Après 7 jours en détention provisoire en Allemagne, l'hydrologue Sylvain Kuppel a été libéré. Il fait partie des 16 scientifiques qui ont mené des actions pour alerter sur l'urgence d'agir face au réchauffement climatique. Voici son récit.
L'Allemagne a placé en détention provisoire quinze scientifiques, dont quatre Français. Sylvain Kuppel, un hydrologue toulousain, était parmi eux. Libéré la semaine dernière, après 7 jours de détention provisoire, il revient sur les faits.
"On a mené une première action le mardi chez BlackRock (le plus important gestionnaire d'actifs au monde avec près de 7 800 milliards de dollars d'encours en 2020) pour dénoncer les sociétés qui investissent dans les énergies fossiles, explique-t-il. Le lendemain, on a bloqué une intersection à Munich. Une action qui nous a valu une nuit en garde-à-vue, à l'isolement complet pendant 20 heures".
Comparution devant le juge en pleine nuit
"La deuxième fois, c'était lors d'une action dans un showroom de BMW (voir dans la vidéo ci-dessus, Sylvain Kuppel au volant). J'ai été de nouveau arrêté et détenu 6 jours. Les premières 36h se sont passées à l'isolement complet. On est passé devant le juge dans la nuit, il nous a notifié notre détention préventive jusqu'au 4 novembre. Et le lundi, j'ai été transféré au centre pénitentiaire de Stadelheim au sud de Munich. On était tous en cellules individuelles, en isolement 23h/24 avec 1h de promenade par jour".
Sylvain Kuppel affirme qu'il connaissait les risques et la loi munichoise qui permet des délais de détention provisoire particulièrement longs. Il estime que les conditions de détention étaient acceptables, pour autant, il juge le cadre législatif délirant.
Déclarés dangereux... Dangereux pour qui ?
"Délirant au regard de la non-violence de l'action et symboliquement, car ça signifie la mise à l'écart de la société de scientifiques alors même qu'on tentait d'alerter la société sur la catastrophe environnementale qui est en train de se produire. La charge symbolique est très forte car on a été déclarés dangereux pour le public comme le seraient des terroristes".
"On nous a enfermés pour éviter que l'on reproduise des actions qualifiées de dangereuses, poursuit le chercheur. Quand on bloque une route, on est très loin d'un risque pour la société. Moi si je suis chercheur, c'est parce que j'adore mon métier d'hydrologue et que je souhaite être au service de cette société. Ce qui malheureusement implique de l'informer sur les désastres écologiques qui peuvent advenir, ce qui est le cas en l'occurrence".
Un statu quo criminel
Pour Sylvain Kuppel, cette réaction est le signe que la société est malade. "On n'exprimait pas d'opinions politiques, réagit-il, mais on veut informer en s'appuyant sur un consensus scientifique documenté et publié depuis des décennies. On est face à une catastrophe écologique qui affectera tout le monde. Si les États et les compagnies prolongent ce statu quo insoutenable que les générations futures considéreront comme criminel, je poursuivrai cette démarche".
"Ce n'est pas anodin de faire ça, je préfèrerais être dans mon labo mais en tant que citoyen, même si c'était éprouvant, pour moi, pour mes proches, mais je reste motivé car les enjeux sont trop élevés et il reste trop peu de temps".
La communauté scientifique a suivi avec attention les évènements et s'est préoccupée du sort des détenus. "La détention, c'est toujours inquiétant, explique Odin Marc, un autre chercheur toulousain, membre lui aussi de l'Atécopol (Atelier d'écologie politique). On a eu des questionnements même si on savait que la prison constituait un risque".
"On est content de voir qu'en France, ça a été beaucoup relayé dans les communautés scientifiques, médiatiques et politiques, poursuit le chercheur du CNRS. La tribune publiée sur FranceTV info a recueilli plus de 1.000 signatures en 24h pendant les vacances. On voit aussi avec la COP 27 que tout cela questionne les collègues, crée un certain émoi. Une semaine de détention pour des actions symboliques, c'est quelque chose de choquant. D'autres scientifiques envisagent de rentrer dans l'action de façon institutionnelle ou non".
Échec des politiques climatiques mondiales
Le texte signé par plus de 1000 scientifiques rendu public par le collectif Scientist Rebellion affirme que l'objectif de contenir le réchauffement climatique en-dessous de 1.5°C est désormais hors d'atteinte, illustrant ainsi l'échec des politiques climatiques mondiales.
Ils demandent à l'ensemble de leurs collègues de le reconnaître également, et de dire la vérité sur l'ampleur de l'effort nécessaire pour rester "bien en-dessous de 2°C" comme le prévoit l'accord de Paris de 2015.
Changement urgent et drastique
Les signataires appellent les gouvernements européens à prendre leurs responsabilités, "c'est-à-dire reconnaître l’échec et l’insuffisance radicale de leur politique climatique actuelle, et commencer une politique à la hauteur des enjeux, plutôt que de placer en détention des scientifiques et de continuer à nier l'ampleur de la crise en cours".
Cette lettre a été suivie par la publication d'un rapport de l'ONU constatant qu'il n'y a plus de trajectoire possible pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5°C. Les Nations Unies anticipent un réchauffement climatique de 2,6°C d’ici 2100 et certifient que le désastre climatique ne peut être éviter qu'à la condition d'un changement urgent et drastique du système.