REPORTAGE - Nous avons suivi un groupe qui colle des messages sur les murs de Toulouse pour lutter contre les féminicides et surtout frapper les esprits.
Ce mardi matin, les riverains et les passants du quartier chic de Saint-Etienne, en plein coeur de Toulouse, auront eu du mal à ne pas voir les messages affichés sur les murs.
Colle à papier peint et détermination
Le petit groupe d'activistes pacifiques s'est réuni en début de soirée dans l'appartement de l'une d'entre elles. Il faut préparer le matériel, notamment la colle à papier peint, beaucoup de colle, des sceaux entiers de colle. Et puis se préparer à agir vite, discrètement, dans la nuit, pour que les collages puissent frapper les esprits au petit matin.Le matériel ainsi préparé, armé d'une détermination sans faille, le groupe d'une dizaine de personnes (dont un homme) prend la direction du centre-ville.
La consigne est de ne pas dégrader les lieux : pas de collages sur les vitrines ou les commerces. Le groupe part en chasse de murs suffisamment bien placés pour que les messages soient bien vus et assez difficiles d'accès pour qu'ils ne soient pas détruits trop rapidement.C'est émouvant de voir ainsi les femmes se réapproprier les murs de la ville" (Sophia Antoine, militante féministe)
Le collage peut alors commencer.
Hashtags internationaux et messages locaux
Il faut parfois escalader des murets, grimper à la force des bras sur des armoires électriques ou télécoms instables, laisser la colle vous couler sur les bras et les vêtements mais pour ses militant.e.s, cela en vaut la peine.Le groupe est d'ailleurs plutôt jeune. C'est qu'il faut être agile pour ces collages et le manque d'expérience dans les actions de ce type est compensé par la détermination à servir une cause juste.
Sur chaque feuille de format A4, une seule lettre. Mises côte à côte, ces feuilles abondamment encollées forment des mots, ces mots formes des phrases.
"Pas une de plus" (#pasunedeplus), "Am I the next ?" (#amithenext?, suis-je la prochaine ?), "Le silence nous tue", "Je suis féminicidophobe"... Les messages frappent les esprits, interrogent... Il n'y a pas d'explications supplémentaires, pas de "revendications".
Mais à ces messages "génériques" s'ajoutent des collages locaux.
"Eliane (26 ans) poignardée 20 fois par son mari à Toulouse", en référence au féminicide qui s'est déroulé dans un immeuble de Toulouse le 25 août dernier.
La maman de Sarah, victime de violences conjugales, participe au collage
Parmi les bras qui s'agitent sur les murs de Toulouse pour coller ces messages, ceux de Carole Giraud. Sa fille Sarah, victime des coups de son conjoint, a mis fin à ses jours en décembre 2008.Depuis, sa mère se bat pour que justice soit faite mais aussi pour que les pouvoirs publics luttent activement contre les violences dans le cadre conjugal.
Ma fille est morte par suicide forcé. Je me dois d'être là pour les familles de victimes. Ce qui me fait vivre aujourd'hui ce sont les petites actions, qui, je l'espère, feront prendre conscience à nos politiques. Les paroles c'est bien mais les actes c'est mieux. Il faut de l'argent pour mettre ces femmes à l'abri. La mort de ma fille c'était il y a 10 ans et en 10 ans, rien n'a avancé. Que la police mette au moins des amendes à ces hommes qui frappent leur femme pour qu'ils prennent conscience que ça coûte de donner un coup. Car un coup peut tuer" (Carole Giraud, maman de Sarah)
106ème féminicide de l'année en France
La prise en charge par l'Etat des femmes en danger, l'inefficacité de la police ou de la gendarmerie en cas d'alerte, la difficulté de pousser les femmes à se protéger, à se mettre à l'abri, parfois avec leurs enfants, sont autant de sujets dans les conversations de ces militantes.Vers 23h30 le collage se termine. Sans véritablement le faire exprès, les affichages ont été faits dans le quartier tout autour de la préfecture de région. Ce lundi, on a appris la mort de deux femmes. Les 105ème et 106ème féminicides depuis le début de l'année en France.Il faut rendre visibles les féminicides (...) Nous voulons des dispositifs d'éloignement du conjoint, nous voulons des bracelets électroniques... Les féminicides ce n'est pas une fatalité, c'est un fléau et ça peut s'endiguer (Sophia Antoine)
La soirée est terminée, les collages sont bien visibles. Resteront-ils suffisamment longtemps pour être vus, pour frapper les esprits, ou le nettoyage par les services de propreté de la ville va-t-il en faire des messages ephémères ?
Pas grave. Le groupe a prévu de repasser à l'action, plusieurs soirs encore. Un premier groupe avait déjà collé dans d'autres quartiers de Toulouse. Une carte recense d'ailleurs les rues où les collages ont eu lieu.