La colère des agriculteurs : crise existentielle ?

Les agriculteurs manifestent partout ce 5 novembre mais au delà des revendications syndicales, le monde paysan traverse une crise réelle. Trois questions au sociologue François Purseigle enseignat à l'Institut National Polytechnique de Toulouse (ENSAT).

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Ce n'est pas qu'un discours syndical: les agriculteurs traversent une vraie crise et sont inquiets pour la survie de leur profession, ce qui peut faire redouter
l'émergence de mouvements violents radicaux, explique le sociologue François Purseigle, ingénieur agricole et spécialiste du secteur qui enseigne à l'Institut
National Polytechnique de Toulouse (ENSAT).

Y-a-t-il une vraie désespérance dans les campagnes aujourd'hui ou le discours des syndicats est-il alarmiste ?

La question du mal-être est vieille comme le monde agricole, c'est même un marronnier. Mais ce qui change, ce sont les conditions du malaise. Avant, le malaise était caractérisé par des crises économiques que la profession pouvait plus ou moins anticiper.
Aujourd'hui, les mondes agricoles sont traversés par des incertitudes, aussi bien économiques que sociales. Leur plus grosse difficulté aujourd'hui est de transmettre l'outil de production, c'est une crise de reproduction sociale.
Les femmes ne travaillent plus forcément sur l'exploitation, elles réclament des revenus corrects pour leurs maris, et les enfants ne veulent plus reprendre
l'exploitation. Les incertitudes se situent au sein-même de la famille. C'est un arrachement pour une profession qui a pensé le métier par la transmission, un métier dans lequel on s'installait. Or, aujourd'hui l'installation ne va plus de soi.
A cela s'ajoute la pression du grand public car tout le monde a un avis sur l'agriculture, qui est une activité qui condense des enjeux liés à l'environnement, au territoire. Ils travaillent sous le regard des consommateurs, en plus de la pression déjà exercée par l'administration.

En septembre les légumiers bretons ont incendié un centre d'impôt et de la mutualité agricole dans le Finistère. Peut-on craindre la multiplication de ce type d'actions violentes ?

Les violences paysannes ne sont pas nouvelles. On se souvient en 1976 de cette fusillade entre forces de l'ordre et viticulteurs dans l'Aude qui s'était soldée par la mort d'un CRS et d'un vigneron.
Dans les années 90, une thèse assurait que c'était la fin des violences paysannes. Aujourd'hui, la violence est clairement rejetée par les organisations
professionnelles. Mais elles sont parfois dépassées par leur base, où une violence plus sporadique, moins encadrée s'exprime. Et il y a un risque de voir émerger des groupes radicaux, comme dans tous les groupes sociaux.
Pour canaliser cette tension, la FNSEA a donc compris qu'il fallait des actions de masse comme celle d'aujourd'hui. Malgré la diversité des modèles économiques portés par les agriculteurs, il faut donner au moins l'illusion d'une cohérence interne, d'une profession unifiée. Ce type d'action témoigne d'une identité à préserver, de l'invocation de la protection de la puissance publique indispensable pour consolider
certains revenus.

Comment expliquer que les personnalités politiques, à l'exception des écologistes, déroulent le tapis rouge aux agriculteurs ?

Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux mais demeurent une population singulière et repérable au sein de la société française. Car ils sont très bien organisés par filières, presque tous syndiqués, et ont une vie associative locale intense. Ce tissu organisationnel et institutionnel est leur force. Ils ont une grande capacité de mobilisation.
Et si aujourd'hui ils ne sont plus en mesure de +faire+ les élections, ils peuvent aisément défaire un scrutin. On estime que les agriculteurs ne représentent que 3% de la population mais qu'ils influencent 10% des électeurs sur leurs territoire et ça, ça peut vous faire perdre une élection. C'est pour ça que les politiques leur font la cour.

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