Procès des attentats du 13-Novembre : "je suis le père d'une famille qui a été condamnée à perpétuité"

Jean-Bernard Arruebo a perdu sa fille Anne-Laure lors des attentats de Paris, le 13 novembre 2015. A la veille du procès qui s'ouvre à Paris ce mercredi 8 septembre 2021, il témoigne de sa volonté d'être à l'audience, de porter la parole des victimes et de ses attentes de justice.

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Anne-Laure Arruebo est morte le 13 novembre 2015, à Paris. Elle avait 36 ans. Ce soir-là, cette jeune femme originaire de Quint-Fonsegrives, près de Toulouse, est attablée en terrasse à La Belle Equipe avec Cécile, son amie et collègue des Douanes. Les deux jeunes femmes sont tombées toutes les deux sous les balles des terroristes, comme 131 autres victimes des attentats commis simultanément dans divers lieux de Paris. Six ans plus tard, ce mercredi 8 septembre 2021, le procès de ces attentats s'ouvre devant une cour d'assises spécialement constituée dans la capitale. Après avoir hésité à y assister, les parents d'Anne-Laure ont fait le choix de s'y rendre. Son père, Jean-Bernard Arruebo, explique les raisons de ce choix et ses attentes.

Une jeune femme bien dans sa vie

"C'est difficile, pour un père, de parler de sa fille" dit Jean-Bernard Arruebo. Anne-Laure, l'aînée de ses trois filles, "était inspectrice des Douanes, un travail cadré et rigoureux. A côté de ça, il y avait une vie. Elle était à Paris. Il n'était pas question pour elle de revenir travailler à Toulouse. Elle aimait Paris, elle aimait les concerts, elle faisait du dessin, de la couture, des bijoux... Elle avait une vie culturelle et artistique qui, en quelque sorte, contrebalançait la rigueur de sa profession". C'est parce qu'elle était à Paris, explique-t-il, que ses soeurs y sont allées aussi. "Anne-Laure, à 700 kilomètres d'ici, c'était aussi la deuxième maman de Christelle et Marie-Eve" explique-t-il. 

Le journal Le Monde, dans son mémorial pour les victimes des attentats du 13 novembre 2015, publie un portrait d'Anne-Laure.

Aller au procès ou pas ?

Au départ, la famille d'Anne-Laure, partie civile, n'était pas sûre d'assister au procès. "D'abord, nous avons hésité pour savoir si nous irions à Paris, être présents au procès et témoigner." explique Jean-Bernard Arruebo. "C'est la maman d'une autre victime qui nous a convaincus. Les terroristes ont ciblé des lieux, ils n'ont pas ciblé des personnes. D'ailleurs, quand on parle des attentats, on parle du stade de France, des terrasses, du Bataclan mais on ne donne pas le nom des victimes. Ce procès sera donc pour nous l'occasion de parler des victimes et en particulier de notre fille."

La justice, si elle est faite pour juger les assassins, elle est aussi faite pour rendre justice aux victimes.

Jean-Bernard Arruebo

Le procès, une étape indispensable

"On ne vit pas dans l'attente du procès. On sait que le procès aura lieu un jour" dit Jean-Bernard Arruebo. "On est entouré. On vit avec sa famille, on vit avec ses amis. On vit avec les douaniers parce que nous avons appris que la Douane était la deuxième famille d'Anne-Laure".

Le temps passe, ça ne change pas grand chose. On essaie le plus possible de faire en sorte qu'Anne-Laure continue de vivre, d'être présente avec nous, même si c'est extrêmement compliqué.

Jean-Bernard Arruebo

Pourtant, le procès, "c'est une étape indispensable" dit-il, "je pense que cela ne va pas atténuer notre tristesse mais on sait qu'il faut en passer par là".

Il faut qu'on parle des victimes. Il faut qu'on sache qui a été concerné. On connaît plus les assassins que les victimes et en tant que père d'Anne-Laure, il me semble indispensable d'être présent au procès. Même si je comprends que pas mal de familles renoncent à leur présence parce que c'est trop difficile pour elles.

Jean-Bernard Arruebo

Des explications plutôt que des réponses

Jean-Bernard Arruebo se dit pourtant "sans illusion"à la veille de l'ouverture du procès. "On a conscience qu'avoir des réponses pendant le procès, ce sera compliqué." Mais il espère au moins des explications.

"Lors du procès, siègeront parmi les accusés, enfin ceux qui sont encore vivants, les exécutants. Qu'est-ce qu'il en sera des commanditaires ? Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Qu'est-ce qu'il en sera des responsables, en particulier politiques ? Qui sont-ils ? Où sont-ils ? C'est en ce sens, même s'il ne faut pas trop en attendre sur le contenu des informations qui nous seront données, qu'il faut qu'on participe. Pour entendre ce qu'on a à nous dire, et qui explique ces évènements".

Jean-Bernard Arruebo dit attendre particulièrement le témoignage de François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve : "j'entendrai avec intérêt nos responsables politiques puisque l'ancien président de la République, l'ancien Premier ministre, l'ancien ministre de l'Intérieur de l'époque sont cités à comparaître. Et j'écouterai avec attention leurs explications. Gouverner, c'est prévoir. Qu'avaient-ils prévu ? Est-ce que des choses aussi terribles avaient été imaginées ? Je suis curieux d'entendre leurs réponses."

Que va-t-il dire, lui ?

J'aime bien ce mot de Voltaire : "on doit le respect aux vivants, on doit la vérité aux morts." J'espère que la vérité pourra transparaître.

Jean-Bernard Arruebo

Pour sa part, il témoignera le 5 octobre devant la cour d'assises. "Je dirai certainement ce que beaucoup pensent sans le dire. A savoir que je suis le père d'une famille qui a été condamnée à perpétuité, sans peine de sûreté. J'espère que les magistrats sauront s'en souvenir. 

"C'est pas facile d'aller à Paris quand on habite la banlieue de Toulouse, surtout pour un procès d'une si longue durée" poursuit-il. "C'est pas facile de se rémémorer six ans après tout ce qui s'est passé. Il reste toujours une tristesse profonde, une amertume mais notre présence nous paraît nécessaire pour qu'Anne-Laure puisse continuer, quelque part, à vivre."

 

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