Artiste confinée comme tant d'autres, Ankor, a voulu refaire vivre ses tableaux pour le grand public. Elle a donc décidé de les déposer dans la rue. Objectif : donner à nouveau accès à ses oeuvres et retrouver un sens à ce qu'elle fait.
Il était une fois une artiste qui avait perdu la foi en ce qu’elle faisait. Les salles d’expositions avaient à nouveau fermé, et professionnellement comme artistiquement, le premier confinement avait été pour elle "une catastrophe". Sa dernière expo de septembre n’avait pas marché plus que ça. Puis elle a eu une idée.
J’allais partir pour faire les courses. Et j’ai vu ce tableau. Je me suis dit : si je le déposais dans la rue pour que les gens le voient et pourquoi pas pour que quelqu’un le prenne… » Ankor, artiste peintre
Au début, elle est hésitante, « j’avais peur de gêner » raconte-t-elle. Alors sans plus de cérémonial, elle l’abandonne près d’une maison en construction. En construction comme son projet ? La jeune femme appelle désormais ça son « jeu de confinement ».
« J’avais mis au dos de la toile un mot pour expliquer qu’elle était à donner. Je ne voulais pas qu’elle soit jetée » explique-t-elle avec modestie. Une heure trente plus tard, l’oeuvre avait disparu et j’avais reçu un message de remerciement sur Instagram.
Jeu de confinement
Son deuxième « dépôt » est plus réfléchi. « J’avais envie que le geste ait une symbolique cette fois-ci, qu’il renvoie éventuellement à un autre artiste ». « Près de chez moi, du côté de l’avenue de la Gloire à Toulouse, il y a un graff de Loïc L sur un mur. Il représente la statue de la Liberté qui se cache les yeux, significatif en ce moment… Alors j’ai déposé mon tableau, une femme qui pleure, à côté ».
Cette fois-ci Ankor ne part pas mais attends. Deux hommes arrivent et lui demandent ce qu’elle fait là. Tout de suite, ils se disent intéressés pour récupérer l’œuvre. « Je les aidés à la transporter chez eux, puis on est resté un moment à discuter. C’est là que je me suis à nouveau rendu compte que ce que je faisais était utile ».
Retrouver la foi
Les deux badauds gagnent un tableau, elle, retrouve sa « foi perdue » en l’art. D’autant que le parcours d’Ankor n’est pas rectiligne. Titulaire d’un Bac littéraire et artistique, elle enchaîne sur histoire de l’art à la fac du Mirail. Mais elle ne mettra jamais directement en application ce qui va lui être enseigné.
Elle « part dans totalement autre chose », travaille pendant des années avant, il y a cinq ans, de se « mettre à créer ». Aujourd’hui encore elle n’aime pas parler d’elle et a du mal à se définir en tant qu’artiste : « Ma première exposition s’inspirait de Basquiat, mais ça s’arrête là ».
Art figuratif, destruction et reconstruction
Ses oeuvres débutent par des formes géométriques qu’elle découpe et donc elle récupère les morceaux pour les insérer ailleurs et « en faire du figuratif ». Elle construit des visages et des personnes, dont la bouche est coupée dans des magazines. « Mais ce n’est pas du collage insiste-t-elle, tout y est peint ou dessiné ».
Mais ainsi donner ses oeuvres n’est-il pas contraire à la vocation d’artiste, notamment en peinture ? « Ce que je donne n’est pas un vrai travail abouti. Ce sont plutôt des essais sur bois, sans finitions, contrairement à mes oeuvres à vendre qui, elles sont sur toile » explique la peintre.
Comme un concert en live
Elle voudrait d’ailleurs que d’autres artistes fassent comme elle. L’un d’entre eux lui a répondu sur les réseaux sociaux. Lui, aussi offre ses travaux, depuis des années. Des intitiatives qui ne sont pas sans nous rappeler celle du toulousain James Colomina l'un des précurseurs du dépôt d'oeuvres d'art dans les rues de la ville rose et ailleurs.
Ankor travaille déjà à sa troisième oeuvre à donner. Elle la déposera dimanche ou lundi prochain près d’un Monument de Toulouse qui répondra à la symbolique du tableau.
« Aujourd’hui on ne peut plus rien faire, juste se balader une heure dans la rue, alors autant que ce soit avec plaisir » rajoute malicieusement l’artiste. « Finalement c’est un peu comme les musiciens qui ont fait des concerts en live lors du premier confinement ».