Dépistage du cancer du sein : est-il efficace pour lutter contre la mortalité des femmes ?

Un médecin albigeois, le Dr Jean Doubovetzky s'interroge sur le dépistage systématique des cancers du sein. Il estime que ses résultats ne sont pas à la hauteur du message véhiculé ni des sommes dépensées.

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Octobre rose est la campagne annuelle de communication destinée à sensibiliser au dépistage du cancer du sein et à récolter des fonds pour la recherche. Elle a lieu depuis 2004 avec pour symbole le ruban rose. Le dépistage par mammographie est recommandé aux femmes de 50 à 74 ans.

Il est proposé gratuitement mais ne fait pas l'unanimité dans le corps médical. Le radiologue Bernard Duperray a publié un livre au sous-titre sans ambiguïté : "La grande illusion" (voir encadré). Six questions au Dr Jean Doubovetzky, qui parrtage ce point de vue. Le Dr Doubovetzky est rédacteur pour la revue indépendante Prescriremédecin généraliste à Albi et membre de l'association Cancer rose.

Vous mettez en question l'intérêt du dépistage systématique du cancer du sein pour les femmes à partir de 50 ans, pourquoi ?

L'efficacité et l'utilité de ce dépistage ne sont pas démontrées et même peu vraisemblables. Il y a une controverse scientifique très ancienne à ce sujet. La logique de départ est la suivante : le cancer se développe à partir de quelques cellules qui forment une tumeur qui grossit.  Il y a un stade où il est petit et il peut guérir et un stade où il est plus gros et ne peut guérir. Or ce n'est pas toujours le cas car il existe un grand nombre de cancers dont le corps arrive à se débarrasser. Ou bien qui n'évoluent pas et donc qui ne nuisent pas à la santé.

Le dépistage ne servirait à rien selon vous ?

Autrefois on ne voyait pas trop de femmes atteintes de cancer du sein. Elles arrivaient avec des masses importantes dans les seins et ça tournait mal. Mais depuis qu'on fait du dépistage, on en a détecté de plus en plus. Pourtant, le taux de mortalité n'a pas changé. On le sait, beaucoup de cancers qu'on a soignés n'auraient pas tué ces femmes.
Preuve en est, les autopsies pratiquées sur des femmes de 70 ans mortes d'autre chose, montrent qu'elles sont pour 20% environ, atteintes de cancer du sein mais leur décès est dû à une autre cause. En fait, beaucoup de cancers du sein ne nuisent pas à la santé. On a sous-estimé cette donnée-là.

Pourquoi préconise-t-on le dépistage systématique tous les 2 ans pour les femmes de plus de 50 ans ?

De 1963 à 1990, dans différents pays, on a fait des essais qui ont réuni plus de 700.000 femmes. A chaque fois, on a fait deux groupes, l'un qui faisait des mammographies et l'autre pas. Les résultats ont été décevants. La plupart du temps, on n'a pas trouvé de différences entre les populations dépistées et non dépistées.

Quand on a vu qu'on n'obtenait pas de résultat probant, on a pris les résultats de tous ces essais pour les mettre ensemble. On a essayé de le faire bien. Les essais mal faits ont été écartés. Avec les essais irréprochables, même constat. Alors on a introduit des essais qui avaient des biais. Là on a observé une petite diminution de la mortalité : sur 2000 femmes de plus de 50 ans, qui n'avaient pas été dépistées pendant 10 ans, cinq étaient mortes. Sur le même nombre qui avait été dépistées tous les 2 ans, quatre étaient mortes.

Même si ces études sont imparfaites, est-ce que le doute ne fait pas pencher la balance au profit du dépistage ?

Non en fait car ces études datent de 30 ans minimum. On n'est pas sûr que leurs résultats puissent s'appliquer maintenant. Tout a changé. Les femmes consultent plus tôt aujourd'hui pour le cancer du sein. Elles font très attention et le découvre elles-mêmes plus tôt. Ce qui est une bonne chose. La situation autour des femmes a changé : elles mangent différemment, fument plus, sont soumises à d'autres cancérogènes dans l'environnement. Les traitements ont changé. Ils sont plus efficaces et soignent mieux. On a beaucoup de doutes et peu de certitudes.

Dans le doute justement, ne vaut-il pas mieux se faire dépister ?

Si pour sauver une vie, on rend malade une femme, alors ça vaut le coup bien sûr. Mais si on rend malades, 10, 20, 100 femmes... est-ce que ça vaut encore le coup ? On traite beaucoup de cancers qui sont sans danger. Combien ? On ne sait pas. Mais les traitements ne sont pas inoffensifs. Les chimiothérapies font baisser les défenses immunitaires et les plus fragiles peuvent mourir d'infection par exemple. Les radiothérapies favorisent les insuffisances cardiaques et les cancers du poumon... Les personnes à qui on a annoncé qu'elles ont un cancer sont fragilisées : elles ont plus d'accidents de la route et se suicident davantage.

Etude publiée dans la revue Prescrire



Pour des cancers qui ne sont pas mortels, on traite, on supprime un sein, dans la majorité des cas, les patientes perdent leur travail. Elles deviennent malades... alors qu'une partie d'entre elles n'auraient jamais été embêtées.

Que proposez-vous ?

Informons au mieux les femmes, sans données biaisées, et laissons leur le choix du dépistage ou non. Sans les culpabiliser. C'était d'ailleurs la position de la concertation scientifique et citoyenne organisée à l'initiative du gouvernement en 2016.

Pour les femmes qui penchent en faveur du dépistage ou qui ont eu dans leur famille des cancers du sein et qui doutent, qu'elles puissent se faire dépister gratuitement. Pour toutes, le message est qu'il faut consulter en cas d'anomalie récente sur un sein. A la palpation sous la douche, c'est le plus souvent une boule qui doit alerter. Plus rarement, ça peut être un creux, une déformation ou un mamelon qui se rétracte.

Et concernant ces sommes d'argent incroyables que l'on investit dans le dépistage sans être certain du résultat, je propose que nous les mettions dans la lutte contre le tabac et l'alcool. On sauvera plus de vie.
 
Pour aller plus loin
Le Dr Bernard Duperray, membre lui aussi de Cancer rose, a publié un ouvrage qui défend cette thèse : Dépistage du cancer du sein - La grande illusion, aux éditions Thierry Souccar.
Le Dr Duperray est médecin radiologue, spécialiste du cancer du sein, retraité après 41 ans de pratique à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il enseigne à l’université Paris-Descartes. 
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