Depuis un an, les voiliers de l'association de l'Hérault Escales accueillent des jeunes retirés à leurs familles et placés sous protection de la justice. Des sorties en mer qui permettent à ces adolescents ou jeunes adultes d'échapper à un quotidien parfois difficile, mais aussi de se découvrir autrement.
Sous un soleil radieux, en ce mardi de mars, le Kaori sort du port de Port-Camargue et prend le large. À son bord, Mehdi Charene, le skippeur, accompagné de quatre adolescents ou jeunes adultes. Tous les quatre sont des enfants placés par la justice, loin de leurs familles. Cette sortie en mer, c'est avant tout l'occasion de sortir d'un quotidien parfois difficile.
Kessy Aubagnac-Maharga a 16 ans, et vit en foyer depuis trois ans. Elle est une habituée du dispositif, avec déjà une dizaine de sorties en mer à son actif, et même un diplôme de navigation passé le mois dernier. "Ça me fait du bien d'être sur le bateau, on prend l’air, relate l'adolescente. Ça me permet de changer d'air, au lieu d’être au foyer, où des fois c'est assez compliqué."
Relâcher la pression
Pablo Goumont a lui 20 ans, et va donc bientôt sortir du dispositif de l'aide sociale à l'enfance. "Au quotidien, j'ai beaucoup de pression. Je travaille ma sortie, avec les logements, les papiers... Quand je suis là, sur le bateau, j’ai vraiment ce sentiment de 'je me relâche, je me détends, je kiffe mon moment'. À chaque fois que je viens, je me régale."
Ce mardi-là, Fabien Chauvot les accompagne sur le bateau. Il est chef de service éducatif à l'Enclos Saint-François, une maison d'enfants à caractère social, et accompagne au quotidien ces "enfants ou jeunes adultes en protection de l’enfance, parfois dans des situations extrêmement difficiles".
Le fait de leur offrir une bulle d'oxygène comme celle-là permet de les sortir de leur condition "d'enfant placé", qui leur est souvent rappelée.
Fabien Chauvot, chef de service éducatif à l'Enclos Saint-François
Le chef de service éducatif l'a d'ailleurs constaté : "Tous ceux qui ont commencé à sortir en mer ont envie d’y revenir, le plaisir les amène à persister." L'association Escales organise des sorties comme celle-ci toutes les deux semaines, qui donnent la chance à tous de s'essayer à la navigation d'un voilier.
Le voilier comme outil éducatif
Mehdi Charene, le skippeur du jour, est aussi le directeur de l'association héraultaise. Il le répète, le bateau est avant tout "un outil éducatif et thérapeutique. À travers la navigation, on va pouvoir travailler des problématiques qui sont propres à chaque personne qu'on accompagne. Apprendre à naviguer devient plus une conséquence qu'une finalité."
Par exemple, un jeune qui aurait des soucis avec l’autorité, en le mettant à une place de chef de bord, je peux l’amener à voir cette notion d'autorité différemment.
Mehdi Charene, skippeur et directeur de l'association EscalesFrance 3 Occitanie
Léo Czineg, 13 ans, dit avoir appris l'esprit d'équipe grâce aux leçons de navigation. "J'ai aussi pris plus confiance en moi depuis qu'on a commencé à faire de la voile", reconnaît ce jeune adolescent, placé en foyer. Un constat que partage Kessy : "Au début, je n'avais pas d'autonomie. De piloter le bateau, ça m'a appris à gérer les choses toute seule, et à avoir plus confiance en moi."
De son côté, Enzo Cabos réalise sa toute première sortie en mer. S'il est "très fier" de cette sortie réussie et a découvert qu'il avait le pied marin, le jeune homme de 18 ans retient surtout le sentiment de "très grande liberté" qui l'a animé lorsqu'il se trouvait en mer. "On se dit que le monde est grand, qu'on peut aller où on veut, n’importe quand, qu'il ne faut pas se bloquer sur des choses minimes."
Relativiser ses problèmes
La mer permet aussi à ces jeunes de prendre du recul, de la hauteur sur leur situation. "Quand on regarde la mer, on est si petits à côté, sourit Pablo. C'est intéressant, ça permet de relativiser sur beaucoup de choses, et de se découvrir d’un point de vue plus profond aussi."
Et les éducateurs découvrent aussi leurs jeunes sous un nouveau jour. "On en a eu qui se sont révélés autrement en venant sur le bateau, atteste Fabien Chauvot. Je pense que même eux ne se voyaient pas en capacité de tenir la barre, ou de hisser la voile par exemple."
En faisant tout ça, ils changent le regard des personnes qui les accompagnent au quotidien, et même leur propre regard sur eux-mêmes.
Fabien Chauvot, chef de service éducatif à l'Enclos Saint-FrançoisFrance 3 Occitanie
Le voilier permet de "faire émerger des capacités que les jeunes n'ont pas montrées au quotidien", conclut Mehdi Charene, le directeur de l'association Escales. Une manière de se réapproprier sa vie, pour aborder plus sereinement l'avenir. Ce mardi, tout le monde revient à quai avec le sourire. Avant la prochaine sortie.