"Le droit est le reflet des évolutions de la société", le livre référence du procureur de la République de Nîmes

"Le droit est quelque chose de vivant, une maison qui se construit en permanence." Eric Maurel, procureur de la République à Nîmes, propose un ouvrage "Cours de culture juridique et judiciaire" sous forme d'une centaine de fiches destinées autant aux spécialistes du droit qu'aux profanes. 

"C’est un livre à double commande de lecture. L’éditeur souhaitait un livre qui soit un fascicule de préparation à l’examen de la profession d’avocat ou au concours de la magistrature. Donc, par définition, un livre juridique, technique, fondé sur la règle de droit, la jurisprudence, véritablement dédié aux juristes," nous confie Eric Maurel, procureur de la République de Nîmes (Gard), dans un entretien.
 

Une bible


Une bible pour préparer l'épreuve d'admissibilité à l'Ecole nationale de la magistrature. Le 3 juin, l'épreuve du concours s'intulait "Connaissance et compréhension du monde contemporain". 250 postes étaient proposés : 192 pour le 1er concours réservé aux étudiants, 45 pour le 2e concours destiné aux agents publics et 13 pour le 3e concours s’adressant aux professionnels du secteur privé. 
 

"En puis, en le travaillant, je me suis rendu compte qu’il y avait un certain nombre de thèmes d’actualité qui intéressaient les juristes mais aussi tout un chacun : qu’est-ce que le droit de manifester, le recours à la force publique ? Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? etc.

Le livre s’est construit autour de la volonté de rester sur un noyau dur qui est de s'adresser à des professionnels du droit tout en permettant à une personne qui ne connait rien au monde judiciaire d’accéder à des notions : ce qu’est un juge d’instruction, un procureur de la République, de la manière la plus simple. Mais aussi la plus rigoureuse qui soit".

Système de fiches

L'ouvrage est constitué de 100 fiches didactiques. "C’est pour l’étudiant qui prépare ses concours mais c’est aussi le maire, le député, le chef d’entreprise qui a besoin d’une information. Qu’est-ce qu'une question prioritaire de constitutionnalité ? Comment fonctionne le conseil d’Etat ? Les relations internationales entre les juges ? Même les décideurs de la vie publique, même les journalistes vont trouver la matière à alimenter un article, une réflexion, un travail de fond".

L'idée est-elle de rendre le savoir accessible ?


Exactement. Il s'agit de partager le savoir, en pensant que chacun puisse être utilement armé. J’essaie d’expliquer que d’abord, le droit repose sur des grands principes, hérités de nos anciens, certains depuis la Rome antique, d’autres sous l’ancien régime, de la Révolution, d’autres foncièrement républicains.

Chaque citoyen peut trouver dans ce livre des éléments de réflexion civiques et citoyens. Quand j’aborde des termes comme la solidarité, la fraternité, j’évoque des choses techniques comme la jurisprudence constitutionnelle mais en même temps, tout le monde peut avoir besoin de savoir ce qu’est en droit la liberté, l’égalité ou la fraternité.
 

L'objectif du juriste est-il de rétablir l’harmonie sociale ?

Pour moi, le droit, la justice ont pour fonction de rétablir l’harmonie sociale, la capacité de vivre ensemble. Cela s’appelle une société, une nation comme on voudra. Ce livre me permet de faire passer ce message qui est de dire que le droit c’est aussi un lien entre nous, ce n’est pas quelque chose qui entrave, c’est au contraire quelque chose qui unit.

Le droit c’est aussi un lien entre nous, ce n’est pas quelque chose qui entrave, c’est au contraire quelque chose qui unit


La France n’est que le 35 ème pays dans le monde à avoir aboli la peine de mort. Ce n’est pas très exemplaire pour un pays qui se dit être le pays des droits de l’homme ?

Oui et nous n'avons pas non plus été le premier pays à abolir l’esclavage. Entre la proclamation des grands principes et notre capacité à les mettre en œuvre, il y a parfois du temps qui se passe, des inerties, des résistances à faire tomber mais peu importe, l’important ce n’est pas d’où on part, c’est là où on arrive. Ce que je démontre justement, c’est que le droit est quelque chose en constante évolution et que même si on a mis beaucoup de temps à abolir la peine de mort, aujourd’hui, ça fait partie de l’essence même de notre société.


Vous expliquez la nécessaire adéquation du droit à l’évolution de la société


Le droit, c’est quelque chose de vivant, c’est une maison qui se construit en permanence. Comme toute maison, il faut des fondations solides, ce sont les droits fondamentaux. Mais après, ce sont des maisons modulables. Le droit, c’est du lien, c’est le contrat social de pouvoir vivre ensemble. Aujourd’hui, on parle d’informatique, de conquête spatiale, le droit au respect de son corps, le droit à l’image.  A-t-on le droit de prendre des photos de quelqu’un et de les mettre sur les réseaux sociaux?

J’évoque dans le livre aussi le droit de mourir. C’est une question qui ne se posaient pas nos anciens. Le droit à la mort est un vrai sujet sur lequel le droit doit se pencher.
 

Vous évoquez le droit à la vie. Vous parlez aussi du droit à la sûreté (on pense bien sûr au terrorisme), le droit d’alerte (on pense aux lanceurs d’alerte). Des thèmes d’actualité.

Longtemps le droit a été un moteur de la société, aujourd’hui, c’est un reflet des évolutions de la société, qui évolue tellement vite que le droit ne peut pas rester figé. Le droit a toujours un temps de retard, nécessairement. La technologie, la science, les comportements sociaux évoluent très vite. Regardez la discussion que l’on a aujourd’hui sur l’usage du cannabis. Le droit évolue.


Vous parlez également du droit de la défense : "le droit à être jugé sans retard excessif". Ce n'est pas tout le temps le cas.

Non. On doit se fixer des objectifs ambitieux qui sont le respect des droits de l’homme, le respect des délais pour une justice équitable contradictoire et rapide. Après, c’est la question des moyens. Cette semaine, j'étais en dialogue de gestion avec mes supérieurs hiérarchiques au niveau de la cour d’appel pour discuter des moyens de la juridiction. Ce qui permet à une juridiction d’avancer, ce sont aussi les moyens dont on la dote, des moyens technologiques et humains.


Les lenteurs de la justice sont parfois nécessaires


Les lenteurs de la justice sont parfois nécessaires. Il faut le temps de l’analyse, de l‘expertise, de la réflexion. On ne décide pas non plus de manière abrupte. Mais il faut aussi que les gens aient des décisions, parce que c’est leur vie. Mais, c’est un vrai sujet de société. La question des moyens qui sont alloués à la justice relève de choix politiques.

 

La justice a-t-elle les moyens de fonctionner aujourd’hui ?


Non, mais ce n’est pas polémique dans ma bouche. Il est clair que nous manquons de magistrats, que nous manquons de greffiers. Les évolutions technologiques et la numérisation peuvent nous permettre d’aller de l’avant mais par rapport aux autres pays européens, le nombre de juges, de procureurs est largement inférieur aux normes européennes. Si nous appliquions ces normes, dans un tribunal comme Nîmes où il y a un procureur et 12 collaborateurs, donc 13 magistrats du parquet, nous devrions être 21, voire plus.

Nous sommes 13 magistrats à Nîmes, nous devrions être 21, voire plus

Je cite très souvent le philosophe Alain : "le pessismisme est un effet de l’humeur et l’optimisme, un effet de la volonté". Donc on a décidé d’être volontaire et on ne doute pas que cette justice que méritent nos concitoyens, on parviendra à la doter de moyens suffisants. Il faut toujours être optimiste.
 


Vous évoquez la surpopulation carcérale : "les droits des détenus ne sont pas garantis aujourd’hui."

Non et encore une fois c’est une question de moyens. Il y a des règles européennes de pénitentiaire qui s’appliquent en France et en dépit des efforts de tous les gouvernements, du courage et de la volonté du personnel pénitentiaire, les détenus ne voient pas leurs droits complètement respectés dans les prisons françaises. On a pris du retard par rapport aux autres pays européens.
Prenez une prison comme Nîmes, il y a 197 places et il y a 400 personnes qui sont écrouées dans cet établissement pénitentiaire, nécessairement, leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés.

On doit priver les gens de leur liberté,et ils doivent être punis pour ce qu’ils ont fait. Mais encore faut-il que la prison soit digne la République 

Dans un autre livre "Paroles de procureur", j’avais écrit un chapitre sur les prisons qui devraient être dignes des valeurs de la République. C’est un vrai enjeu. J’ai été membre de la commission de labellisation des règles pénitentiaires européennes, c’est un vrai enjeu de faire en sorte qu’un de nos concitoyens qui part en prison, ne parte pas aux oubliettes, parte dans un endroit dont il reviendra sinon meilleur, ce n’est pas le but mais mieux armé pour mieux respecter les règles de la société.

Faire en sorte qu’un de nos concitoyens qui part en prison, ne parte pas aux oubliettes


Dans la fiche 16, vous abordez les comptes-rendus d’audience. Certains magistrats ont des incompréhensions sur les évolutions des techniques des journalistes.Vous évoquez des lunettes de vue ou des stylos avec des caméras.

Pour certains, tous les moyens sont bons pour obtenir une image. Je l’ai vu. En même temps, les journalistes sont des vecteurs modernes de la publicité des débats. Nous ne devons pas nous renfermer dans notre coquille. De toute façon, l’information sortira donc autant contrôler ce qui se passe.

Les journalistes sont des vecteurs modernes de la publicité des débats

L’art 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 prohibe tout appareil d’enregistrement d’images ou de son dans une salle d’audience sauf cas particulier. Mais le live tweet , c’est encore autre chose. Il y a des présidents qui ne le souhaitent pas, qui l’interdisent. Maintenant, quand on fait une prise de notes sur son carnet, que l’on sort de la salle d’audience et qu’on donne à la radio ce qu’on vient d’écrire, c’est du live-tweet différé.

Donc, il faut aussi admettre la modernité, les évolutions, faciliter le travail des journalistes. Je pense que la justice a tout à gagner à travailler non pas contre les journalistes, pas avec, on ne fait le même métier mais en comprenant les impératifs des uns et des autres.

On n’a rien à cacher


Je reste persuadé que l’on est dans des cages de verre. Les tribunaux sont des maisons de verre, tout est transparent, on n’a rien à cacher. C’est un élément de démocratie que de permettre aux journalistes de rendre compte des débats. C’est du gagnant-gagnant. C’est du gagnant pour le citoyen, c’est du gagnant pour la justice.


Avec 7000 abonnés, vous êtes très présent sur twitter. A quoi cela vous sert- il aujourd’hui ?

A beaucoup de choses. D’abord à m’informer. J’apprends beaucoup de choses de ce qu’il se passe dans le ressort dont j’ai la responsabilité. J’apprends des situations qui relèvent de la fonction d’un procureur. Cela me permet de faire passer des messages sur ce qu’est le métier de procureur de la République.
 
Cela me permet aussi d’infirmer ou de confirmer des informations qui sont diffusées par des journalistes et parfois de tacler un peu un journaliste qui donne des informations qu’il n’a pas vérifiées avec un petit coup de griffre ou d’humour.

Nos concitoyens sont sur les réseaux sociaux dont twitter donc il faut être sur twitter

Le but est aussi de montrer aussi que le procureur est dans la cité. Nos concitoyens sont sur les réseaux sociaux. Ils lisent de moins en moins les journaux, regardent de moins en moins la télé. Aujourd’hui être procureur c’est aussi être un communicant. Avant il communiquait sur son piedestal dans sa salle d’audience.

Aujourd’hui, le procureur est dans la ville et on ne communique pas uniquement devant les caméras de la télévision ou avec la presse écrite. Nos concitoyens sont sur les réseaux sociaux dont twitter donc il faut être sur twitter. Et vous noterez d’ailleurs que de plus en plus de procureurs sont sur twitter. Comme celui de Grenoble dernièrement.

 

 


Dans une enquête menée auprès de 750 juges et procureurs, le Syndicat de la Magistrature évoque une souffrance au travail « massive » dans les tribunaux. Votre livre aborde également la paupérisation de jeunes confrères avocats.

Si on veut une justice excellente, il faut, bien entendu, des magistrats bien formés et si possible payés à la hauteur de leur responsabilité et nous avons la chance grâce à l’ENM, qu’il faut préserver, d’avoir l’une des meilleures écoles de magistrats au monde, peut-être la meilleure. Après l’Université, c’est une école de technique professionnelle où l'on apprend à être juge, procureur.

Ce qui fait un bon juge c’est un bon avocat


Il faut, pour les avocats, avoir ce même objectif d’excellence parce que je l’ai déjà dit dans un autre livre : ce qui fait un bon juge, c’est un bon avocat. Nous avons besoin d’avoir en face de nous de bons avocats, compétents et cette compétence elle se paie. Ils ont fait de longues études et méritent d’être payés à hauteur de leur engagement et de leur travail et la paupérisation du barreau est réelle.

Des avocats sont confrontés à des procédures de redressement judiciaire, des injonctions de payer, qui ne gagnent pas leur vie. Ce qui peut entraîner des dysfonctionnements  ou des comportements qui ne sont pas déontologiques.

On aura tous un jour ou l’autre besoin d’un avocat 


La paupérisation du barreau est un vrai sujet car le barreau est un garant de la démocratie. L’avocat c’est celui qui pour vous et pour moi défend nos libertés. On aura tous, un jour ou l’autre, besoin d’un avocat. Fasse que cet avocat ait les moyens financiers d’assurer notre défense.

Les médias ont tendance à mettre en avant la plaidoirie d'un avocat face au réquisitoire du procureur ou de l'avocat général. Cela vous gêne ?

Il y a une fascination pour la plaidoirie de l’avocat. D’abord, à nous d’être bons. Moi, je n’ai jamais cédé le terrain, ni l’espace, ni le ton, ni le temps aux avocats. Moi, j’exerce une présence forte à l’audience et encore plus aux Assises.

Notre client, c'est la société


Après, nous ne sommes pas là pour faire un concours d’éloquence, des joutes oratoires. Nous sommes là pour convaincre des juges, un jury. Chacun le fait à sa manière. La différence entre l’avocat et nous, est que notre "client" c’est la société. C’est à elle que l’on doit rendre des comptes. On défend l’intérêt général, le bien commun.

L’avocat légitimement défend son client, la parole de son client et sa parole peut être plus spectaculaire au sens noble du terme. Il n’est pas dans la même dynamique. Lui aussi doit convaincre. Lui aussi doit obtenir un résultat mais on nous ne sommes pas sur les mêmes impératifs. La parole du procureur ou de l’avocat général sera peut-être plus pédagogique, plus dans la démonstration, moins dans l’émotion. C’est peut-être aussi pour cela que l’on n retient moins ce que l'on dit.

"Culture juridique et judiciaire, tout le programme en 100 fiches", d'Erick Maurel est publié aux éditions Enrik B Editions. En librairie à partir du 12 juin 2019.














 
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