La contamination d'un millier de membres d’équipage du porte-avion français Charles-de-Gaulle a refroidi plus d’un marin. A six semaines de la traditionnelle campagne annuelle de pêche au thon, les armateurs s’interrogent sur les conditions sanitaires à mettre en œuvre.
Les quinze thoniers senneurs basés dans le port de Sète (34), mais aussi les deux d'Agde (34), celui à quai à Saint-Cyprien (66) et les deux à Port-Vendres (66) "languissent" comme on dit le 20 mai prochain. Tous doivent normalement prendre la mer. « Si tout va bien car c’est encore un peu flou dans le contexte actuel », avoue Pierre Fernandez, 37 ans, patron pêcheur du « Gérald-Jean III » de Port-Vendres.
Ils ont normalement l’autorisation de pêcher le thon rouge du 26 mai au 1er juillet. Les 22 thoniers des ports français méditerranéens (en comptant ceux de la région Provences-Alpes-Côtes d'Azur) n’ont pour l’heure pas vu cette campagne annuelle remise en cause par la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA), malgré les importantes restrictions imposées ou à craindre à certains secteurs économiques face au coronavirus.
Mais ils prennent les devants, en posant des questions d’ordre pratique :
Il y a normalement douze à quatorze marins embarqués, qui vont cohabiter pendant plusieurs semaines à bord. Comment mettre en place une sorte de confinement et quelles protections pour éviter le virus et toute contamination ensuite ?
(Bertrand Wendling, Directeur Général de l'Organisation des Producteurs Sathoan basée à Sète)
Ne pas embarquer de marin contaminé
Pierre Fernandez lui va prendre ses précautions :
Normalement le 25 mai, ses deux thoniers senneurs arriveront au large des îles Baléares à environ 20 000 nautiques des côtes :A partir du 1er mai, nous serons en confinement à bord du bateau à quai afin d’être sûrs que personne n’est porteur du virus le jour où nous larguerons les amarres.
A bord, nous aurons du gel hydro-alcoolique, des masques, des gants… On ne peut pas être plus en confinement qu’à bord d’un bateau.
Martial Lubrano lui a commandé 500 masques en prévision, mais « à deux par jour par marin, il en faudrait mille par bateau, soit plus de 20 000 pour l’ensemble des thoniers français ! Où les trouver ? » Il reste plutôt confiant sur la gestion possible à bord en cas de contamination, mais pas si le virus se diffuse :
Nous pouvons confiner un marin seul dans une cabine occupée normalement par deux personnes. Mais c’est s’il y a plusieurs cas que cela peut devenir problématique.
Tester les marins avant départ ?
C’est l’une des questions posées par les Organisations de Producteurs de thoniers senneurs lors de la réunion en visioconférence avec les services de la DPMA le 15 avril. Pourraient-ils faire passer des tests de dépistage à chaque marin avant le départ ? Ce serait peut-être la meilleure manière de se prémunir d’un premier cas qui deviendrait difficile à gérer à bord une fois à plusieurs jours de route du port d’attache. Quitte à les prendre en charge eux mêmes financièrement.
Avec aussi une autre incertitude :
Car comme tous les autres patrons thoniers, tous deux n’ont pas envie de connaître la mésaventure du porte-avion Charles-de-Gaulle et être contraints de faire demi-tour.Pourrons-nous éventuellement débarquer des malades sur Malte, en Italie ou en Espagne si nous le devions ?
Le risque d'une campagne tombant à l'eau
Le risque de la contagion humaine se double en effet d’un risque économique : en cas de contagion au large et de mise en quatorzaine, que deviendraient les tonnes de thons pêchées ? Devrait-on les détruire ? Et rater une campagne, c’est rater la saison explique Martial Lubrano, autre patron de trois thoniers sur Sète :
Le thon rouge est un animal migrateur. Si on décale la campagne sur une zone de passage identifiée où les thons n’y sont qu’un mois à un mois et demi, c’est fini ! On ne pêchera rien pour cette année !
Des observateurs internationaux observés
Par ailleurs, est embarqué à chaque campagne à bord de chaque thonier un observateur international chargé de surveiller le respect des règles de pêches et de quota attribué à l’armement tels que définis par l’ICCAT (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique). Or cet observateur doit être d’une autre nationalité que celle du pays d’armement du bateau. Avec là aussi une incertitude, pour Pierre Fernandez :
De la même manière, un test de dépistage est réclamé en préambule au même titre que ceux envisagés pour l’équipage.On ne sait pas si nous aurons des observateurs espagnols, pays fortement touché par le coronavirus, ou d’autres nationalités comme italienne, là aussi avec la pandémie. Et avec quelles situations et règles sanitaires en cours dans le pays de l’observateur ?
Et pourront-ils vendre ?
Les 22 thoniers senneurs de la Méditerranée française, dont vingt sont basés en Occitanie, vont avoir droit à un quota de pêche global de 5.363 tonnes sur les 6.026 tonnes de thons rouges attribués à l'ensemble de la flotte française, Atlantique compris.
Si les conditions sont bonnes, « 10, 15 jours de pêche suffiront, sinon on restera un mois s’il le faut » explique Pierre Fernandez. Ensuite ses thons seront remorqués dans des cages à l’aide d’un chalutier jusqu’au sud de l’Espagne où ils seront transférés dans une ferme avant de rejoindre le Japon.
Avec là aussi cependant une incertitude, comme pour tous les thoniers : les acheteurs pourront-ils prendre la mer et venir récupérer les cages et les thons ?
En attendant de prendre la mer, les équipages ont déjà commencé la révision de la coque et des filets. Comme si l'horizon était au beau fixe pour cette campagne de plusieurs semaines en haute mer aux grandes incertitudes.
Cybèle Plichart et Franck Detranchant en ont rencontré certains voici quelques jours dans le port de Sète (34) pour faire le point sur les préparatifs et aussi sur l'état de santé du thon rouge en Méditerannée :