Savez-vous ce qu'est une "costumière" ? Après de longs mois d'élaboration, les costumes d'un opéra sont prêts et apparaissent en pleine lumière pour la première fois sous l'œil de la costumière en chef. Nous allons vous raconter l'envers du décor, la première répétition de ce ballet de costumes. Tout ce travail que vous ne devinez pas et qui fait la réussite d'une représentation.
Je suis un petit rat de l'opéra. Je me glisse dans les coulisses, les interstices, pour vous faire voir ce que l'on ne voit d'habitude pas. Pas de voyeurisme, juste un petit pas de côté pour regarder autre chose. Et le spectacle en coulisses n'a rien à envier à ce qui se passe sur scène. Coup de projecteur sur ce monde de l'ombre pour la "costumière" de Boris Godounov au Théâtre du Capitole.
La costumière, qu'es aquò ?
On connaît les "générales" pour le théâtre ou l'opéra mais "la costumière" ? Ce jeudi 16 novembre c'est justement "la costumière de Boris Godounov" au Théatre du Capitole de Toulouse.
Dans les loges et en coulisses, la fourmilière est impressionnante et la ruche en effervescence. La reine des abeilles aujourd'hui, c'est Marine Provent. Il lui faudra de bonnes ailes pour aller de costumes en costumes, ajuster, compléter, réparer, rectifier, traquer le plissé. Mac Gyver et Super Woman cousus en ensemble, dans l'ombre de Coco Chanel.
L'essaim qui nous préoccupe aujourd'hui, ce sont 30 hommes, 20 femmes et 12 enfants. Le chœur, les solistes et la maîtrise de l'opéra de Moussorgski. "Répétition dans 30 minutes", annonce la voix off dans le haut-parleur. Dans la salle du théâtre du Capitole, pas d'orchestre mais le chef est bien là avec une pianiste. Aux consoles, les éclairages et le son sont prêts.
Marine Provent : la tête et les jambes
"Vous êtes prêt Benoît ? J'espère que vous avez de bonnes jambes!" En effet, dans un incroyable jeu de portes et un dédale de couloirs, il va falloir suivre Marine. La costumière en chef est à son poste depuis seulement un an et demi mais elle connaît tous les rouages de l'exercice. "J'ai fait un peu d'habillages, un peu de création, de couture, de la patine, donc je connais un peu tous les domaines. Quatre ans d'intermittence. Connaître les équipes, ça aide."
Une demi-heure avant d'aller sur scène, en coulisses, on entend beaucoup de langues : du russe bien sûr (Boris Godounov raconte les débuts de la Russie moderne fin XVIe, début XVIIe) mais aussi de l'anglais et du français. Marine parle anglais, espagnol, comprend l'italien mais son langage, c'est avant tout le sourire. "Vous êtes bien là dans le pantalon ? On a rajouté la cartouchière. Les protections, c'est pour les genoux : je vous aide à les mettre ?". Côté costumes, il y a le peuple, les Boyards (les nouveaux riches), le tsar et le futur Boris Ier de Russie. Passe par là le chef des militaires. "Ah oui, les chaussettes sont douces. Il vous faut de la douceur à vous les militaires !"
De partout, on la sollicite. Avec elle, une équipe de 9 habilleuses (7 pour le chœur et 2 pour les solistes). Il y a aussi Bénédicte Delaunay, sa complice, qui surveille d'un œil plus qu'aiguisé l'habillement. Je monte, je descends, je traverse les couloirs, je me perds, un ballet sans fin. Heureusement, Marine se fait arrêter régulièrement : une couronne qui ne tient pas, un pantalon trop lâche et ces chapkas (chapeau traditionnel russe). Comment on les met ? Une seule question me traverse l'esprit : comment fait-elle pour tout retenir ?
Plus loin, les voix se chauffent comme ce moment magique que connaît tout mélomane, lorsque l'orchestre s'accorde avant une représentation.
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Juste avant le début de la costumière, les voix s'échauffent : "là c'est génial"!
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©FTV
Toï Toï
Les maquettes des costumes sont arrivées il y a un an. Les vêtements sont souvent entièrement fabriqués, pour les solistes principalement. Pour le chœur, il y a beaucoup de récupérations, du stock ou des achats. "Où est le maquillage ? J'attendais en bas depuis 20 minutes", clame un soliste avec un petit accent. "Notre costumière débute dans 12 minutes", rappelle la voix dans les haut-parleurs.
La concentration se voit sur les visages. Les habilleuses continuent de s'agiter, le sourire comme carburant. Cartouchière en bandoulière, Marine se lâche : "je vais aller dans la rue comme ça !" Euh... Vraiment ? Ce n'est pas une bonne idée en cette période.
Entre-temps, Barnabi (le maître du peuple) a perdu sa chapka. "Allez, va mettre de la terre un peu pour te salir !" Rien n'est laissé au hasard et l'œil des habilleuses et costumières est aguerri. "C'est pas beau, faut mettre un scratch, ça ne tient pas."
La température monte mais sans surchauffe. "C'est la première fois que l'on va voir ce que donnent les costumes sur scène, la première fois que les artistes vont évoluer avec. C'est une étape très importante pour la réussite de l'opéra. Dans l'équipe, on connaît notre place, ce sur quoi on peut agir, donc tout se passe dans la bonne humeur."
Marine est rassurée mais à tous les artistes qu'elle croise, "je vous dis Toï Toï". L'équivalent russe de "M...e" en français.
Le peuple se drape d'or en deux minutes
La costumière commence. Les premières notes de piano. Sur son portable, dans les fauteuils, Marine pianote elle aussi. "Je fais une liste et je coche au fur et à mesure quand c'est réglé." Un homme seul presque nu dans une couverture rouge occupe la scène. La costumière est filmée par 3 caméras pour servir de témoin. Marine fait elle aussi des photos.
Elle discute en permanence avec Bénédicte, la chef habilleuse. Elle se retourne vers moi : "là, c'est le morceau de bravoure. Les gens du peuple vont se transformer en or. Ils ont 2 minutes 30 pour se changer et se remettre dans les alvéoles. On ne sait pas encore si ce sera possible d'habiller les 42 artistes en si peu de temps."
Le tableau est impressionnant : des murs gigantesques qui s'ouvrent et se ferment et des costumes dorés dans chaque fenêtre. Pourtant ça ne passe pas. Une personne intervient sur scène pour expliquer que 3 artistes n'ont pas eu le temps nécessaire pour se changer. Et si je revenais en coulisse, au cœur de l'agitation et du ballet costumier?
Quand les costumes "plissouillent"
Les habilleuses déboulent avec les vêtements sur les bras. "Ça va la couronne ? Elle ne bouge pas. Pas besoin de régler ?" Il y a ce que l'on voit sur scène mais aussi ce qu'a ressenti l'artiste. Là aussi, la bonne humeur est de mise et les regards complices. "Bravo, tu as été magnifique !"
Pas de quoi satisfaire Marine. "La veste, Boris, laisse la ouverte. Quand t'es assis ça plissouille !" La formule est jolie. Certains artistes reviennent en coulisses avec des vocalises. Devant l'écran de contrôle, une jeune fille n'en revient pas. "C’est très beau : les costumes, les décors. La conception est géniale."
La voix off continue d’égrener les informations : actes, tableaux... "Monsieur Rea s’il vous plaît en scène". Un artiste revient, le front perlé de sueurs. La faute aux vêtements ? Non. Des compromis à trouver aussi avec les exigences du décorateur pas toujours compatibles avec les vêtements que peuvent réaliser les couturières.
Tout se joue dans le détail. Les artistes échangent, apprennent à se connaître ou se redécouvrent.
Le spectacle est saisissant, aussi surprenant en coulisses qu'envoûtant sur scène. Un défilé de fourrures, de tenues légères, de brodés magnifiques, de dorures qui rappellent que la ruche est en pleine éclosion. De retour en salle, pas de doute : les décors sont magnifiques et les costumes à la hauteur. Le brasier crépite. "L'écharpe rouge, il n'a pas l'écharpe rouge ! Il faut rougir aussi un peu plus le visage des moines pour la scène de l’auberge."
16h22 tout se termine. Il faut récupérer tous les costumes de partout. Tout est checké. Marine monte sur scène pour ajuster sur place. En coulisses , on se détend.
Dernier débrief
"La fameuse costumière est passée ! Bravo". Le soulagement toujours teinté de sourire est là. Pas d'énervement, pas de fatigue. D'abord discuter avec les artistes pour avoir leur ressenti. "Ça ne gratte pas trop ? Faut échancrer ? Resserrer ?". La satisfaction est de mise. "Bravo mesdemoiselles ! Vous avez été parfaites". Paroles de l'assistant du metteur en scène.
Le problème du changement rapide du peuple qui se transforme en or sera réglé. Il suffit parfois de solidariser davantage les éléments d'un vêtement ou de les positionner différemment pour que le miracle s'accomplisse.
Marine n'a toujours pas perdu sa tête. "Dans l’ensemble ça va ! Les équipements sont très bien travaillés. S’il y a des ourlets, tu me les envoies : la chemise de Boris, le manteau or de Boris, les costumes des 2 moines (Youri et Fabien) pour les solos ? Svetlana ça allait aussi ?"
C'est le moment d'échanger avec le décorateur pour les derniers réglages. "C’est juste pour les 2 moines, il faut les grisonner comme s’ils avaient traîné dans la poussière. Il faut enlever les fronces. Je voudrais une petite couronne pour le petit fantôme, la même que Boris." Pas de quoi décontenancer Marine. "OK j’ai son tour de tête. Y a que ça ?"
Il restera encore des répétitions, puis la générale afin que tout soit cousu de fil blanc. Début de Boris Godounov au Théâtre du Capitole de Toulouse le 24 novembre. Une fois que l'on a vécu tout ça en coulisses, sûr que le spectacle sera encore plus prenant.