Alors que le Chili décidera le 26 avril avril prochain s'il souhaite changer la Constitution héritée de la dictature du général Pinochet, la réalisatrice montpelliéraine Elvira Diaz, fille d'un réfugié chilien, s'envole pour le tournage de son 4ème documentaire sur l'Histoire de ce pays. Entretien.
En quelques années seulement, elle s'est imposée comme une figure majeure du documentaire en Occitanie. Film après film, la réalisatrice Elvira Diaz explore et décrypte l'Histoire et les enjeux actuels d'un pays qu'elle découvre un peu plus à chaque tournage : le Chili, terre natale de son père, réfugié politique en France depuis 1974.
En mars 2020, elle s'envolera pour le début de son quatrième opus consacré à Juan, qui cherche encore et toujours à comprendre ce qui est arrivé à son père, cadre du Parti communiste arrêté par la police secrète du général Pinochet et mort en 1982 des conséquences de la torture.
Un tournage où le passé fait écho au présent
Un tournage qui intervient à un mois d'un référendum crucial pour le pays : le 26 avril, les Chiliens devront dire s'ils souhaitent changer leur Constitution, héritée de la dictature. Un scrutin conquis de haute lutte par les manifestants de l'automne dernier, dont beaucoup de jeunes.
Un mouvement social inédit depuis la chute du régime, déclenché par la hausse du prix du ticket de métro et qui continue d'être alimenté par la révolte contre les inégalités socio-économiques qui perdurent dans ce pays d'Amérique Latine. La répression policière des manifestations et les violations des droits de l'Homme dénoncées par l'ONU à cette occasion font d'ailleurs ressurgir le spectre des années de junte militaire.
Une production made in Occitanie
Un présent qui fait écho au passé et qu'évoquera Elvira Diaz dans son prochain documentaire, produit par la société cévenole Land Doc Production de Lucas Mouzas et dont la post-production (montage, mixage et étalonnage) sera réalisée avec des techniciens régionaux à Montpellier, en co-production avec les Chiliens de Las Peliculas Del Pez, l'un des plus gros producteurs de documentaires du Chili. La musique originale sera signée d'un auteur-compositeur toulousain.
Sortie début 2021
Comme pour deux de ses précédents documentaires, Elvira Diaz a fait appel à la monteuse Florence Jacquet, dont elle apprécie la complicité professionnelle. Restent à trouver un distributeur et des partenaires pour ce long format de 80 minutes dont la sortie est prévue au début de l'année 2021.
Une famille engagée de génération en génération
Née dans l'Hexagone en 1975, Elvira Diaz est la fille d'un ancien syndicaliste de Santiago du Chili réfugié en France. Son premier documentaire, "Victor Jara n°2547", coproduit par France 3, était consacré en 2013 à l'assassinat du célèbre musicien. Son second film, "Y volveré", mettait en scène le retour au pays de son oncle, ancien militant d'extrême gauche lui aussi réfugié en France. Enfin "El Patio", sa troisième réalisation, donnait la parole aux fossoyeurs du cimetière de Santiago du Chili.
Une réalisatrice multi-primée
"El Patio" a d'ailleurs figuré l'année de sa sortie parmi les 8 meilleurs documentaires selon Miradoc, premier réseau de distribution de documentaires du Chili, où le film a été distribué dans 20 salles. Il a également été sélectionné au plus important festival de documentaires au monde : l'IDFA d'Amsterdam (Pays-Bas).
La réalisatrice montpelliéraine a également reçu deux prix du public, un au festival lyonnais Interférences pour "El Patio" et un autre en Espagne pour "Victor Jara n°2547". Avant son départ pour le Chili, nous avons rencontré Elvira Diaz.
Entretien avec Elvira Diaz
Quel est l’axe principal de ce nouveau film documentaire ?
Mon personnage principal, Juan, a soif de justice, il enquête sur la mort de son père. Cadre au Parti communiste, ce dernier a été arrêté par la police secrète du général Pinochet et il est mort en 1982 des conséquences de la torture. Juan avait alors 9 ans. 40 ans plus tard, une chape de plomb plane encore sur ces événements. Maintenant père à son tour, Juan recherche la vérité dans le contexte politique et social chaotique de 2020, qui fait écho à ce qu’il a vécu enfant, sous le régime militaire.
Que souhaitez-vous montrer avec ce nouveau projet ?
Mon film intégrera la répétition, la notion de cycle. Après 17 ans de dictature sanglante (1973-1990), les Chiliens subissent à nouveau la répression d’État, mais en démocratie ! Les forces de l’ordre se déchaînent depuis octobre 2019 dans l'impunité la plus totale. Impunité qui court depuis la fin de la dictature car les criminels de la junte ne sont toujours pas poursuivis comme il se doit.
En tant que fille de réfugié, appréhendez-vous chacun de vos retours dans ce pays ?
Je n'ai pas vécu la dictature, je n’ai jamais ressenti cette tension. Pourtant, cette fois, c'est la première fois que j'appréhende d'aller là-bas, oui. Je travaille sur la dénonciation de la violation des droits de l’Homme depuis 15 ans, je suis une enquiquineuse... Mais ce n’est certainement pas aujourd’hui que je vais me taire.
Quelle est votre analyse de la situation actuelle au Chili ?
Le Chili est le laboratoire du néolibéralisme des États-Unis, convoité pour son cuivre et ses richesses naturelles. C'est aussi le pays le plus inégalitaire de l'OCDE. Quelques familles seulement possèdent 26 % des revenus du pays et le président Sebastian Piñera est un milliardaire. L'éducation, la retraite, la santé sont privatisées. Le salaire minimum est de 379 € par mois et la retraite est de 108 € mensuels, pour un niveau de vie équivalent à celui de l’Espagne.
Une année d'université coûte 5.000 €. C'est pour cela que les étudiants ont sauté les tourniquets et brûlé les stations de métro en octobre, quand le gouvernement a augmenté le prix du ticket. Trop, c'est trop. La population n'en peut plus de subir cette injustice sociale.
Redoutez-vous ce tournage en particulier ? Dans quelles conditions allez-vous travailler ?
Je pars une dizaine de jours en mars pour faire un premier repérage pour ce projet. Bien sûr, je ne pourrai pas m'empêcher de partir avec ma caméra. Il devrait y avoir ensuite au moins 3 tournages dans l'année. J'espère travailler sereinement car il y a beaucoup d'intimidations ou d'agressions en ce moment envers les journalistes d'opposition, les médias indépendants et les personnes politiquement engagées.
C’est votre 4e film, tous sont en liaison avec le Chili : votre travail a-t-il changé votre vision du pays ?
Mon père est réfugié politique, il a fui la dictature, il ne m’a jamais vanté les qualités de son pays, je n’ai donc jamais été dupe, ni rêveuse. Pourtant le Chili avait une réputation de pays stable économiquement et démocratiquement dans le monde entier.
D’ailleurs, une semaine avant le début de la crise, le président Piñera décrivait le Chili comme étant une "oasis" en Amérique Latine. Mais une semaine plus tard, il déclarait : "Nous sommes en guerre". Et il lâchait l’armée dans la rue contre sa population ! Le Chili n'a jamais été une oasis pour moi. C’est une démocratie "vitrine", basée sur le profit.
Est-ce votre histoire personnelle qui vous mène sans cesse à tendre vers des films engagés ?
J'ai grandi dans un milieu très militant. Mon père et ma famille ont créé en France deux groupes de musique chilienne engagée. Ils envoyaient tous les bénéfices aux familles des prisonniers politiques et à la résistance. J'ai grandi au pied de la scène, cela m'a probablement marquée très profondément. Seulement moi, je ne chante pas, je fais des films.
Votre engagement à travers vos films est donc aussi une façon de partager votre propre révolte ?
Tout à fait ! La révolte que j'exprime dans mes films court finalement bien au-delà de la Cordillère des Andes. Ce combat contre le profit et l’injustice est universel, il se joue sur toute la planète. Au-delà de l’Histoire chilienne, mes films parlent toujours de résistance et de combat contre la folie et la monstruosité des hommes.
Soirée de soutien au peuple chilien le 15 février
Elvira Diaz est très active dans un collectif montpelliérain de soutien à la population chilienne, dont la prochaine soirée aura lieu le 15 février 2020 à la brasserie Le Dôme, à Montpellier.