La réalisatrice Marie-Monique Robin vient présenter son film "La fabrique des pandémies" en avant-première en région Occitanie. Elle sera à Montpellier ce jeudi 12 mai, Céret le 13 et Toulouse le 14 pour des projections-débat.
Marie-Monique Robin est journaliste et réalisatrice. Elle a notamment signé "Le monde selon Monsanto" et "Le Round-Up face à ses juges". "La Fabrique des Pandémies" est son dernier livre. Elle y explique d'où viennent les pandémies et quelle est notre responsabilité collective dans leur apparition.
Une enquête très complète dans laquelle elle interviewe 62 scientifiques et dont elle a tiré un documentaire qu'elle vient présenter dans la région en avant-première. Elle sera jeudi 12 mai, à 20h00 au cinéma Diagonal à Montpellier, vendredi 13 mai à 20h00 au cinéma le Cérétan à Céret, samedi 14 mai à 16h00 au cinéma Utopia Tournefeuille de Toulouse et à 20h00 au Cinéma Utopia Borderouge de Toulouse. Elle nous a accordé un entretien.
France 3. On est au-devant d'une épidémie de pandémies. Les scientifiques que vous interviewez l'attestent-ils formellement ?
Oui. Pour le livre, j'en ai interviewé 62. J'en ai gardé 14 pour le film. Ils travaillent depuis plus de 20-30 ans sur cette question du lien entre la destruction de la biodiversité et l'émergence de maladies infectieuses.
La liste, en fait, est très longue avant la Covid-19. Il y a eu Ebola, le sida qui est une zoonose c'est-à-dire une maladie d'origine animale, mais aussi le premier SRAS, le zika, le chikungunya, le MERS-coV, le virus du Nil occidental, etc. On dit maladies émergentes parce qu'elles n'existaient pas avant et elles ont pour origine des animaux sauvages.
Ce que les scientifiques montrent c'est que ces émergences sont dues à la destruction de la biodiversité, notamment dans les zones tropicales, les forêts primaires. Ce sont des zones où il y a énormément de faune sauvage.
Ce sont des "hot spots" de biodiversité où il y a énormément de micro-organismes qui peuvent être liés à certains animaux qui sont considérés comme des réservoirs. Ils sont en fait des porteurs sains qui hébergent des virus sans tomber malade. Les principaux réservoirs étant dans l'ordre les rongeurs, les primates et les chauve-souris.
Et ce que disent les scientifiques c'est que quand on perturbe l'équilibre qu'il y a dans ces espaces naturels tropicaux (construction de route, grandes cultures de soja, de palmiers à huile ou élevage), on rompt l'équilibre et on se met en danger.
France 3. Ce que vous montrez dans le film, c'est que la biodiversité protège l'homme...
C'est ce qu'on appelle l'effet dilution. Ce mécanisme écologique a été mis au jour par deux scientifiques américains qui sont dans le film. Ils ont travaillé sur la maladie de Lyme. Elle est transmise par des tiques qui s'infectent sur un réservoir animal. Ce réservoir, c'est toujours le même rongeur.
Ce qu'ont démontré ces scientifiques, c'est que ce rongeur s'appelle la souris à pattes blanches. Elle fait partie des "généralistes", c'est-à-dire qu'elle s'adapte à n'importe quel environnement, qu'elle mange n'importe quoi et qu'elle prolifère beaucoup. Contrairement aux animaux dits "spécialistes" qui sont eux liés à des niches écologiques, qui se reproduisent plus lentement et sont très affectés par la destruction des habitats naturels parce qu'ils sont liés à certaines sources d'aliments par exemple.
Ces chercheurs ont montré que, quand on fragmente une forêt, d'abord ça fait partir les prédateurs comme les renards ou les lynx qui contrôlent la population des rongeurs parce qu'ils n'ont plus assez d'espace pour vivre. Et puis ça fait partir d'autres espèces "spécialistes" dont on modifie l'environnement. Donc vont proliférer les souris à pattes blanches qui s'adaptent y compris aux perturbations générées par les humains. Alors la probabilité qu'une tique se nourrisse sur une souris à pattes blanches est plus élevée car leur densité est plus élevée.
En revanche, si on a une forêt intacte où il y a toutes sortes d'animaux, mammifères, oiseaux qui ne sont pas "compétents" pour transmettre le virus, la probabilité que la tique s'infecte avec son repas sanguin est fortement diminuée. On appelle ça l'effet de dilution. ça marche pour la maladie de Lyme, mais ça marche aussi pour plein d'autres maladies.
Plus on a de biodiversité, plus on réduit le risque infectieux. C'est vrai aussi pour les moustiques. Je donne souvent l'exemple de la Guyane. Sur 650 espèces de moustiques, seules deux sont dangereuses pour les humains et sont adaptées à le piquer. Elles peuvent transmettre la dingue, le chikungunya, le zika, la malaria, la fièvre jaune, etc.
Mais quand vous avez 650 espèces autour de vous, la probabilité d'être piqué par ces deux-là est faible. Donc c'est un mécanisme très important à comprendre parce qu'on voit très bien que la biodiversité protège la santé.
On pourrait se dire : on va raser toute la forêt tropicale, comme ça quand on aura éradiqué toutes les chauve-souris, les rongeurs, les primates, on sera débarrassé. C'est faux parce qu'on se mettrait en grand danger. En fait, il faut qu'on les laisse tranquilles.
France 3. Il y a cette globalisation aussi que vous mettez en évidence qui permet au virus de faire le tour de la planète très vite non ?
Oui Serge Morand, un chercheur du CNRS que j'ai filmé en Thaïlande, dit qu'il y a 3 facteurs récurrents : la déforestation, l'élevage intensif et la globalisation qu'on illustre avec l'exemple du virus nipah dans le film. Sur l'île de Bornéo, on a déforesté pour planter des palmiers à huile. On a délogé des chauves-souris qui vivent sur cette île. Elles sont des porteurs sains de nipah mais comme on les a stressées, elles excrètent, deviennent immuno-déprimées et s'infectent. C'est dans cet état qu'elles se se réfugient sur les côtes de la Malaisie. Elles élisent domicile sur des plantations de manguiers car elles sont frugivores. Leurs excréments contaminent les cochons qui sont élevés sous ces arbres et mangent les mangues. Ils meurent en grand nombre car ce virus est très mortel.
Les ouvriers agricoles de ces fermes porcines sont contaminés à leur tour et meurent. En Malaisie, pays musulman, ils ne mangent pas de cochons. Ils sont dédiés à l'importation. Direction Singapour où les ouvriers des abattoirs où sont abattus ces cochons meurent à leur tour. On voit bien les trois éléments : déforestation, élevage intensif (qui est un élément amplificateur car un virus qui vient d'une chauve-souris ne passe jamais directement à l'homme) et globalisation.
Les chiffres que donne Serge Morand sont incroyables : 400 millions de personnes prenaient l'avion dans les années 70 et aujourd'hui 4 milliards 300 millions... Et il n'y a pas que les humains qui bougent. Tout bouge. Dans tous les sens. La plupart des épidémies étaient locales mais ce qui a changé, c'est l'extrême globalisation.
France 3. Dans le film, vous abordez aussi la question de la pauvreté. Elle est centrale, pourquoi ?
On le comprend très bien avec l'histoire des lémuriens qui sont menacés d'extinction à Madagascar dont c'est une population endémique : on ne les trouve que là-bas. Il en existe 114 espèces. 90% sont menacés d'extinction. On le voit à l'image, la forêt est détruite à Madagascar à 90%. C'est pour ça qu'on parle d'espèces parapluie ou sentinelles... Si la forêt est détruite, c'est nocif pour le climat, pour les lémuriens et pour nous.
Mais on ne peut pas protéger la biodiversité si on n'endigue pas la pauvreté. Les gens continuent de déforester parce qu'ils ont besoin du bois pour faire la cuisine ou faire du charbon. Donc il faut faire le tour des alternatives et il y en a. Mais actuellement, il y a une pression sur tous les parcs nationaux partout, toutes les réserves parce que les gens ont besoin de manger tout simplement. Cette question de la pauvreté est capitale. Elle fait partie d'une des clés du problème.
France 3. Qu'est-ce qu'on peut faire chacun à notre échelle qui soit pertinent par rapport à ce que vous montrez ?
Je donne toujours l'exemple de la viande parce qu'une grande partie de la déforestation est due à des monocultures destinées à nourrir des élevages intensifs. Donc il faut manger moins de viande et, si on en mange, choisir de la viande bio locale de bétail qui n'est pas nourri au soja transgénique qui vient d'Argentine. C'est ce que j'ai montré dans d'autres films comme "Le Round-Up face à ses juges". On importe des millions de tonnes de soja du Brésil, d'Argentine et du Paraguay qui transitent par le port de Lorient et vont nourrir des élevages intensifs de porcs bretons par exemple.
Là c'est clair que si les politiques avaient une vision holistique, une vision globale, ils arrêteraient d'encourager l'importation de soja d'Amérique latine parce qu'on sait très bien que quand on fait ça, on encourage la déforestation. On contribue directement au dérèglement climatique, à l'extinction de la biodiversité et à l'émergence de maladies infectieuses. Tout est lié.
Donc les citoyens peuvent déjà faire ce choix de ne plus manger que de la viande locale. Mais c'est aussi aux politiques de se dire : ce n'est pas possible de continuer. Il faut se reconnecter. On ne peut plus importer des milliers de tonnes d'huile de palme comme on le fait en ce moment avec l'Indonésie, soit pour mettre dans le diesel, ce que fait Total dans ses raffineries des Bouches-du-Rhône ou pour mettre dans les produits agro-alimentaires.
Il est question de signer un accord de libre-échange avec les pays de l'Amérique latine, le Mercosur. Il y a une clause qui prévoit l'importation de bœuf brésiliens. Le boeuf, non ! On en produit chez nous. Et celui qui vient du Brésil, on déforeste pour l'alimenter.
Chez nous aussi, je l'aborde dans le chapitre 5 du livre, il faut protéger la biodiversité : arrêter de couper des arbres, de faire des parkings, des zones industrielles, etc. Nos enfants grandissent dans des environnements peu divers. Ils ne sont pas en contact avec la nature et tout ce qui peut leur permettre de stimuler leur système immunitaire surtout au début de la vie avec des microbiotes riches. Ils ont plus d'allergies, de l'asthme, des maladies comme la maladie de Crohn et sont plus susceptibles de développer des formes graves de covid par exemple.
L'enjeu, c'est protéger la biodiversité. En France, en Europe, 80% des insectes ont disparu, on a moins d'insectes pour la pollinisation, les abeilles, n'en parlons pas, les oiseaux, c'est une catastrophe. Il faut protéger la biodiversité car c'est notre maison commune.
Le film "La fabrique des pandémies" sera également diffusé le 22 mai sur Ushuaïa TV, le 23 mai sur France TV Outremer. Toute personne peut contacter l'Agence F (www.agencef.com) pour organiser dans les cinémas, les salles municipales, des projections débat.