Un brocanteur a acheté un masque gabonais à un couple de retraités 150€, pour le revendre ensuite aux enchères 4,2 millions d'euros. Chacune de leur côté, les parties ont revendiqué la propriété de cette relique, mardi 31 octobre, au tribunal d'Alès. Jugement rendu le 19 décembre.
4 millions d'euros. C'est la valeur qu'un masque traditionnel gabonais a prise sur le marché en à peine quelques mois. Un brocanteur l'avait acheté à un couple de retraités pour la modique somme de 150€, dans leur maison secondaire du Gard, en septembre 2021.
Après estimation de sa rareté, la pièce avait été vendue 4,2 millions d'euros dans une vente aux enchères à Montpellier, en mars 2022. Il s'agit effectivement d'un masque chargé d'histoire et de mythe : l'arme de justice secrète des chefs de la communauté Ngil gabonaise, dont il n'existerait plus qu'une dizaine d'exemplaires dans le monde.
Parole contre parole, les deux parties ont revendiqué sa propriété au tribunal d'Alès, ce mercredi 31 octobre 2023. Seul levier juridique pour faire annuler la vente : une erreur commise sur l'estimation des qualités du masque. Explications.
La déontologie du brocanteur mise en cause
Monsieur et Madame Fournier s'estiment lésés. "Si mes clients avaient eu conscience que ce masque était rarissime, jamais la vente ne se serait déroulée dans ces conditions-là", avance maître Mansat Jaffré, l'avocat du couple d'octogénaires, à la sortie de l'audience.
Sa défense met en cause "la déontologie" du brocanteur, "un professionnel" qui, selon lui, aurait dû connaître et informer ses clients de la valeur du masque.
Selon Maître Mansat, "on retourne aujourd'hui cette histoire contre les Fournier". A Ales, l'avocat est venu "rappeler leur bonne foi".
Une légèreté blâmable ?
Une "légèreté blâmable". C'est effectivement ce qu'a plaidé Maître Pijot, l'avocate du brocanteur.
Sculpté à la fin du XIXème siècle dans une tribu du peuple Fang, ce masque avait été accaparé à l'époque du Gabon français par un gouverneur. Monsieur Fournier n'est autre que son petit-fils : il a hérité du fétiche dans son grenier.
"Ce n'est pas un objet anodin. Il provient d’un aïeul qui avait une très haute fonction dans les colonies africaines", avance maître Pijot, avant de poursuivre : "Quand on a ça chez soi, on fait en sorte d’être un peu plus curieux avant de le mettre de côté et le céder."
L'État gabonais porte plainte
L'annulation d'une transaction étant juridiquement encadrée, seule une erreur établie dans le contrat de vente, pourrait, dans ce cas précis, rendre le masque aux Fournier. Or d'après maître Pijot, "ce que le vendeur avait la conscience de vendre et ce que l'acheteur avait la conscience d'acheter, c'était un masque africain, troué, à restaurer, avec du raphia et une boucle d'oreille rouge" - sous entendu : comme indiqué dans le contrat d'époque.
Son client maintient effectivement qu'il n'avait pas idée de la rareté de l'objet au moment de la vente. Rareté qu'il aurait réalisée plus tard, après l'avoir fait examiner selon lui.
Les Fournier réclament l'annulation de la vente et 300 000 € de dommages et intérêts. Le brocanteur, lui, dit leur avoir proposé cette somme après avoir fait expertiser l'objet. Mais depuis la traduction de l'affaire en justice, il retire aujourd'hui cette offre et souhaite garder la totalité de la somme gagnée aux enchères.
Il est possible qu'aucune des deux parties n'obtienne gain de cause. En effet, le Collectif Gabon Occitanie et l'Etat gabonais ont porté plainte : ils réclament le retour du masque sur ses terres d'origine.