Près de l'usine hydroélectrique EDF de Golfech, en amont de la Garonne, les silures jouent les terreurs auprès des petits poissons qui ne passent pas vivants l'ascenseur à poissons. Pour la première fois, la Préfecture autorise EDF a en pêcher une cinquantaine. Les pêcheurs sont en colère.
Les hostilités sont déclarées entre les services de l'Etat et les pêcheurs du Tarn-et-Garonne au sujet du silure, un animal vorace et astucieux amateur d'anguilles, d'aloses et de saumons dans la Garonne. Le conflit trouve son origine du côté de l'usine hydroélectrique EDF de Golfech, et plus précisément auprès de l'ascenseur à poissons installé en 1987. Ce dispositif aide les poissons migrateurs venus de l'océan à passer le barrage d'une dizaine de mètres de haut construit avec l'usine mise en service en 1973. A leur descente de l'ascenseur, les aloses ou les lamproies qui remontent le fleuve empruntent un canal censé les ramener à la Garonne où elles poursuivent leur migration pour aller se reproduire en amont. Si elles sortent du canal...
Car les silures qui abondent en amont "ont compris la manip'", dit Guillaume Pauly, directeur technique de la fédération locale de pêche. Ces omnivores opportunistes ont un appétit à la mesure de leur taille: les spécimens de plus de deux mètres et cent kilos ne sont pas exceptionnels. Sans attendre leurs proies, ils s'engouffrent dans le canal à leur rencontre. Dans cet espace de 250 mètres de long et 2X2 mètres, les médiocres nageurs que sont les silures ont la partie facile. Le phénomène tient largement aux températures élevées enregistrées ces dernières années, dit Laurent Carry, chargé de mission à Migado, une association qui oeuvre à la restauration des migrateurs dans la Garonne et la Dordogne. Avec le réchauffement des eaux, les silures, affamés par l'effort de reproduction en amont, redescendent le fleuve à la recherche de nourriture non pas fin juin ou en juillet mais en mai-juin, en pleine saison de remontée des migrateurs.
En 2013, il a fait plus froid et la vidéo qui filme les mouvements dans le canal n'a observé de silures qu'une centaine de fois. C'était entre 600 et 1 000 les années précédentes, dit M. Carry. Tous les silures de la Garonne ne s'invitent pas au festin. Mais certains ont leurs habitudes: "Au cours d'une saison, il pouvait arriver que la moitié de ceux qu'on réussissait à reconnaître revienne toutes les nuits".
Les avis sont partagés sur l'ampleur des dégâts
A la fédération de pêche, on dit que les pertes "restent à quantifier". La préfecture vient de prendre un arrêté autorisant EDF à capturer une cinquantaine de silures en 2013 dans le canal, c'est une première. La fédération de pêche a décidé de saisir le tribunal administratif. C'est à se demander si le silure n'est pas puni pour "délit de faciès, même si c'est vrai qu'il a une sale gueule", avec sa tête plate, sa très large bouche, ses barbillons et ses yeux minuscules, dit le directeur technique de la fédération. Rien ne prouve scientifiquement que la présence du silure soit pour quelque chose dans la rareté des saumons ou des anguilles, dit-il. Si la fédération se dit "en colère", c'est que le silure suscite un fort engouement auprès de pêcheurs qui ont changé: plus jeunes, plus sportifs, plus respectueux de la nature, dit M. Pauly. Sur les berges de Saint-Nicolas-de-la-Grave, en amont de Golfech, "les gens viennent de toute l'Europe pour capturer un silure de plus de deux mètres".
A l'usine hydroélectrique, voisine immédiate d'une centrale nucléaire, on veut se tenir à l'écart de la querelle: "Notre rôle, c'est de faire fonctionner l'ascenseur", dit Serge Galiano, responsable de l'aménagement hydraulique. Après, "tout ce qui tourne autour des poissons" n'est pas son affaire. Pour les pêcheurs, le silure est un bouc émissaire pour tous les autres dangers qui guettent les migrateurs ailleurs sur le fleuve. Les populations d'anguilles ou de saumons ne seraient sûrement pas ce qu'elles sont sans les barrages sur le fleuve, soulignent-ils.
Regardez cet étrange spectacle que celui de silures en train de croquer quelques pigeons sur les berges du Tarn, en décembre 2012. Ces poissons carnivores adoptent de nouveaux comportements de prédations, observent par les scientifiques.