Crise Covid. Guerre en Ukraine... Entre augmentation du coût de l’énergie et difficulté d’approvisionnement, le prix du papier s’envole et le monde de l’édition traverse une crise majeure.
Le monde de l’édition peine à sortir la tête de l’eau. Entre l’augmentation du prix du papier et les délais d’impression rallongés, la trésorerie devient ingérable. « Tout a commencé avec la crise du Covid-19. Le papier manquait et les délais de livraisons ont commencé à s’allonger », souligne Frédéric Lisak, directeur des éditions toulousaines Plumes de Carotte.
Puis, à chaque nouvelle vague épidémique, l’étau s’est resserré sur les petites maisons d’édition, jusqu’à atteindre les librairies. « Pour nous, le pire a été en décembre dernier, avec les fêtes de Noël. Certains titres étaient rapidement en rupture de stock et il fallait commander en grande quantité, ce que les librairies indépendantes ne peuvent pas se permettre », se souvient Elias Farès, gérant de la boutique de quartier Le Chameau Sauvage.
Une situation qui dure
Fin 2021, une pénurie de papier était annoncée. Depuis, l’alerte s’est tue. Et pourtant, la situation ne s’est pas améliorée. « La production de papier est en baisse dans le monde depuis des années, rappelle Gautier Marchal, directeur adjoint de l’imprimerie toulousaine Evoluprint. C’est inexorable. »
Cependant, si la production baisse, le prix de la production restante, lui, ne fait qu’augmenter. « Produire du papier demande beaucoup d’énergie. Il faut savoir que le papier en lui-même représente 30% du prix final d’un imprimé. » Ces dernier temps, l’imprimerie constate une hausse de 100 à 150€ pour une tonne de papier, soit 10% du prix.
Le poids de la guerre
En plus de l’explosion des prix de l’énergie, qui touche tous les Français, une nouvelle variable vient intégrer l’équation déjà complexe des imprimeurs : la guerre en Ukraine. Car les pays du Nord, dont la Russie, sont de gros exportateurs de pâte à papier, indispensables au fonctionnement des imprimeries françaises. « Nos stocks sont assez élevés, donc nous n’en ressentons pas encore les effets. Mais ça ne saurait tarder… » souffle Gautier Marchal.
À cette guerre et aux effets durable de la crise sanitaire s’ajoute un conflit social dans l’une des entreprises les plus importantes du marché du papier : UPM, 18 000 employés, basée en Finlande. « Nous sommes très inquiets car le conflit social dure depuis un mois et devrait être reconduit. C’est beaucoup à gérer », ajoute Gautier Marchal.
Et si toutes ces augmentations ne sont pas encore répercutées sur le prix de vente des livres, c’est parce que ce marché, très stable, ne le permet pas. « Un livre pour enfant, par exemple, explique Frédéric Lisak, ne peut pas dépasser 20€. Sinon, il ne trouvera pas d’acheteurs. » Et chaque collection a son seuil de vente. « On est dépassé. On parle d’une augmentation de 15%, voire plus, sur le prix d’impression des titres prévus au printemps. »
Mais alors, que faire pour compenser ce déficit de trésorerie ? « Certains professionnels acceptent de prendre un autre papier, d’en changer le grammage… pour les brochures c’est bien, mais un livre avec un papier plus fin, ça se voit », analyse Gautier Marchal, en charge de la partie commerciale d’Evoluprint.
Un avenir flou
Parmi les 500 clients de l’imprimerie, toutes les maisons d’édition, peu importe leur taille, sont concernées. « Il faut aussi prendre en compte les délais de livraison du papier. Avant nous recevions notre commande en quelques jours, maintenant ça peut prendre des mois. »
Prévoir des délais de livraisons de plusieurs mois, c’est anticiper la sortie des collections une saison en avance. Un poids pour des éditeurs déjà débordés. « Notre stratégie pour l’instant, c’est de serrer les dents », annonce Frédéric Lisak, épuisé. Une solution à court terme, il en a bien conscience, mais il garde espoir.
« Les éditeurs se tournent de plus en plus vers le numérique », constate Gautier Marchal. Une tendance de fond, qui devrait s’inscrire dans la durée, en particulier avec tous les problèmes accumulés ces derniers mois. « Si ça continue on pourrait arrêter temporairement notre activité », ajoute le directeur adjoint. Une éventualité qui ne le réjouit pas mais à laquelle l’entreprise doit se préparer, dans le cas où la situation ne montrerait pas de signes d’amélioration.