"On a l'impression d'être seul à ressentir ça, que personne ne peut comprendre ce qu'on vit, et que ça ne va jamais se finir." Charlotte, Maël et Evan ont pris la parole et ont pu bénéficier d'une écoute attentive et de méthodes adaptées pour sortir du harcèlement. D'autres, malheureusement, n'ont pas eu cette chance.
Dinah et Lucas ne souffleront jamais les bougies de leurs prochains anniversaires entourés de ceux qui les aimaient. Un jour, ils ont dit stop, et ici-bas, tout s'est arrêté. Ils en ont eu assez, comme tant d'autres adolescents qui ne supportent plus leur quotidien et se sont donnés la mort.
Les mots sont forts, mais ils ne le seront jamais assez pour crier au monde la perte d'un enfant qui aurait peut-être pu vivre si l'amitié et l'empathie avaient été plus fortes que les brimades et les intimidations à répétition. Alors, comment pouvons-nous agir pour que ça change, éduquer, expliquer, alerter, afin que ces enfants, ces adolescents en souffrance, n'emboîtent pas le pas de Dinah et Lucas ?
Le documentaire Mourir à 13 ans d'Éric Ellena donne la parole aux familles, aux victimes et aux professionnels impliqués dans l'accompagnement. Le réalisateur ne cherche pas à désigner un coupable, mais à révéler le drame du harcèlement et à proposer des solutions concrètes. Il incite les établissements à s'investir en adoptant les bons outils et pratiques pour protéger les jeunes de ce fléau.
Le harcèlement : des mauvais chiffres et des maux
En moyenne, plus d'un élève par classe est concerné par le harcèlement scolaire d'après l'enquête nationale de novembre 2023, fondée sur des questionnaires d'évaluation anonyme. En sont victimes 5 % des élèves du CE2 au CM2, 6 % des collégiens et 4 % des lycéens hors cyberharcèlement.
Personne n'est à l'abri de connaître dans son entourage une victime de harcèlement ou un harceleur. Depuis le 17 août 2023, un décret publié au Journal Officiel permet le transfert d'un élève responsable de harcèlement scolaire dans une autre école.
Le harcèlement, tel que défini par le Ministère de l'Éducation nationale, désigne des violences répétées entre élèves, qu'elles soient verbales, physiques ou psychologiques, visant à dominer et isoler la victime. Il peut prendre différentes formes : insultes, menaces, coups, bousculades, rumeurs, ou encore le rejet de la différence, qu'elle soit liée à l'apparence, au sexe, à l'orientation sexuelle, au handicap, ou à d'autres particularités personnelles.
Si le harceleur porte atteinte à un camarade en utilisant les SMS, les courriels ou les réseaux sociaux, on parle de cyberharcèlement.
Une loi a été votée en 2022 : le harcèlement scolaire est désormais reconnu comme un délit pénal, puni de 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative de suicide.
Dinah et Lucas
En 2022, Séverine s’installe avec son compagnon, ses fils et sa petite fille à Golbey, une commune en banlieue d'Épinal, dans les Vosges. À 13 ans, son plus jeune fils, Lucas, affirme déjà sa différence et confie à sa mère son homosexualité. Un secret qui ne la surprend pas, car elle attendait simplement qu'il soit prêt à lui en parler.
Lucas rejoint le collège Louis Armand de Golbey, son profil d'excellent élève ne fait pas l'unanimité. Les moqueries et les insultes vont crescendo, "jusqu'à la goutte de trop."
Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2021, Samira a retrouvé sa fille Dinah, inanimée, dans la maison familiale de Kingersheim, dans le Haut-Rhin. Elle avait 14 ans et toute la vie devant elle. Son frère Rayan la définit comme une jeune fille pétillante, intelligente et en avance sur son temps, curieuse de politique, d’actualité et intéressée par le mouvement LGBT. Des orientations sexuelles qui auraient alimenté une mise à l’écart, des insultes et une manipulation intime qui lui auraient brisé le cœur.
La victime de harcèlement voit son estime de soi s'effondrer. Elle se dévalorise, finit par croire qu'elle est responsable et se demande si les autres n'auraient pas raison. Que ces faits soient avérés ou ressentis, ils la coupent du monde, renforçant son isolement.
Cette perte de confiance conduit souvent à la phobie scolaire, aux absences répétées et, dans certains cas, à la déscolarisation. Cela amplifie la souffrance de l'enfant, alimentant un profond sentiment de solitude, et plonge celui-ci dans une spirale destructrice, susceptible de conduire à l'irréparable.
Les parents de Dinah et de Lucas sont persuadés que le harcèlement scolaire est responsable du suicide de leur enfant. Ils mènent un combat juridique pour se faire entendre.
Le harcèlement, pour l'arrêter, parlons-en !
Le harcèlement scolaire, longtemps sous-estimé, est désormais reconnu comme un véritable fléau, avec des conséquences profondes pour les victimes. En France, le programme Phare a été mis en place pour lutter contre ce phénomène. Il est aujourd'hui obligatoire dans tous les établissements.
Jean-Pierre Bellon, directeur du centre ReSIS, pour une école sans harcèlement, sans chahut et sans brimades, affirme que ces insultes à répétition, ces moqueries et ces mises à l'écart sont dévastatrices et que les conséquences à long terme peuvent être extrêmement négatives. "On revient de loin en France. Il y a une époque où l'on considérait que tout ça, c'était formateur. Bien sûr que ce n'est pas formateur."
Ne pas laisser les petites choses s'envenimer, éteindre le feu avant qu'il ne se propage : telle est l'ambition de Philippe Weiss, principal du collège Jacques Prévert de Wintzenheim, et de son adjoint François Mangeol. Aucun cas n'est minimisé, aucune moquerie n'est acceptable. La mise en place d'une nouvelle stratégie pour prendre le problème à bras-le-corps donne des résultats qui font leurs preuves.
Le jeune doit entendre que le problème, ce n'est pas lui. Le problème, c'est la manière dont les autres sont en relation avec lui.
Véronique Wucher, référente harcèlement au collège de Wintzenheim
La mise en accusation est vite déjouée par l'élève mis en cause, qui va essayer de se dédouaner ou de renverser la situation à son avantage et des représailles contre la victime ne sont pas exclues. Une approche plus fine et stratégique est alors expérimentée.
Le harceleur est mis à contribution par un membre de l'équipe pédagogique, qui s'inquiète pour un élève qui ne va pas bien. Il lui demande s'il n'a rien remarqué et s'il a des suggestions pour l'aider à sortir de cette situation.
Cette méthode est extrêmement efficace parce qu'elle est l'incarnation d'une autorité. C'est très courtois, mais c'est très ferme : Il n'y a pas à négocier : Il ou elle ne va pas bien. Il faut que ça cesse, qu'est-ce qu'on peut faire ?
Douze professeurs ont été formés à la gestion des intimidations dans le cadre du programme Phare, le plan national du harcèlement. Ils ont rejoint un comité bien-être au collège qui se réunit une fois par mois pour discuter des cas les plus graves.
Si on prend tout, il y a plein de petites choses qui sont réglées dans la plupart des cas. Si on se concentre sur le grave, il y en aura deux ou trois par an.
François Mangeol, principal-adjoint du collège Jacques Prévert de Wintzenheim
C'est le professeur Jean-Pierre Bellon qui a formé toute l'équipe du collège Jacques Prévert de Wintzenheim. Il a adapté en France la méthode de la préoccupation partagée, conçue par le psychologue Anatol Pikas en Suède.
Le programme Phare prévoit aussi l'implication d'élèves devenant ambassadeurs. Charlotte, ayant elle-même subi le harcèlement et bénéficié de la méthode, s'est tout de suite portée volontaire.Comme le petit colibri qui transportait de l'eau pour éteindre le feu, si chacun fait sa part, les harceleurs n'auront pas le dernier mot.
Empathie et verbalisation des émotions
Tous les enfants du même âge n'ont pas le même niveau de compréhension des émotions.
À l'école primaire Gambetta de Sèvres, la directrice Diane Bruas et plusieurs enseignants ont suivi une formation animée par Jean-Pierre Bellon.
Chaque matin, les élèves de Jean-Louis Chomienne, professeur des écoles, débutent la journée de manière ludique avec une "météo des émotions". Les enfants tapotent sur le pas de la porte de la classe, sur la couleur de la petite souris qui correspond à son humeur du jour. Une action qui permet d'extérioriser et de communiquer son ressenti.
Afin de mieux gérer les incompréhensions et frustrations entre élèves, l’école a également mis en place la méthode des "messages clairs". Lorsqu’un conflit survient ou que l'agacement monte en pression, cette méthode permet aux enfants de se parler calmement et directement, loin des regards extérieurs. Les échanges ont lieu à l'écart, dans un cadre privé, ce qui facilite l’écoute et la résolution des malentendus.
Apprendre à se mettre à la place de l’autre n’est pas une aptitude naturelle. C’est pourquoi il est crucial de l’enseigner dès le plus jeune âge. Cette prise de conscience de l’empathie et de la communication doit être encouragée à l’école, mais aussi poursuivie au quotidien, à la maison et dans les interactions de tous les jours si l'on souhaite qu'elle soit acquise.
Tout au long du cursus, du CP au CM2, les enseignants encouragent les moments d’échange, d’expression des émotions et du ressenti, tout en favorisant le développement de l’aisance orale. Les élèves apprennent à prendre du recul, à exprimer leurs besoins et à gagner en confiance en soi, un bagage essentiel pour une transition sereine vers le collège.
Des associations sur le pont
Le documentaire d'Eric Ellena met également en avant le travail remarquable de l'Association Mosellane d’Action Éducative et Sociale en Milieu Ouvert (A.A.E.S.E.M.O), et de l'association Marion la main tendue à Paris, qui œuvrent activement contre le harcèlement scolaire.
Le réalisateur souhaite : "Que ce film fasse bouger les lignes et encourage toujours plus d'établissements à s'investir dans ce combat avec les bonnes méthodes et les bons outils."
Numéro d'urgence :
Que vous soyez une jeune victime ou le témoin d’un cas de harcèlement scolaire et/ou de violences numériques, vous pouvez contacter les écoutants du 3018 :
- par téléphone en composant le numéro 3018 (appel gratuit, anonyme et confidentiel, accessible 7 jours sur 7 de 9 h à 23 h – jours fériés inclus) ;
- par un tchat disponible sur le site 3018.fr
- par une fiche de contact, pour échanger par courriels.
► Le documentaire "Mourir à 13 ans", réalisé par Eric Ellena, produit par French Connection Films et France 3 Grand Est sera diffusé ce jeudi 17 janvier à 23h sur France 3 Centre-Val de Loire et disponible en replay sur france.tv