La dizaine de chercheurs toulousains embarqués 57 jours à bord d'un bateau laboratoire sur l'océan Austral a mis pied à terre ce lundi matin à la Réunion. Ils en rapportent "une moisson de données scientifiques exceptionnelles".
Une dernière grosse tempête tropicale a retardé leur retour prévu dimanche à la Réunion. C'est finalement ce lundi matin que le Marion Dufresne II, un bateau laboratoire parti le 13 janvier explorer les eaux de l'océan Austral, avec 48 scientifiques de plusieurs pays à bord, dont une dizaine de Toulousains, a pu accoster à la Réunion.
Toute la journée, les scientifiques ont débarqué leurs 28 tonnes de matériel, dont des containers spéciaux de produits biologiques congelés jusqu'à moins 80 degrés à destination de l'Allemagne et de la France métropolitaine.
Clap de fin @swings_gs02. Le #MarionDufresne est amarré & ns voila de nouveau "terriens". A-t-on envie de sortir de notre monde parallèle ?? Fin d'une aventure improbable aux accents délicieux & irracontables d'un "once in a lifetime". Le dernier mot pour les marins du bord: ? pic.twitter.com/aN7xlfY84g
— Christophe Cassou (@cassouman40) March 8, 2021
L'objectif de cette mission "Swings" ((South West Indian Geotraces Section), co-dirigée par l'océanologue toulousaine Catherine Jeandel, directrice de recherches au CNRS, était de mieux comprendre la pompe à carbone océanique, c'est-à-dire comment, dans le cycle du carbone naturel, la biologie marine joue un rôle essentiel en séquestrant de grandes quantités de gaz carbonique atmosphérique dans les eaux de l'océan Austral profond. Autour du continent antarctique, au sud des océans Indien, Pacifique et Atlantique, la route sillonnée par le Marion Dufresne correspond aux zones les moins connues des océanologues et les plus cruciales pour le changement climatique planétaire.
"Nous avons pu ramener une moisson exceptionnelle de données scientifiques en adaptant notre trajectoire à une météo très agitée", témoigne l'océanologue toulousaine. "Nous avons notamment filtré 980 m3 d'eau récupérée à différentes profondeurs. 40 m3 de particules marines ont été prélevées. Ce sont les détritus biologiques qui tombent vers le fond et qui sédimentent, ou encore des poussières amenées par les vents depuis les îles ou les continents".
8 semaines durant, jour et nuit, les chercheurs ont ainsi échantillonné les courants et observé la pénétration du gaz carbonique dans l'océan. Ils ont aussi découvert des sources hydro-thermales profondes. Leurs observations confirment la forte pénétration du gaz carbonique dans cette région du globe. "C'est un phénomène sérieux que nous suivons depuis 30 ans", ajoute Catherine Jeandel. A bord du navire laboratoire équipé d'instruments spécialisés, priorité a été donnée aux mesures qui ne pouvaient pas attendre comme celles de l'oxygène ou du gaz carbonique.
Mais, "une campagne en mer, c'est d'abord une moisson", poursuit l'océanologue. Les litres d'eau prélevés et les éléments chimiques qu'ils contiennent seront analysés pendant des années en laboratoire en France métropolitaine, en Allemagne, aux Etats-Unis ou encore en Afrique du Sud. Ils seront notamment passés au spectromètre de masse. "On pourra discuter des premiers résultats d'ici 6 mois à un an", prévoit la directrice de recherches.
Les données recueillies permettront d'établir des projections climatiques pour les décennies à venir. "Nous avons échantillonné des indicateurs climatiques qui ne sont pas connus et pas très bien documentés. Ces données sont extrêmement précieuses", ajoute, très enthousiaste, le spécialiste de modélisation climatique Christophe Cassou, directeur de recherches au CNRS détaché au CERFACS (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique) à Toulouse, lui aussi de retour de cette odyssée australe. "Une campagne en mer comme celle-là va amener dix années d'analyse de données", ajoute le rédacteur du prochain rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental de l'ONU sur l'évolution du climat).
Avant de rejoindre leurs laboratoires et de retrousser leurs manches, une bonne partie des chercheurs toulousains s'offre une semaine de pause bien méritée à la Réunion. Histoire de récupérer des 53 jours de navigation et des tempêtes qu'ils ont essuyées, entre 40èmes rugissants et 50èmes hurlants.