Témoignages. Violences sexuelles, châtiments corporels : 20 anciens élèves de cette école privée de prestige saisissent la justice

Publié le Mis à jour le Écrit par Benoît Roux
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Un ancien élève de l'établissement scolaire Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) a déposé mercredi 31 janvier 2024, un dossier pénal avec 20 plaintes pour violences, dont cinq pour des abus sexuels, auprès du procureur de Pau. Les faits de violence se sont produits principalement entre 1980 et 1990. L'un des auteurs présumés est toujours en activité au sein de l'école.

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Alain Esquerre est un ancien élève de l'établissement scolaire Notre-Dame de Bétharram de 1980 à 85. "Heureusement, j'étais externe. J'ai donc échappé à certaines violences qui avaient lieu dans les dortoirs. Je n'ai pas eu de sévices sexuels, mais j'ai reçu à plusieurs reprises des coups au visage d'une violence inouïe, des coups de pied alors que j'étais au sol...J'avais 13-14 ans. À Betharram, la violence était organisée en système pédagogique. Tout était prétexte pour asséner des coups."

Alain n'est malheureusement pas la seule victime de religieux ou de laïcs de Bétharram. 20 plaintes seront reçues le 1er février 2023 par le procureur de la République de Pau. Ce dernier a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire.

Des témoignages accablants

Notre-Dame de Betharram était à l'abri de tout soupçon : une réputation prestigieuse depuis 1853, une discipline supposée remettre sur la bonne trajectoire les élèves, des familles prestigieuses qui lui font confiance (des politiques comme François Bayrou, le couturier Jean-Charles de Castelbajac...). Et pourtant, le collège et lycée privés Notre-Dame de Bétharram ont connu des faits pas vraiment catholiques. 

Parmi les 20 plaintes recensées pour l'instant, cinq ont trait à des violences sexuelles. Une première victime présumée que nous appellerons B. était en primaire à Bétharram entre 86 et 91. "J'ai été victime d'attouchements sexuels réalisés par un surveillant de Bétharram qui faisait des camps de scouts pendant les vacances. Nous étions sur l'Île-aux-Moines (Morbihan). Cet homme m'a demandé de venir dans sa tente pour dormir. Je m'étais endormi lorsque je me suis subitement réveillé. Le surveillant était en train de me masturber. Lorsque j'ai éjaculé, il a mis le sperme sur ma bouche. Chaque soir dans la tente, il faisait venir un enfant."

Il se trouve que le père de B. était un ami de ce responsable chez les scouts. Quelques années plus tard, alors que B. est majeur, l'homme revient chez son père et lui dit : "si tu parles, je dirais que tu étais consentant." 

Des faits qu'il n'a pas encore révélés à sa femme. En revanche, B. a saisi la CRR (Commission Reconnaissance Réparation) créée pour reconnaître et tenter de réparer les personnes victimes de violences sexuelles présumées commises par des membres d’instituts religieux. 

Ce surveillant toujours en fonction à Notre Dame de Bétharram n'est pas le seul incriminé. Un autre laïc parti à la retraite en 2018 se serait lui aussi livré à des attouchements sexuels. 

J'ai subi à plusieurs reprises et de façons répétées des attouchements sur mes parties génitales, des fellations (je ne savais pas ce que c'était à l'époque) ainsi que des baisers forcés à l'âge de 11ans. Cette personne m'entraînait soit à l'infirmerie, soit dans sa chambre et me mettait sur ses genoux.

Olivier, interne à Bétharram entre 1981 et 1983

Et Olivier de raconter d'autres horreurs physiques, comme de se retrouver en pleine nuit en slip durant des heures sur le perron, juste au-dessus du Gave. "Si tu fais le con, tu vas au perron" était le dicton en vigueur. À l’époque, il a voulu tout raconter à sa grand-mère qui lui a répondu sèchement : "arrête de mentir !" Bien plus tard, il s'est décidé à se confier à sa mère. Elle s'est alors mise à pleurer car elle n'était pas au courant; la grand-mère n'avait rien dit à sa fille.

D'autres victimes racontent les gifles qui partaient au hasard, les fessées à derrière nu, des ongles et des cheveux arrachés, des coups très violents. "Cette perversité allait même jusqu'à coller les enfants concernés les week-ends, pour éviter que les parents découvrent les bleus et les coups sur le corps de leurs enfants", déclare Alain Esquerre qui a monté un groupe Facebook. Selon lui, plusieurs victimes se trouvent en Occitanie : Colomiers (31), Lugan (81), Juvignac (34) ou encore Luquet (65).

Un groupe Facebook pour libérer la parole

Alain Esquerre habite à quelques centaines de mètres de Bétharram. Il avait bien sûr lu les faits reprochés au père Carricart, lui aussi accusé de violences sexuelles. Il a fini par se donner la mort en 2000. 

Ces faits et d'autres, il en avait entendu longuement parler. Il a même recroisé à différentes reprises des prêtres ou des laïcs. "Jamais personne de Notre-Dame de Bétharram n'est venu me voir pour me reparler de ces violences."

 Alors en octobre dernier, Alain se décide à agir et rompre le silence. Il crée un groupe Facebook : Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution et une boîte mail dédiée pour recueillir les témoignages. Ce groupe compte 272 membres. "J'ai créé le site le 14 octobre 2023. J’ai cherché s'il y avait d'autres groupes et il n'y avait rien sur Facebook. Aucune amicale, ni association d’anciens élèves malgré les milliers d’enfants qui s’y succèdent depuis plus de 80 ans ! Par contre, je sais que j’y ai vécu des heures sombres, j’ai vu les visages ensanglantés des gamins, ça marque à jamais. Moi-même j’ai eu des humiliations, des coups. Ce n'était plus possible de ne rien faire, ni de ne rien dire."

Alain Esquerre a donc eu une vingtaine de témoignages et il y en aura certainement beaucoup d'autres. Trois personnes sont visées aujourd'hui, dont le père Silviet Carricart qui aurait abusé au moins de cinq personnes et qui est donc mort en janvier 2000. "J'ai bien expliqué aux victimes que ces plaintes sont symboliques. Le procureur peut classer tout ça sans suite. Je m'attends toujours au pire, mais il ne peut pas faire ça. Je sais que la justice est limitée par manque de moyens et de possibilités d’investigations. Mais je fais confiance à celui qui représente la société pour nous tous. En investiguant, de nouvelles victimes vont se présenter. Nous ne sommes que la partie émergée de l'iceberg car beaucoup de victimes restent dans l'ombre. Nous avons été trahis par ces hommes, ils ont trahi nos parents, nos familles, de nombreux prêtres de la congrégation, les évêques de France et l'Education nationale."

Toutes les victimes sont dans une démarche constructive, avec un besoin puissant et urgent de parler. Certains se seraient suicidés, d'autres ont toujours des traumatismes et sont suivis psychologiquement, 40 ans après les faits. "Quand je suis parti au lycée, je redoutais de me faire gifler dès lors qu’un adulte passait à côté de moi", reconnaît Alain Esquerre.

La direction de Notre-Dame de Bétharram se répète

L'institution scolaire et religieuse de Bétharram avait dû s'exprimer une première fois en 2017 lors d'une enquête canonique lancée par l'évêché de Bayonne. En 1957, Jean-Marie Delbos avait 10 ans lorsqu'il aurait été abusé par un prêtre de Bétharram. L'enquête de l'Eglise conclura alors à un non-lieu. Le chemin de croix ne faisait que commencer.

Depuis, le rapport Sauvé sur les abus sexuels au sein de l'Eglise est passé par là. Un mois après sa publication en novembre 2021, les évêques ont rendu hommage aux victimes lors d'une cérémonie à Lourdes. Jean-Marie Delbos a alors crié sa colère sur l'esplanade de la cité mariale. “La repentance, c’est pipeau”, a dénoncé l'homme qui depuis a atteint les 75 ans. Prenant la presse à témoin, il a réclamé que son prédateur, “revenu dans sa communauté, soit sanctionné et défroqué”

Des mesures financières ont depuis été annoncées par la CRR pour Jean-Marie Delbosc qu'il juge insuffisantes.

"L'administration couvrait tout, reconnaît Alain Esquerre. Si c'était maintenant, j’aurais assigné l’Education nationale du fait du contrat d’enseignement qui lie l’institution à l’Etat, car les établissements de ce type devraient être contrôlés par l’état. C'était l'omerta dès qu’on faisait des signalements. Les religieux demandaient que les parents se plient à tout ce que la structure demandait. Ils devaient s’y conformer en totalité. Pour les parents, la force de l’Église catholique était plus importante pour que la chair de leur chair."

Nous avons contacté par mail et par téléphone la direction de Notre-Dame de Bétharram. Le père Jean-Marie Ruspil nous a répondu. "Je me permets de vous envoyer ce que mon prédécesseur (NDR : Laurent Bacho) avait écrit en novembre dernier, j'adhère à ses mots : Bien sûr ma première réaction,  c'est d'être attristé de ce fait car nous sommes convaincus qu'un collège catholique est appelé à assurer une éducation des jeunes non pas à travers la peur et la violence mais plutôt par une rencontre éducative où l'adulte, qu'il soit prêtre ou laïc, invite le jeune à se corriger non par la contrainte mais à travers des conseils circonstanciés. Il est donc très regrettable que de la violence ait pu être utilisée envers des enfants et des adolescents; nous sommes donc très peinés de constater que cela a pu se produire dans notre établissement."

Comme son prédécesseur, le père Jean-Marie Ruspil regrette que les faits rapportés fassent abstraction de tout ce qui a été positif dans cet établissement. "Depuis le mois de novembre dernier, j'ai moi-même reçu des témoignages d'anciens élèves surpris pour ne pas dire choqués, par ce qui était rapporté dans l'article de FR3 Nouvelle Aquitaine, relayé par les journaux de Pau. Ils regrettent que ne soient pas mis en lumière les bons souvenirs d'anciens, comme l'indiquait l'actuel chef de l'ensemble scolaire du Beau Rameau".

Doit-on en conclure que ces "bons souvenirs" suffisent pour effacer tout le reste ?

Ces faits peuvent aujourd'hui être connus et jugés désormais par la justice. Au-delà d'un chèque, d'un soulagement, d'une réparation et d'une reconnaissance pour les victimes, de telles atrocités ne peuvent pas rester sous le manteau du silence et de l'impunité. Certains prédateurs n'étant toujours pas identifiés ou encore pire : toujours en activité.

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