Le toulousain Patrice Bernardo, 76 ans, membre de l'association "Ultime liberté" se bat pour le suicide assisté en France. Le 3 mars dernier, il a été mis en examen avec onze autres membres de son association pour avoir détenu de pentobarbital. Un puissant anesthésiant interdit en France.
Militant de la première heure, à 76 ans, Patrice Bernado, masseur-kinésithérapeute toulousain à la retraite, est un homme de conviction, radical dont les positions peuvent heurter.
Vice-président de l'association " Ultime liberté ", il milite pour la fin de vie assistée. Après avoir été en garde à vue, Patrice Bernardo a été mis en examen le 3 mars dernier à Paris pour importation en contrebande, détention et acquisition d’une marchandise dangereuse pour la santé avec onze autres personnes de l'association.
La justice leur reproche d'avoir été en possession de pentobarbital sur le sol français. Un puissant anesthésiant interdit depuis 1996 même si les vétérinaires peuvent encore l'utiliser pour euthanasier les animaux.
Les juges d'instruction parisiens les soupçonnent de trafiquer cette drogue, voire de gagner de l’argent. Ce que démentent formellement ces militants. Voici l'entretien avec Patrice Bernardo.
France 3 Occitanie : vous militez pour la reconnaissance du suicide assisté en France depuis 2015, mais l’association existe depuis 12 ans, pourquoi vous êtes vous lancé dans un tel combat ?
J’ai été témoin du départ de mon beau-père qui est passé en quelques mois d’une stature de scientifique géologue reconnu à celui d'un enfant qui se dispute les jouets de son petit-fils de 2 ans car il était atteint de la maladie d’Alzheimer. Cette dégradation humaine m’a tellement choqué, que selon moi ce n’était plus de la dignité humaine. Je ne supporterais pas de faire vivre ça à mes enfants. Ça a été mon déclic.
Mais c’est tout un ensemble d'évènements qui m’a poussé à réfléchir à ma propre fin de vie, je ne voulais pas en arriver là puis j’en ai parlé à une amie qui était adhérente à l'association pour le droit de mourir dans la dignité. Du coup j’y suis rentré.
Je l’ai quitté, car selon moi cette association n’allait pas assez loin. Et j'ai adhéré à "Ultime liberté".
France 3 Occitanie : avez-vous aidé des personnes à mourir et dans quel contexte ?
Oui j’ai déjà aidé des personnes à mourir, mais il faut définir ce que veut dire "aider". Je les ai plutôt "accompagnés" avec l'association.
Cela veut dire qu’on les aide à se procurer du produit sur internet. On rencontre la personne, on lui explique comment commander son produit. C’est un accompagnement. Cela représente des centaines de personnes.
Des gens que j’ai suivi jusqu’au bout en revanche cela ne m'est arrivé que trois fois, d’être vraiment présent, de leur tenir la main quand ils prennent le produit.
Je suis dans l’illégalité je le sais, mais en accord avec mes principes d’humanité.
Par exemple j’ai aidé une jeune femme anorexique, qui avait un corps tellement abimé qu'elle souffrait en permanence. Elle ne pouvait plus marcher, ni boire, ni manger. Son père l’aidait, sa mère aussi. Le père et la fille nous ont demandé de l’accompagner à mourir.
France 3 Occitanie : justement quels sont les objectifs de votre association Ultime liberté ?
Pour l’instant le suicide en France est régi par la loi Claeys-Leonetti. Cette loi accepte d’aider les gens qui sont déjà en train de mourir. Avec les médecins, on peut organiser la fin de vie de cette personne. On la laisse mourir de faim et de soif. Mais selon moi ce n'est pas digne de laisser partir quelqu’un comme ça. Pour nous, ce n’est pas une solution.
Nous, nous essayons d’organiser les choses, pour que les gens qui souhaitent se suicider puissent le faire de façon paisible. En accord avec la personne et sa famille.
L’AMD milite pour changer la loi mais ne propose rien pour les accompagner en France, il faut aller en Suisse ou en Belgique aujourd’hui.
France 3 Occitanie : ces questions sont sensibles. Légaliser l'assistance au suicide n'est-il pas dangereux ? Pourrait-on se prémunir des dérives ?
Oui bien sûr que c'est sensible. Il faut mettre en place des gardes-fous avec le législateur. On fait mention des personnes âgées mais pas que. Nous militons pour que le droit au suicide soit inscrit dans la Constitution. Il faut, par exemple réfléchir, à des protections pour toutes les personnes souffrant de problèmes psychiatriques.
Cela n’empêche que des gens qui n’ont pas de problèmes psy ont le droit d’avoir le choix de mourir paisiblement et de choisir leur mort. Droit de faire ce qu’ils veulent de leur corps. Une fois qu’on a écarté bien évidemment toutes les dérives possibles, comme par exemple, quelqu’un qui se procure un produit pour quelqu’un d’autre.
On propose deux parties dans la loi, une partie pour les personnes âgées très malades en fin de vie et une partie pour tout citoyen qui doit être libre de choisir sa mort. Selon moi "c’est un droit civique qui doit être inscrit dans la Constitution".
On considère que cela fait partie du fronton inscrit sur nos mairies.
France 3 Occitanie : les Français se disent tous massivement favorables à un progrès de la loi sur la fin de vie. Les présidents, François Hollande ou Emmanuel Macron, même Jacques Chirac, se disaient partisans d’une évolution. Mais jamais une loi n'a pu être votée ? Pourquoi ?
Une des réponses, même si cela me semble effarant, est qu'il y a une minorité de catholiques intégristes qui s’y opposent et qui imposent leur point de vue à la majorité des Français qui sont à 90 % pour. En face de nous, nous retrouvons aussi tous les opposants à l'IVG.
En Suisse, vous pouvez vous faire euthanasier si vous êtes très malades et très vieux. Comme en Espagne ou au Portugal qui viennent aussi d’adopter ce type de loi pour légiférer sur la fin de vie.
Mais selon nous, cela ne va pas assez loin, car cela exclut une partie des citoyens. Cela ne prend pas en compte toutes les personnes qui veulent se suicider quelque soit leur âge et leur état de santé. Vous êtes majeur et vaccinée vous savez ce que vous avez à faire. Encore une fois il ne faut pas empêcher une liberté.
Le suicide est autorisé en France que si il est violent. On a le droit de le faire mais que d’une façon violente. On doit pouvoir être capable de le faire plus paisiblement.
France 3 Occitanie : aujourd'hui votre combat vous amène devant la justice, à 76 ans, comment vivez-vous cet épisode judiciaire? Que risquez-vous ?
Je vis cet épisode judiciaire avec enthousiasme car notre combat fait bouger les lignes ou en tout cas fait parler. Cela me donne envie d’être plus efficace, plus entendue. J’encours au minimum 3 ans de prison et 5 000 euros d’amende. Mais quand vous êtes militant pour une cause, il ne faut pas s’arrêter quand on a peur.
Je suis sur le coup d’une loi qui traite des trafiquants. Moi je ne suis pas un trafiquant, j’aide des gens en souffrance. Pour l’instant, je vais assumer et aller au bout de mes convictions. Je ne vais pas reculer sur ce combat que je mène.