Jean-Paul Dubois : "Le Goncourt cela apporte l’immense privilège d’être maître de son temps"

L'écrivain toulousain, Jean-Paul Dubois, est le lauréat 2019 du prix Goncourt pour son livre "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon" (L'Olivier). L'auteur lève le voile sur la place de Toulouse, son inspiration, son rythme. Entretien.

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  • Quel est votre état d’esprit ?

"Serein. Tranquille. Comme avant. Rien n’a changé. Tout est pareil. Sauf que j’ai expérimenté quelque chose que je n’avais jamais vu, c’est être capable de provoquer autant de joie auprès de gens qui vous aiment. Mon éditeur. Tous les gens de la maison d’édition qui étaient dans un état de bonheur et ça c’est un truc qui m’a bouleversé."
 
  • Pour qui écrivez-vous ?

"Moi, j’écris pour quelques personnes. C’est-à-dire les personnes que j’ai dans la tête. Les personnes de ma vie. Les personnes qui ont disparu, que j’aime, auxquelles je tiens. C’est un petit monde pour lequel vous écrivez. Vous n’écrivez jamais pour un grand nombre. C’est très compliqué de savoir pour qui ont écrit. Il y a des moments. Il y a des moments où je suis avec mon père, à d’autres moments je suis avec ma mère, à d’autres moments je suis avec mes enfants. C’est au fil des étapes du livre que vous vous approchez selon les personnages de ces gens qui vous ont fait, qui vous ont fabriqué, qui vous ont donné une façon de voir le monde. Mais vous n’écrivez pas pour des lecteurs. C’est impossible d’être aussi abstrait que ça." 
 
  • Quelle place a Toulouse dans votre travail ?

"Il y a un Toulouse que je connais comme ma poche car j’y suis né. Mais c’est un monde qui n’est pas réel dans un livre. Il est très précis pour moi mais ce n’est pas Toulouse. C’est des endroits qui correspondent à un moment d’une vie. C’est assez compliqué. J’essaie d’être précis dans mes sentiments. Les décortiquer pour savoir ce que je ressens vraiment. Est-ce que les mots que l’on emploie correspondent à une réalité que je ressens ? Souvent ce n’est pas ça. Toulouse, pour moi ce sont des bouts. Une petite cour derrière l’église Saint Etienne où j’allais jouer au basket. Dès que j’avais un moment, je me tirais faire une course de mobylettes autour du Grand Rond. C’est des mondes de l’enfance."
 
  • Que va vous apporter le Goncourt ?  

"Le Goncourt cela apporte l’immense privilège d’être maître de son temps. C’est à dire, par exemple, si je n’ai pas envie de travailler cette année, si quelqu’un est malheureux auprès de moi je vais m’occuper de cette personne. Je vais soigner mon chien. Je vais aller voir des gens que j’aime. Je vais perdre mon temps. Je vais réparer des toitures. Arranger des bagnoles. Souder des tondeuses. A la veille du prix, je soudais un portail." 
 
  • Ecrire est-ce un privilège ?

"C’est un privilège dans la vie que l’on mène aujourd’hui, dans le monde dur, violent, régit par des horaires, des règles. Avoir cette liberté, c’est un métier ultra privilégié et chanceux. C’est des trucs de gosse. On vous donne un chèque et on vous dit va jouer. Et je vais aller jouer. Bien sûr !"
  
  • Etes-vous paresseux ?

"Je suis ultra feignant lorsqu’il s’agit de bosser, de me lever le matin et d’aller à un bureau mais à la fin de ma vie s’y l’on additionne, la somme de travail, des vrais travaux, physiques ou autres, même lorsque j’écris des livres et même lorsque j’ai travaillé au Nouvel Obs durant 30 ans. J’étais un dilettante mais j’ai bossé. J’ai une autre forme de travail. C’est moi qui me l’impose. Je peux travailler jusqu’à 4-5 heures du matin mais je vais me lever à midi. Et un patron qui accepte ce type d’horaires aujourd’hui, c’est atypique. Je ne suis pas un paresseux mais j’organise mon courage de travail." 
 
  • D’où vient votre inspiration ?  

"C’est la vie, le combustible qui alimente le personnage central du livre. C’est un type que je connais comme ma poche. Il est gardien d’immeuble. Je l’ai appelé à Montréal. Je lui ai dit « Serge, tu as le Goncourt. » Et vous auriez entendu le cri de joie qu’il avait. Ce sont des gens comme ça, qui sont tellement merveilleux ou tellement salopard. Il y a toutes les catégories de l’espèce humaine qui vous imprègnent et dix ou quinze ans après tout ça va se mettre dans un certain ordre, dans un entonnoir. Ca va infuser et vous aller avoir à partir d’éléments disparates de rendre ces éléments cohérents et "loyal". Lorsque je dis loyal. C’est une forme de sincérité dans l’histoire. C’est jamais fabriqué, ni de l’effet spécial. Tous les gens qui sont là sont des gens qui m’habitent. Les morts et les vivants aussi."
  
  • Qui est Serge, le héros de votre roman ?

"Pour moi Serge, c’est un type qui fait partie de ma vie. Vous pouvez très bien faire un film sur ce gars. Wenders peut faire un truc comme ça. C’est l’homme modeste mais c’est le point de rencontre due 68 résidents qui s’appuient sur lui-même s’ils ne le voient pas. Il aide les gens à sortir. Il fait les courses lorsqu'il y a de la neige ou de la glace. Il a une humanité universelle. Il a des doigts d’or. Il sait tout faire. C’est ça que j’envie chez lui. Cette capacité de tout réparer, moi qui ai l’obsession de la réparation. Donc c’est des gens que j’aime. Cela doit se voir lorsque je parle de lui que ce n’est pas un personnage de fiction." 
 
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