Entre Occitanie et Afrique, les pérégrinations du milan noir "Tille" soigné par l'école vétérinaire de Toulouse et équipé d'une balise solaire par la société Xerius Tracking, sont observées par les scientifiques. Une façon de mettre la technologie au service de la biodiversité.
Certains ont un fil à la patte. Lui a une balise solaire sur le dos.
Les étudiants de l'école vétérinaire de Toulouse, qui ont récupéré en avril 2019 ce milan noir criblé de plombs de chasse et une aile brisée, l'ont baptisé "Tille".
Hospitalisé à la clinique des Nouveaux Animaux de Compagnie (NAC) et de la faune sauvage, ce rapace appartenant à l'espèce protégée du nom latin de milvus migrans y a été nourri et soigné.
"Tille n'a pas subi d'intervention chirurgicale, ça aurait été trop risqué, mais il a été pris en charge médicalement", se souvient le docteur Guillaune Le Loch'h, professeur à l'école vétérinaire. On a dû lui laisser les plombs dans le corps".
Avant son relâché, afin de pouvoir le géolocaliser pour suivre ses migrations, Tille est donc équipé sur le dos d'une petite balise GPS de 18 grammes, avec un lien Argos permettant de suivre par satellite les déplacements du rapace. Recouvert d'un petit panneau solaire, le système doit éviter tout souci d'autonomie.
Des données de suivi du rapace à la disposition de tous, en open data
Les données envoyées par la balise sont publiées en open data en temps réel par Xerius Tracking "pour permettre à des scientifiques qui n’en ont pas les budgets de pouvoir suivre la migration de Tille", explique Virginie Périlhon-Delepoulle, responsable du projet chez Xerius Tracking.C'est ainsi, depuis cet été, la deuxième migration vers l'Afrique de Tille observée depuis qu'il a été relâché.?Tille continues his migration [...] and is already in Western Sahara after having crossed 4 countries
— XeriusTracking (@XeriusTracking) September 1, 2020
??✅??✅??✅??✅??✅#tech4wildlife #biodiversite @env_toulouse @CNRS_Toulouse @Univ_Toulouse @4Vultures @HawkConservancy @Otis_inglorius pic.twitter.com/vOfu2PrbA5
Sur Google Earth, son parcours le montre franchissant une première fois les Pyrénées, au mois de juillet 2019, et traversant l'Espagne, puis le Maroc, la Mauritanie, le Mali et la Guinée, survolant notamment les décharges pour s'y nourrir. Lors de son voyage retour en 2020, à partir du Maroc, Tille emprunte souvent, à 6 kilomètres près, le même itinéraire qui le ramène dans la région de Toulouse.
Un rapace qui se nourrit dans les décharges et les déchetteries
Virginie Périlhon-Delepoulle suit tous les jours son parcours et commence à "bien connaître l'oiseau". "Je sais qu'il est particulièrement fana de déchetteries, notamment en France", raconte-t-elle. Pendant le confinement, intriguée par son positionnement répété, au même endroit, près de Montauban, elle craint qu'il ne soit mort. Elle part alors à sa recherche. Et le retrouve au-dessus...d'une déchetterie. "C'était assez compliqué. Il volait assez haut. Et puis pour repérer une balise de 18 grammes sur son dos, ce n'était pas évident. Mais je crois l'avoir vu. Enfin, pour moi, c'était lui", se persuade-t-elle. "Il était avec quatre autres milans. Il s'est peut-être mis en couple". Lorsque la déchetterie du Tan-et-Garonne a été fermée et recouverte d'une bâche, Tille a mis le cap sur une déchetterie, tarnaise, près de Graulhet.Plusieurs centaines de kilomètres par jour
En couple ou pas, en pèlerinage ou pas, Tille s'est ensuite rendu au-dessus de Lourdes, où il a probablement attendu des courants ascendants favorables. Au moment du grand chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens le rapace en a profité pour traverser d'une traite les Pyrénées et filer vers l'Afrique via l'Espagne.Ce mardi, il était au-dessus de la Mauritanie, au Sahara Occidental. Sa balise envoie un signal toutes les 4 heures, soit 6 points de signalement par jour. "Il peut être extrêmement rapide, souligne son observatrice. Entre chaque point, il peut y avoir plusieurs centaines de kilomètres". S'il se comporte comme l'an passé, Tille ira au plus loin jusqu'en Guinée. Mais il séjournera essentiellement au-dessus du Mali, dans la région de Bamako. "Si dans cette région en guerre il ne prend pas une roquette", espère la responsable de son suivi.
Suivre les milans pour repérer les décharges sauvages
Cette expérience de suivi de Tille permet à la petite société (5 employés, et bientôt 7) de tester le matériel, qu'elle fabrique de A à Z sur place dans l'agglomération toulousaine. La mise à disposition des données en open data la fait aussi connaître dans les milieux de la recherche et de la protection de l'environnement."Tille fréquente beaucoup les déchetteries, mais aussi les décharges sauvages auxquelles on fait particulièrement la chasse en Espagne. Le suivi de milans permet de repérer ces décharges dans un enjeu écologique", calcule Virginie Périlhon-Delepoulle.
Tille, milan soigné mais à qui les plombs n'ont pu être retirés du corps, représente également un cas d'étude de la toxicité du plomb et de son délai d'action dans le corps de l'animal. "Va-t-il présenter des signes d'intoxication ?", s'interroge Guillaume Le Loch'h. "A priori cela ne l'empêche pas de migrer. Mais arrivera-t-il à se reproduire ? D'un point de vue scientifique, il faudrait répéter l'expérience de Tille sur d'autres animaux, mais nous n'en avons pas le budget", explique le professeur de l'école vétérinaire dont la clinique a depuis soigné un autre milan noir également criblé de plombs. La ligue de Protection des Oiseaux (LPO) ne serait pas la dernière à s'intéresser à Tille.
Fous, outardes, caracas, cigognes et autres pigeons ramiers pistés par Xérius Tracking
Un tel suivi d'animaux balisés permet à la communauté scientifique de mieux appréhender leurs mouvements spatiaux temporels. Car Xérius Tracking piste en partenariat avec des organismes scientifiques bien d'autres espèces.Un flamand rose au Mexique, un caracara à Ushuaïa, des fous aux Seychelles, des outardes en Ouzbékistan, un circaète jaune et une cigogne blanche en Alsace, sans oublier quelques pigeons ramiers dans l'Hexagone.
Les données récoltées ont valu un article ("Analysis of temporal patterns in animal movement networks") en janvier dernier dans la très sérieuse revue scientifique britannique Methods in Ecology and Evolution.