"On dit que la France a peur de nous, mais on n'est pas comme vous croyez" : témoignages d'enfants de djihadistes, détenus en Syrie

Lors d'un reportage diffusé sur France 2 jeudi 11 avril dans l'émission Envoyé Spécial, pour la première fois, deux journalistes ont pu pénétrer dans un centre de déradicalisation d'enfants de djihadistes, au Kurdistan syrien. Parmi la centaine de jeunes détenus, Adem Clain et Hamza sont toulousains.

"Ils me laissent ici mais je n’ai pas envie de mourir en Syrie, je n’ai pas envie de mourir dans ce trou". Ce témoignage rare recueilli par les journalistes Chris Huby et Guilaume Lhotellier pour Envoyé Spécial est celui d'Adem Clain, fils du terroriste Fabien Clain qui avait revendiqué l'attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 à Paris. 

Ce jeune homme de 21 ans, originaire de Toulouse, a été amené en Syrie par ses parents à l'âge de 11 ans. Il vit désormais dans le centre de déradicalisation d'Orkesh, dans un lieu tenu secret, quelque part dans le Kurdistan syrien. 

"Pour moi quand on est arrivé ici c'étaient des vacances. On est passé par plein de pays comme l'Italie ou la Grèce. En Grèce, on est resté longtemps. On allait à la plage, à la fête foraine. C'était bien. Et un jour, on a passé une frontière, on est passé en Syrie et je me suis rendu compte qu’on était entré dans un pays de guerre", se souvient-il. 

Pour moi mon père, c’est un terroriste. Pour ne pas vous mentir, je lui en veux parce que c’est lui qui m’a ramené en Syrie.

Adem Clain, fils du terroriste Fabien Clain

Comme lui, Hamza, originaire de la Reynerie à Toulouse, est arrivé en Syrie très jeune. Et ses premiers jours passés dans ce pays plongé en pleine guerre civile restent gravés dans sa mémoire.

J’ai vu quelqu’un en train de couper la tête de quelqu'un d'autre. Je l’ai regardé, j’étais choqué. Après non, je l’ai déjà vu. Tu prends l’habitude. Je sais que c’est bizarre, je le sais mais tu prends l’habitude.

Hamza, détenu au centre de déradicalisation d'Orkesh dans le Kurdistan syrien

Parce qu'ils sont fils de djihadistes, qu'ils ont vu et parfois même participé à la guerre, une centaine de jeunes venus du monde entier sont enfermés dans ce centre de déradicalisation.

Des enfants soldats

Adem Clain se souvient de la préparation de l'attentat du Bataclan organisé par son père. "Je me rappelle à ce moment-là, mon père était content. Mon père, sur ça il ne parle pas du tout, c’est pour sa sécurité. Je lui posais la question : pourquoi tu es recherché ? Il ne disait pas pourquoi."

J’espère que les Français savent que moi je n’ai rien à voir avec ça. Je suis une victime. Je ne suis jamais allé au combat, je n’ai jamais touché une arme. Qu’est-ce que j’ai à voir avec tout ça moi en fait ?

Adem Clain, fils du terroriste Fabien Clain

Selon les informations recueillies par Chris Huby et Guillaume Lhotellier auprès des autorités kurdes, Adem Clain n'aurait jamais combattu. 

À 12 ans, en 2014, Hamza apparaît lui dans une vidéo de propagande, kalachnikov à la main. "Je regrette un truc de fou. Ce truc m’a fait des problèmes", réagit le jeune homme. Fier de ses origines toulousaines, il prône dans une autre vidéo les actes de Mohamed Merah, le terroriste à l'origine des attentats de Toulouse qui a fait sept morts. Aujourd'hui, il regrette cette vidéo. "Mohamed Merah je ne te mens pas. Il ne fallait pas faire ça. Il a buté des gens, ils n’ont rien à voir. C'étaient des gamins qui partaient à l’école. Il a gâché le nom de l’islam". 

À 16 ans, il intègre les Lionceaux du Califat où il apprend à se servir de lance-roquettes et de fusils-mitrailleurs. À la question du journaliste "Penses-tu avoir tué des gens ?", Hamza ne sait que répondre : "Je ne peux pas dire non. Peut-être, mais j'aimerais bien que non". 

Des jeunes hommes cassés par la guerre

De ces années à manier les armes, Hamza n'en garde pas que des séquelles psychologiques. Quand il est arrivé dans le centre d'Orkesh, il avait des éclats d'obus dans le crâne. Privé des cinq opérations chirurgicales qu'il devrait recevoir, son état de santé est stabilisé grâce à la prise d'un traitement médicamenteux lourd. 

Adem Clain est blessé depuis 2019. Suite à un tir de mortier, il a failli perdre sa jambe. Lui aussi devrait être opéré, mais c'est impossible dans ce centre de déradicalisation. "J’espère que ce n’est pas une blessure à vie, de pouvoir quand même la guérir. J’aimerais pouvoir faire une opération si je sors d’ici."

J’ai l’impression d’être en mode pause et d’attendre que quelqu’un vienne pour mettre lecture et recommencer ma vie. Je sais que ce jour va arriver. Jespère que ça va venir vite car les années passent et je ne pourrais pas retourner en arrière.

Adem Clain, détenu au centre de déradicalisation d'Orkesh dans le Kurdistan syrien

Sortir d'Orkesh un jour, c'est le rêve de tous ces jeunes. 

Un emprisonnement contraire au droit international 

Tous rêvent d'un rapatriement qui ne vient pas. "J’aimerais que la France me fasse rentrer. On n’est que quatre gamins. Quatre gamins qui demandent de rentrer dans leur pays, de voir leur famille, de vivre en liberté et vivre une vraie vie", plaide Adem Clair. Cet emprisonnement est jugé contraire au droit international par les Nations Unies et la Cour européenne des droits de l'Homme. 

On dit que la France a peur de nous mais on n’est pas comme vous vous croyez. Notre famille a fait des trucs, nous on est pas obligés d’être comme eux.

Hamza, déténu dans le centre de déradicalisation d'Orkesh dans le Kurdistan syrien

Contacté ce jeudi 12 avril par téléphone par France 3 Occitanie, l'avocat de ces jeunes Français précise qu' "aucun rapatriement n'est envisagé, bien que la France ait été condamnée par la Cour européenne pour refus de rapatriement pour ceux qui l'ont demandé".

"Ce reportage valide l'idée que ces jeunes hommes sont victimes de la folie et du crime de leurs parents. Leur sort est effrayant", réagit Maître Ludovic Rivière après la diffusion de ce reportage. 

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