Une employée à la retraite de l'Inrae de Toulouse (Haute-Garonne), Pierrette C. est morte début novembre de Creutzfeldt-Jakob. Elle est la deuxième employée de l'institut décédée de cette maladie en deux ans. L'avocat de la famille de la première victime demande à la justice d'enquêter sur ce nouveau cas.
Pierrette C. est décédée le 6 novembre 2021 à Blagnac (Haute-Garonne) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'information a provoqué une véritable déflagration au sein de la communauté scientifique effectuant des recherches sur les prions, cet agent pathogène responsable des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST).
Technicienne de recherche à la retraite de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Pierrette C. appartenait à l'unité de recherches Interactions Hôtes-Agents Pathogènes (IHAP), implantée à l’École Nationale Vétérinaire de Toulouse (Envt). Sa mort pousse Me Julien Bensimhon a alerter le parquet de Paris afin d'enquêter sur les circonstances de la contamination de Pierrette C.
Des circonstances de contamination similaires
L'avocat représente la famille d'Emilie Jaumain. Cette dernière également technicienne de laboratoire à l'Inrae est décédée le 17 juin 2019, de cette même maladie neuro-dégénérative incurable, à l'âge de 33 ans. La jeune femme aurait contracté la maladie de Creutzfeldt-Jakob en 2010, en se coupant au cours de la manipulation de fragments de cerveaux de souris infectées par des prions, dans une autre unité de l’Inrae, à Jouy-en-Josas (Yvelines). Suite à la plainte déposée par ses proches pour homicide involontaire, une information judiciaire a été ouverte à Paris.
"Ce sont les circonstances similaires de la contamination d'Emilie Jaumain et de Pierrette C. qui m'amènent à alerter aujourd'hui le parquet", explique Maître Bensimhon.
Comme révélé par France 3 Occitanie, Pierrette C. aurait déclaré deux accidents de travail qui pourraient être à la source de sa mise en contact avec le prion. Des informations similaires à l'avocat parisien.
En juillet dernier, lorsque le cas de Pierrette C. a été annoncé, l’Inrae affirmait qu'il n'y avait pas de traces du moindre accident de travail. Mais selon mes informations, lors de leur venue à Toulouse le 8 et 9 novembre, les enquêteurs du ministère de la Recherche et celui de l’Agriculture auraient trouvé deux déclarations d’accident du travail, une en avril 2004 et une autre en septembre 2005. Lors du premier événement, Pierrette C. aurait été coupée alors qu'elle utilisait un appareil servant à réaliser des tranches de cerveaux ou de parties d’animaux contaminées par le prion. La deuxième fois, elle se serait là aussi entaillée la main, mais avec une lamelle en verre de son laboratoire.
Maître Julien BensimhonAvocat de la famille d'Emilie Jaumain
"Faire passer la recherche avant la sécurité"
Deux accidents similaires à celui qui a entraîné la contamination d'Emilie Jaumain. Pour Me Bensimhon, il ne fait aucun doute que l'une et l'autre ont été contaminées dans leur milieu professionnel. "Dans les laboratoires du style de l’Inra, on fait passer la recherche avant la sécurité, assure-t-il. C’est un peu le syndrome "Marie Curie". On passe outre les consignes de sécurité car elles sont contraignantes et on essaie de faire de la recherche avant tout."
Selon un syndicaliste de l'Inrae, souhaitant rester anonyme, "on ne déclare pas ce type d'accident dans les labos. Parfois, on peut même empêcher les déclarations."
"Dans les laboratoires, c’est mal vu, rapporte Maître Julien Bensimhon. Parce que cela voulait dire que l’on était, soit un peu maladroit, soit responsable d'une mise en danger des unités pour des questions de sécurité. Les gens ne déclarent pas. Après, si la maladie apparaissait, l’Inra venait dire : "mais on a aucune certitude que cela vient de chez nous. Regardez ces personnes durant les années 90, dans les cantines scolaires." C’est ce qu’ils ont dit pour Emilie. Selon eux, elle aurait été contaminée dans les années 90 par la voie alimentaire comme tous les écoliers de France."
L'Inrae coupable d'inaction ?
Dès 1997, dans une note, l'Inra indiquait aux laboratoires travaillant sur le prion sa dangerosité et les mesures nécessaires pour éviter tout incident. L'usage de gants anti-coupure y est par exemple fortement recommandé, mais rarement appliqué. "La sécurité est particulièrement succincte dans certaines unités de recherche" rapporte notre syndicaliste. Malgré le danger, les gants anti-coupure ne sont pas utilisés car limitant trop la dextérité." Emilie Jaumain n'avait que deux gants en latex, l'un sur l'autre, lorsqu'elle s'est coupée. "Sûrement comme Pierrette C." estime Julien Bensimhon.
La preuve, pour l'avocat parisien, "l’Inrae savait dès 2004 qu’il était possible de se blesser et d’entrer en contact avec un prion en manipulant les appareils servant à trancher, présents dans les laboratoires prion. L'Institut aurait dû faire évoluer ses pratiques, ce qu’elle n’a pas fait."
En attendant la justice, des premiers éléments de réponse devraient être connus dans le courant du mois de décembre. Les enquêteurs de l’Igesr (Inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche) et la Cgaaer (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) rendront leurs conclusions sur les conditions de contamination ou non de Pierrette C. au sein de l'Inrae.