Le metteur en scène présente à partir de vendredi "Le Château de Barbe-Bleue" de Béla Bartok et "Le Prisonnier" de Luigi Dallapiccola à l'Opéra du Capitole de Toulouse.
Après le cirque, la danse, le théâtre, le metteur en scène Aurélien Bory, l'un des plus décapants de sa génération, monte pour la première fois un opéra, à Toulouse, repoussant les frontières d'un des arts les plus codés.
De la brume envahissant la scène, une jeune femme émerge et s'avance jusqu'au public. Mais si elle ouvre la bouche, ce n'est pas pour sortir un son, mais pour mimer la parole et soutenir le langage de ses signes. Choisir le silence pour ouvrir un opéra : il n'y avait que le très singulier Aurélien Bory pour s'oser une telle liberté.
"On me reconnaîtra", confesse-t-il à l'AFP depuis le Théâtre national du Capitole à Toulouse, où le metteur en scène présente à partir de vendredi "Le Château de Barbe-Bleue" de Béla Bartok (1881-1945) et "Le Prisonnier" de Luigi Dallapiccola (1904-1975), deux oeuvres majeures du XXème siècle.
Considéré comme un des artistes phares de la scène contemporaine internationale, Aurélien Bory a été nommé cette année par le magazine Les Inrockuptibles parmi les cent artistes qui "réinventent la culture".
Une salle de spectacle sans acteurs, un duo pour robots, une flamenca qui danse avec son ombre... : le Toulousain d'adoption dépoussière l'art, tout en décloisonnant les genres. A la tête de la Compagnie 111, il s'est installé à la croisée de nombreuses disciplines (théâtre, cirque, danse, arts visuels, musique). Ainsi a-t-il "immédiatement dit oui" quand on lui a proposé de monter un opéra. "J'y avais déjà pensé", confesse cet amateur de musiques en tous genres. "J'aime beaucoup mélanger les arts et j'aime me situer sur un terrain nouveau. J'aime l'ouverture".
De toute façon, l'opéra n'est pas si différent du théâtre, sa discipline phare. "Il s'agit de théâtre musical", lâche-t-il. Le passage au lyrique s'est donc fait "naturellement": "C'était la même démarche. Une scène est une scène", assure-t-il, avant de lancer : "je suis chez moi".
A l'opéra, le "théâtre physique", dont Bory s'est fait la spécialité, s'est donc déployé à merveille. Ainsi, les trois femmes assassinées par Barbe-Bleue sont devenues des danseuses qui se tordent en mouvements tels des fantômes dégingandés. Et le prisonnier de l'opéra éponyme s'écroule parfois sur le rideau de scène, comme pour mieux signifier sa douleur face à la torture dont il est victime.
"Ma ligne, c'est le visuel, le corps, une scénographie toujours en mouvement. C'est la physique de la scène", explique Aurélien Bory. Le goût immodéré de l'artiste pour l'espace et la lumière n'a lui non plus pas été frustré. Ainsi, sur les fonds de scène du "Prisonnier", sont projetés les dessins que crayonne en direct le Belge Vincent Fortemps, à la rudesse idéale pour cet opéra très sombre.
Quant à la lumière, omniprésent personnage, elle sculpte toute la scène: elle éclaire tantôt d'un mince faisceau de lampe poche le menton d'un personnage, alors devenu fantomatique, ou traverse tout le château de Barbe-Bleue d'un rouge sang quand la chambre de torture est découverte.
"L'opéra doit être un lieu vivant", tranche Aurélien Bory, quand on lui demande s'il a peur des critiques des publics les plus conservateurs. "Ce qui nous a guidés, ce sont les oeuvres elles-mêmes", assure-t-il. "La mise en scène est là pour permettre aux yeux de voir et aux oreilles d'écouter".
L'expérience de l'opéra "m'a plu énormément", lance-t-il. Après la création de "Espèces d'espaces" de Georges Perec, qu'il présentera en 2016 au Théâtre national de Toulouse (TNT), le touche-à-tout se verrait bien remonter sur une scène lyrique. "Si on me le propose à nouveau, ça me plairait beaucoup".