TEMOIGNAGE. Victime de pédocriminalité dans l'église, Henri, 83 ans, demande reconnaissance et justice face au silence de la commission

Un an et demi après le rapport Sauvé, les victimes commencent, pour certaines, à être indemnisées. Mais associations et victimes dénoncent des dysfonctionnements. C'est le cas de Henri, 83 ans, qui n'a toujours pas été contacté pour dire ce qu'il a subi.

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Le rapport de la commission Sauvé a montré voici un an et demi l’ampleur de la pédocriminalité dans l’église catholique depuis 1950. 330.000 victimes agressées alors qu'elles étaient mineures s'étaient signalées. Si l'église catholique a reconnu le caractère systémique de ces violences et sa responsabilité institutionnelle, la reconnaissance promise et la réparation tardent pour beaucoup. La procédure est extrêmement lente. C'est ce que dénonce Henri*, 83 ans.

"J'ai écrit deux courriers en 2019. La première fois pour expliquer que j'avais été victime d'agressions sexuelles au petit séminaire en classe de 3e, explique-t-il. La deuxième, c'est après que des souvenirs me sont revenus. Un prêtre venait d'être condamné à 5 ans de prison et les faits m'ont rappelé le viol que j'ai subi trois ans plus tard, lors d'un voyage par le prêtre de ma paroisse. Les faits se sont déroulés dans un couvent".

Sans nouvelles depuis un an de l'INIRR

En 2019, Henri échange des courriers avec l'évêque. Il envoie le 1er mars 2022 une demande de réparation à l'INIRR (instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation). On lui a répondu le 30 mars qu'on prenait en compte sa demande. Sans nouvelle, Henri a fait un courrier de rappel le 15 juin 2022. Depuis, aucune suite. Il aurait dû être entendu par un référent de l'INIRR, chargé de recueillir son témoignage. 

L'instance de reconnaissance et réparation assure n'avoir aucune trace dans ses archives de cette dernière lettre du 15 juin. "Il peut y avoir des erreurs humaines et si c’est le cas, il faudra qu’on se rattrape, assure sa présidente Marie Derain de Vaucresson, Nous avons mis en place depuis septembre dernier une lettre d’information mensuelle ainsi qu’une permanence téléphonique destinée à toutes les personnes victimes ayant déjà contacté l’INIRR afin qu’elles puissent notamment se renseigner sur l’état d’avancée de l'instance dans la prise en charge de leur situation. Bien que cela ne remplace pas les délais trop longs dans la prise en charge, ce dispositif permet de créer un premier lien avec les personnes victimes et de leur donner des informations sur ce que nous faisons et comment nous le faisons.

Henri a 83 ans, il a eu un AVC en 2019. Sa santé est depuis précaire. Mais il est contraint d'attendre. Or, cette procédure est très importante à ses yeux. "Ce que j'attends c'est que les choses soient reconnues car c'est grave de s'attaquer à des adolescents. C'est fou ! J'ai vécu dans une localité très religieuse. On avait une idée sur la qualité de ces hommes-là. Mais ils vivaient dans une ambiance malsaine et m'ont fait beaucoup de tort".

"J'avais très peur des adultes, j'avais peur qu'on m'approche"

"J'ai besoin qu'ils reconnaissent la gravité de ce qu'ils m'ont fait... J'ai subi des attouchements de la part d'un prêtre, j'ai été battu : je prenais des gifles dans le couloir sans raison, il me tapait sur les doigts avec une règle en fer. J'avais une peur terrible de cette personne et j'étais en même temps sous emprise. Quant au deuxième, celui qui m'a violé, il venait à la maison chercher des brioches que ma mère faisait. C'était honteux ! Ils n'ont aucune moralité". 

"Ça démolit une personne. Même au point de vue intellectuel, je n'ai pas pu passer le brevet en fin de 3e, je n'arrivais pas à me concentrer à l'école après ça. Et j'avais très peur des adultes, j'avais peur qu'on m'approche" relate-t-il avec émotion.

Olivier Savignac, co-fondateur de l'association Parler et Revivre, estime que le cas d'Henri aurait dû être prioritaire compte tenu de son âge et de son état de santé mais il n'en est rien. Pour lui, le rapport annuel que vient de rendre public l'INIRR est en total décalage avec la réalité. "Le rapport ne pointe aucun dysfonctionnement alors qu'ils sont nombreux, expose-t-il. L'étude qu'on a fait montre que le nombre de prises en charge est de 50 par mois, sans compter les nouveaux dossiers qui vont tomber. L'INIRR a reçu 1200 dossiers, 250 seulement ont été pris en charge. Les référents sont trop peu nombreux". 

Des aspects arbitraires dans la prise en charge ?

"Il n'y a pas de rencontre en présentiel, poursuit-il, or c'est très compliqué de dire de but en blanc ce qu'on a vécu de difficile et de si intime à quelqu'un qu'on ne voit pas. Les victimes ont en moyenne entre 66 ou 69 ans, elles ne connaissent pas pour la plupart, la visio. On a dit tout cela mais on ne nous écoute pas. Les référents sont des personnes soit professionnelles, soit bénévoles. Sans préjuger du travail des bénévoles, il y a une différence de traitement et de compétences".

Olivier Savignac souligne également des aspects arbitraires de la prise en charge : l'INIRR aurait décidé de plafonner à 60.000€ les indemnisations. Quand elle est effective, l'indemnisation n'est accompagnée d'aucune explication ou motivation. L'association dit recevoir des témoignages de personnes qui estiment l'estimation de leur préjudice trop basse mais ils ne disposent d'aucun recours. 

L'INIRR estime ne pas être dans "une démarche judiciaire d’indemnisation mais d’accompagnement". Sa volonté n'est pas d'exercer "une justice privée".

Pour l'INIRR, "l'enjeu c'est de dialoguer"

"Nous sommes donc sur un registre de réparation avec un volet financier et un volet plus symbolique. Nos critères de priorisation sont connus, avance Marie Derain de Vaucresson. Il y l’âge, la santé et de la grande détresse sociale. Nous avons construit un système imparfait et qui ne satisfera probablement pas tout le monde. Mais qui au moins pose des repères de décisions équitables, au plus juste. Avec encore une fois la possibilité de réagir, de demander des explications, quand une personne n’est pas satisfaite. L’enjeu c’est de dialoguer, de pouvoir éclairer les choses."

"Le grand public et la plupart des médias sont passés à autre chose mais il y a encore beaucoup de souffrance, témoigne Olivier Savignac. Nous sommes inquiets par rapport à la reconnaissance et à la réparation". L'association a décidé de ne plus siéger au sein de l'instance pour ne pas cautionner ce qui est en train de se passer.  

*Le prénom de la victime a été changé à sa demande.

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