La quatrième journée « La vie après » organisée par l'Oncopole aura lieu le 9 octobre dans le cadre d'Octobre Rose, le mois de prévention du cancer du sein. Des ateliers-découvertes ou soins sont proposés, ainsi qu'une conférence sur les émotions.
L'Oncopole de Toulouse organise une journée "La vie après" dans le cadre du mois de prévention du cancer du sein Octobre rose. 16 ateliers sont proposés aux patientes, dont la conférence d'un psychologue-clinicien sur les émotions. 5 questions à ce conférencier, Jonathan Grondin.
Pourquoi une conférence sur les émotions ? Faut-il les dompter ?
Les émotions, quelles qu'elles soient, sont normales et naturelles. On en a besoin, même si elles sont par moment désagréables à ressentir. Leur intensité est variable et elles peuvent se manifester de manière différenciée... ça va de l'absence de manifestation (et ça n'est pas un problème) à des manifestations très bruyantes.
Il y a une valorisation de l'expression émotionnelle d'un point de vue sociétal. Mais on assiste à une injonction paradoxale : on valorise l'expression des émotions mais il faut qu'elles soient maîtrisées.
C'est vrai que personne n'est très à l'aise quand quelqu'un est débordé par les émotions... Bref on demande aux gens d'avoir des émotions, mais pas bruyantes. Or le but est que chacun s'exprime comme il peut que ce soit lors du diagnostic, pendant le traitement ou durant l'après cancer.
Il y a des émotions spécifiques associées à l'après cancer ? N'est-ce pas une libération ?
Ce n'est pas forcément aussi simple. Le traitement d'une certaine manière contenait l'angoisse. Quand les rendez-vous s'estompent, la personne qui a été encadrée, "couvée", "protocolisée" peut se retrouver seule avec un sentiment d'être lâchée dans la nature, abandonnée.
Et puis revenir dans la "vie normale" ne va pas de soi. C'est plus complexe qu'il n'y paraît. Même si la personne a la volonté d'avoir une vie dite normale, elle peut rencontrer des difficultés du fait de son parcours qui lui a fait rencontrer la maladie et la mort.
Elle revient dans une vie où les repères peuvent avoir changé. Tout comme la dynamique familiale. Elle doit ré-apprivoiser sa vie. Ces personnes ont un manque de visibilité sociale (on parle peu de l'après cancer). Cela ne les rend pas légitimes, alors qu'elles le sont, à s'exprimer et faire reconnaître leur désarroi ou le fait qu'elles peuvent se sentir mal.
Quel est votre objectif dans cette conférence ?
Mon but est que le patient puisse être comme il est, qu'il ne subisse pas la pression du patient héroïque magnifié par les médias... Celui qui a réussi à transformer son expérience et à en faire quelque chose de positif, de porteur.
J'étais moi-même dans cette forme de pensée. Mais une patiente m'a fait réfléchir en me disant "ça m'a juste emmerdée, ça m'a servi qu'à ça dans ma vie le cancer". Ce témoignage m'a amené à me remettre en question.
Il n'y a pas une manière de se comporter comme patient lors du diagnostic, pendant le traitement ou après. Plus on construit des normes, plus les gens se sentent oppressés. Au final, les normes oppressent tout le monde.
En tant que psychologue, quel est votre rôle ?
Chaque personne arrive avec sa propre histoire, sa propre singularité et elle se débrouille avec ce qui se passe. Si elle est trop submergée, c'est important qu'elle ait un espace d'élaboration avec un psychologue.
Cela permet de comprendre ce qui se passe, observer les processus psychiques en nous, les émotions qui nous traversent, les émotions internes, les pressions... L'idée est de déplier, de "déplisser" tout ça. Parfois de se délester d'une pensée.
Par exemple, il arrive que les histoires se téléscopent : une patiente dont la mère est morte du même cancer. Même s'il existe des dispositions génétiques ou familiales, il faut décoller sa propre histoire de celle de sa mère. Il peut y avoir identification, téléscopage... Echanger avec un psychologue peut permettre de retrouver son chemin singulier.
Dans la plupart des cas, on aboutit à un apaisement. La personne peut voir ses ressources propres, se permettre de parler de choses auxquelles elle a peur de se confronter seule ou d'évoquer avec les médecins ou la famille. ça peut être par exemple la question de la mort.
Peut-on parler d'émotions négatives ?
On peut supposer que la peur, l'anxiété, la tristesse, la colère sont des émotions négatives. En fait, elles sont adaptatives. Lorsqu'on va assister à une agression, on va être envahi par la peur ou la colère. Ce sont des émotions adaptées.
L'idée est de ne pas être dans le jugement des émotions qui nous traversent. Par exemple, une jeune femme qui est malade depuis toute jeune et qui manifeste son ras-le-bol, mais se culpabilise de cette colère. Elle ajoute de la culpabilité alors que sa colère est légitime et lui permet de tenir de bout par exemple. C'est une émotion adaptée.
Il y a une image sociétale : le malade a le droit de se plaindre, mais pas trop. Or quand on est malade, on est parfois anxieux, triste. Avec cette tyrannie du positif, les patients peuvent être amenés à penser que si le traitement ne fonctionne pas, c'est de leur faute. Parce qu'ils n'ont pas été combattifs par exemple. Ce sont des pensées qui ne servent qu'à "plomber" les gens.
La dépression est une maladie psychique et il est important de consulter un psychiatre. Mais elle peut constituer un travail psychique important, un travail sur la perte d'un sein par exemple, d'un statut social... et forcément quand on est dans la perte, on est dans la tristesse. Or ce temps est intéressant, constructif.
* Les liens html dans l'interview renvoient à une bande dessinée "La guerre des tétons" de Lili Sohn, qui après l’annonce de son cancer du sein en février 2014, fait face à toutes les étapes, du diagnostic à l'après cancer et ce qu’elle va faire de son "nouveau moi".