"Il faut isoler ces prédateurs" : un surveillant de l'école Notre-Dame de Bétharram suspendu après 33 plaintes pour violences et agressions sexuelles

33 personnes ont depuis le début de l’année 2024 déposé plainte auprès du procureur de Pau (Pyrénées-Atlantique) pour des faits de violences et d’agression sexuelles au sein de l’école Notre-Dame de Bétharram de 1986 à 1989. Parmi ces poursuites, 5 visent un surveillant de l'établissement religieux toujours en poste. Sous la pression, il vient d’être finalement suspendu le 14 février dernier.

Fin janvier 2024, Alain Esquerre déposait 20 plaintes au tribunal de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Le 13 février, 13 autres venaient alourdir les accusations de violences et d’agressions sexuelles dans une école privée renommée des Pyrénées-Atlantique, Notre-Dame de Bétharram. "C'est l'une des histoires de pédophilie les plus importantes de France des cinquante dernières années". Alain Esquerre sait de quoi il parle : c'est un ancien élève de ND de Bétharram. Parmi ces plaintes, 8 visent un seul et même homme. Un surveillant toujours en poste lorsque l’affaire éclate au grand jour. Le 14 février, le sexagénaire a finalement été suspendu.

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Stéphane, abusé en vacances par un surveillant de Bétharram

Cet individu, Stéphane (prénom d’emprunt) le connaît très bien. Il a alors 13 ans quand il débarque à Bétharram en 1986. Pensionnaire, il avait déjà subi des violences physiques dans un établissement landais. "À Bétharram, les douches étaient chronométrées, 7 minutes je crois. Dès la première semaine, et alors que le temps était écoulé, un surveillant me sort violemment tout nu de la douche et je me fracasse la tête contre le mur en face. Première humiliation."

Le surveillant de l'époque va partir et celui qui le remplace va aller bien plus loin. "Pour sortir de cette prison qu'était Bétharram, je m'étais inscrit dans beaucoup d’activités dont le scoutisme. C'était ce surveillant qui s'en occupait. Au départ, c'était une relation sympathique. L'été 87, nous faisons un camp sur une île bretonne. Il gagne la confiance de ma famille. Le voilà invité pour des vacances à l'étranger. Au moins à 2 reprises, alors que je faisais la sieste l'après-midi, il m'a rejoint dans la chambre. Il m'a réveillé. Il s’est alors adonné à des attouchements avec fellation. J’étais paralysé. Je suis resté immobile sans bouger."

Selon Stéphane, plus rien ne s'est passé ensuite de retour à Bétharram. "J’ai fait d’autres camps de scoutisme, j’usais de feintes et d’habileté pour l’éviter. Je dormais jamais seul. On se mettait à plusieurs dans les tentes. On savait que c’était un prédateur. J’étais chef d’une patrouille et un matin, un jeune est venu me voir en pleurant. Il avait vécu les mêmes choses que moi." 

Stéphane a longtemps gardé le silence. Jusqu'à il y a quelques jours, sa femme et ses enfants n'étaient pas au courant. "Le 8 février, j'ai déjeuné à Toulouse avec une relation professionnelle. Ça m’est tombé du ciel. On ne savait pas que nous étions tous les 2 des anciens de Notre-Dame de Bétharram. J’ai fini par lui dire : j'ai subi des violences. Il m'a répondu : moi aussi. Il commençait à trembler."

Il décide alors de contacter Alain Esquerre qui a créé le groupe Facebook des anciens du collège et lycée de Bétharram victimes de l'institution.

Ci-dessous la photo de l'établissement "Le Beau Rameau" ex ND de Bétharram. La plaque aurait été enlevée ces derniers jours.

"Je dois dire merci à Alain. Il a levé cette affaire, il fait parler les gens. C'est un mec fantastique. Je ne pouvais pas continuer à me taire. Le dimanche 11 février 2024 j'ai commencé à rédiger ma plainte". Une action d’autant plus importante à ses yeux que le surveillant travaille alors toujours au sein de l’établissement.

Un sexagénaire visé par plusieurs plaintes

Devant l'ampleur et la redondance du phénomène, Alain Esquerre a tenté d'alerter les autorités. "J'ai mobilisé les maires d’Igon (64) où se trouve l'établissement de "Beau rameau" et celui de Montaut (64). Le Prefet des Pyrénées-Atlantiques a été informé ainsi que l'inspection académique. Je n'ai pas eu de réponse. J’ai rencontré lundi soir 12 février le directeur de Bétharram, Romain Clercq. Il m’a répondu qu'il n’avait pas suffisamment d’éléments pour suspendre ce surveillant toujours en exercice. J’ai alors proposé de lui lire 1 ou 2 témoignages. Il a refusé de les entendre". 

Selon nos informations ce sexagénaire est à Bétharram depuis 1984. Il aurait été convoqué par la gendarmerie dans les années 2 000 pour des faits similaires. 

Aujourd'hui, il est la principale cible des plaignants et sur les faits les plus graves. Un autre surveillant général s'est vu incriminer des mêmes faits de nature sexuelle. Il est resté à Bétharram jusque dans les années 90 puis parti dans un collège privé à Chateauroux (Indre) où il est resté en fonction jusqu'à sa retraite en 2018 sans jamais être inquiété. 

"Il y a des connivences entre les laïcs et les pères pour abuser des enfants. J’ai un témoignage en ce sens. On ne se cache plus, on est sur de la pédophilie décomplexée. C’est ce qui est inquiétant. Tous les pères directeurs qui se sont succédé dans les années 80-90 étaient agresseurs sexuels. C’est le 3e corpus de plaintes que je déposerai dans les prochaines semaines qui le démontrera", déclare Alain Esquerre. 

L'Église réagit

Finalement, le surveillant a été suspendu le 14 février 2024. Dans un communiqué signé par Romain Clercq le chef d'établissement et le père Jean-Marie Ruspil (Vicaire régional de Bétharram), l'institution précise : "Le salarié mis en cause n’est plus en poste depuis le 14 février, afin d’appliquer un principe de précaution sans remettre en cause la présomption d’innocence. De plus, l’établissement a écrit au procureur pour lui indiquer qu’il était à sa disposition pour collaborer pleinement à l’enquête dans le seul intérêt des victimes et lui a signifié sa volonté de se porter partie. La congrégation des religieux de Bétharram manifeste toute sa compassion à l’égard des victimes et s’associe aux mesures engagées par l’établissement. En fonction de l’enquête, nous tirerons toutes les conséquences des faits établis, dans l’intérêt premier des élèves de l’établissement.

L'évêque du diocèse de Bayonne, Lescar et Oloron Mgr Marc Aillet s'est lui aussi fendu d'un communiqué le 16 février. "Les témoignages publiés dans la presse et sur les réseaux sociaux ainsi que les nombreuses plaintes qui ont été déposées ces derniers jours auprès du Procureur de la République de Pau, semblent malheureusement attester qu’un certain nombre d’anciens élèves de l’établissement Notre-Dame de Bétharram ont été victimes, entre les années 70 et les années 90, de violences ou de sévices, mais aussi d’agressions sexuelles et de viols, dont se seraient rendus coupables des prêtres ou religieux et des laïcs de l’établissement. Visé par plusieurs plaintes, un salarié de cet ensemble scolaire (renommé Le Beau Rameau en 2009), vient d’ailleurs d’être écarté de l’établissement... Dans notre diocèse comme dans l’ensemble du pays, les catholiques et l’opinion sont, à juste titre, terriblement choqués par ces révélations, comme je le suis moi-même, toujours solidaire des victimes que nous devons porter dans la prière."

Bétharram à plusieurs reprises dans la tourmente

Ce n'est pas la première fois que ND de Bétharram et l'ensemble scolaire du "Beau Rameau" fait la une des médias. En 1996, des parents, plusieurs élèves et même une enseignante avaient rompu l'omerta pour parler de ce qui se passait dans cette institution béarnaise : "Ici, le climat de violence est tel que les enfants reproduisent le schéma auquel ils sont habitués" avait-elle déclaré au journal Libération.

Mais à l'époque, il s'agissait de "coups et blessures volontaires" ou encore de "traitements inhumains et dégradants" comme par exemple de se retrouver en slip et t-shirt en plein hiver, dehors sur le perron suspendu au-dessus du gave. Un comité de soutien à Bétharram s'était alors formé pour monter au créneau et défendre l'établissement. Parmi les noms prestigieux : le couturier Jean-Charles de Castelbajac ou encore le député RPR Michel Péricart.

Cette fois, le scandale est sexuel. Le 1e février 2024, parquet de Pau a ouvert une enquête pour des faits d'agressions sexuelles et de viols au sein de l'Institution ND de Bétharram. Certaines plaintes sont prescrites mais pas toutes. Pour Alain Esquerre, la justice ne peut pas en rester là : "Oui, tout ceci peut se terminer par un non-lieu... J’en doute avec ce qui va arriver." 

Car les témoignages se multiplient et le nombre de victimes continue d'augmenter. Beaucoup ont rejoint le groupe Facebook "Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution" et une boîte mail dédiée a été ouverte pour recueillir les témoignages. 

Certains anciens élèves se sont suicidés face au fardeau insupportable à porter. Stéphane tente de faire face. "Comment est-ce possible qu’il y ait autant de tordus ? Il faut isoler ces prédateurs. J'en ai parlé à mon entourage et les langues se délient. Je ne veux pas que ce soit une lutte personnelle. Je veux dire à tout le monde qu'il faut faire attention aux enfants. Je n'ai pas envie qu'on soit dans la compassion. Les indemnités ? Je m'en moque, si j'en ai je les redistribuerai à ceux qui en ont besoin. Je pleure, je me tape des remontées d'angoisse mais on ne peut pas laisser les gens seuls face à ces monstruosités."

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