature du Frontiste Péréa, qui bien que novice en termes de compétition électorale, pourrait bénéficier d’un double phénomène : l’abstention massive et la mobilisation de son courant de pensée. Jacques Bascou, le maire sortant, bénéficie, indirectement, de cette primaire et continue à affirmer la vision d’un socialisme du 21è siècle, à l’aise dans le discours avec le monde de l’entreprise et les questions de vidéo-surveillance.
A Carcassonne, plus encore qu’à Narbonne, la droite n’a pas su faciliter son œuvre éventuelle de reconquête. Il suffit de regarder la dispersion de l’offre électorale à Carcassonne pour voir la division de cette famille politique. 4 candidats Isabelle Chésa, la fille de Raymond l’ancien maire avec le label UMP, Gérard Larrat, le maire battu en 2009, l’UDI Daraud ou encore Hervé Boissonade (soutenu par Debout la République) sont en compétition. Cette inflation de candidatures est, à l’évidence, une entrave d’autant que la présence du Front National profite d’une continuité de vote au pied de la cité. Les scores réalisés lors des élections législatives de 2012 et des cantonales 2001 parlent d’un électorat bien implanté. Il est évident que si les candidats de droite veulent avoir une dynamique pour le 30 mars, être le mieux placé au 1er tour sera crucial ! Faute de quoi les incompréhensions de ce 1er tour seront encore plus d’improbables reports de voix pour la victoire devant le député-maire Jean-Claude Perez.
Une question de survie devant le Front National
Ainsi, la droite joue gros en cas de non reconquête de ces territoires. Car elle risque de rester seulement cantonner au littoral, là même où le Front National jouit déjà d’une certaine popularité et pourrait à terme élimer cette situation sociologique de quasi-monopole. Si Henri Martin, le maire de Port-la-Nouvelle, se voit faciliter la tâche par le renoncement, faute de colistiers suffisants, de Jean-Pierre Nadal à monter sa liste Rassemblement Bleu Marine, il faudra regarder de plus près le résultat de Laure-Emmanuelle Philippe à Leucate –elle fut candidate FN aux législatives- face à Michel Py, le patron UMP sur le département.
A Gruissan, le parti de Jean-François Copé a déjà jeté l’éponge, seule une liste Front National affrontera le socialiste Didier Codorniou. Un cas de figure qui à moyen terme pourrait se reproduire dans beaucoup de communes rurales, au-delà même d’une future recomposition des droites sur le plan national. En effet, dans l’Aude, à part quelques territoires du littoral ou encore Trèbes (on observera aussi ici la performance du FN) l’UMP est confrontée à une faiblesse de sa structuration militante et donc d’une capacité d’encadrement amoindrie. Dans un contexte où le socialisme municipal se trouve contraint par des réalités budgétaires plus serrés que naguère et où l’absence d’appareil UMP laisse le champ libre à la droite nationale, le FN pourrait devenir de manière permanente la seconde force politique du département. Il ne manquerait plus qu’à débaucher des candidats à la notabilisation plus forte pour faire œuvre de conquête. Ainsi, l’UMP joue sa capacité d’être un mouvement d’avenir dans l’Aude avec ces élections municipales.
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