Ce jeudi 7 mars 2024, un nouveau portrait de Claude Nougaro trônera sur un mur de la ville rose. Il est l'oeuvre du photographe Patrick Ullmann, célèbre pour ses photos prises sur la scène de l'Olympia. "J'avais 2 grands amis artistes : Léo Ferré qui était mon père et Claude Nougaro mon grand frère". Il raconte ses clichés mais aussi des anecdotes croustillantes sur "le Sarrazin de Toulouse".
La photo grand format de Claude Nougaro que les Toulousains peuvent voir près de la place Saint-Pierre vient d'être changée à l'occasion du 20ᵉ anniversaire de sa mort. Elle se trouve à l'intersection des rues Valade et Pargaminières.
L'ancien portrait était signé Odile Mangion. Le nouveau est signé par son ami photographe qui a réalisé des milliers de clichés à l'Olympia : Patrick Ullmann. Il nous raconte quelques moments savoureux partagés avec l'artiste, son "grand frère" comme il aime à le qualifier. On peut voir tout son travail sur son site internet.
Patrick Ullmann, racontez-nous cette photo que les Toulousains vont découvrir ?
Patrick Ullmann : Claude se tient à une grille devant le portail de Saint-Sernin à Toulouse. Le cliché date de 1975. Claude avait fait une tournée qui passait par la Halle aux grains. Je suivais sa tournée depuis 10 jours et nous sommes venus devant le parvis de Saint-Sernin pour faire ce cliché.
Je suis un Sarrazin, c'est un sage qui me l'a dit
Il y a une anecdote durant la prise de vue ...?
P.U. : Sur les marches de Saint-Sernin, tout en haut, il y avait un clochard assis sur la dernière marche. Il était d'ailleurs très beau. Au bout d'un moment, il s'adresse à Claude en disant "je te connais. Tu es un Sarrazin !" C'était inattendu et Claude me regarde en disant : "Il m’a complètement compris". Et depuis ce jour, il disait souvent : "je suis un Sarrazin, c’est un sage qui me l’a dit."
L'inauguration et la mise en place de la nouvelle photo ce jeudi 7 mars. Vidéo d'Amélie Poisson, France 3 Occitanie.
Comment avez-vous rencontré Claude ?
P.U. : Cétait un ami d’enfance. Je suis né à Vichy et juste à côté, il y a la commune de Cusset (Allier). Le père de Claude chantait souvent au grand casino de Vichy. Il s'était lié d’amitié avec le proviseur du collège tant et si bien que Claude était pensionnaire du collège et il avait même une chambre particulière. Mon frère était dans le même collège. Ils sont devenus très amis.
Plus tard, Nougaro s'est installé à Paris dans le XVII. Mon frère est devenu l’avocat de Claude. Un jour, il me dit : "ce serait formidable si tu photographiais Claude Nougaro. Moi, j'apprenais mon métier de photographe. J’étais timide, Claude était gêné de prendre la pose. Les photos n'ont pas été correctes. Je ne l'ai pas revu pendant 2 ou 3 ans.
Claude Nougaro n'aimait pas se faire photographier ?
P.U. : Non, effectivement. Il était très difficilement photographiable, pas photogénique et mal à l’aise devant l'objectif. Nous nous sommes revus par l'intermédiaire d'une amie : Chris Grafitti qui animait des émissions sur France Inter. Elle me reparle de Nougaro. Depuis notre première expérience, j’étais devenu un peu plus photographe. Je suis retourné le voir. J’ai fait des photos qui l’ont satisfait. Il était content, car je ne lui ai pas demandé de sourire. Avec moi, il était en confiance. Je n’étais plus un intrus, mais un ami. Ça m’a permis de faire des photos que d’autres n’ont pas faites.
Le début d'une grande amitié ?
P.U. : J’avais un studio sous la scène de l’Olympia et j'ai photographié de nombreux artistes. J'ai eu 2 grands amis dans la chanson : Léo Ferré qui a été un père et Claude Nougaro un grand frère. Et c'était compliqué, car les deux ne s'aimaient pas. Claude en voulait beaucoup à Léo. Il me disait : "ton poète, c'est un assassin !" J’ai décidé de les réconcilier. On a mangé ensemble chez moi. Ce soir-là, il y a eu un répit, mais ils ne se sont jamais revus.
Elle est belle ma girafe
Ensuite, il est venu chez vous à La Franqui (près de Leucate dans l'Aude) ?
P.U. : Je louais une villa là-bas depuis la petite enfance. Claude me disait : "un jour, je viendrai". Je le vois arriver à l'Olympia où j'avais mon studio et il me dit : "Patrick, je dois te faire une confidence, je suis un alcoolique et je voudrais me guérir. Mais c’est très difficile, l’équivalent de gravir un sommet de cristal avec des semelles de plomb ! Il me faudrait un ange pour me soulever avec son aile. Veux-tu être cet ange ?"
Et il n'est pas venu tout seul ?
J'étais à La Franqui et on me convoque au téléphone, car à l'époque, il n'y avait pas de portable ni de téléphone personnel à la maison. Il me dit : "Je viens te voir. Ne sois pas surpris, je serais accompagné d’une girafe !" Un taxi arrive de Toulouse. Je vois sortir une femme splendide, une Peul qui faisait 2m05. "Elle est belle, n’est-ce pas, ma girafe". Il est resté chez moi avec elle.
Un opéra cathare
Vous l'avez initié aux châteaux cathares ?
Je travaillais effectivement sur les lieux cathares. Claude me dit : "m’emmènerais-tu voir les Cathares ?" Nous avons fait plusieurs châteaux, mais l'apothéose, c'était Montségur. À l’époque, c'était très compliqué d'y accéder. Nous étions aux alentours du 15 août et il faisait très chaud. Il a voulu déjeuner pas très loin. Le Fitou a commencé à circuler. La canicule, un bon repas et du vin plus que de raison, le cocktail était pas mal. Il a fallu ensuite escalader pour aller au sommet. Nous avons tout de même réussi. Une fois en haut et toujours en état d'ébriété, il déclare : "c’est magnifique, je vais écrire un opéra cathare."
Et il l'a fait ?
P.U. : Non, je ne crois pas. En revanche, ç'a a été fatal pour sa compagne. "Cette femme est une sorcière. C’est à cause d’elle que j’ai chuté pour monter. Je la renvoie demain". Nous l'avons amenée au train et elle est repartie pour Paris. Mais ce n'est pas tout. Le lendemain, il a voulu acheter la presse où il y avait un article qui titrait : "Hier, à Montségur, visite surprise de Georges Brassens en touriste." Il me regarde en disant : "Ah les cons !" Même près de chez lui, on ne l'avait pas reconnu.
Vous avez gardé des relations jusqu'à la fin ?
P.U. : La dernière photo remonte à 1994 à l’Olympia. On est resté en contact. Il habitait à Paris à côté de Notre Dame. On se voyait très souvent, mais à la fin, quand ça n'allait plus et qu'on le savait condamné, je n’ai pas eu le courage de le voir. C'était une force de la nature et c'était impossible pour moi de le voir ainsi.