Occitanie : pourquoi la réorganisation de La Poste passe mal

A Miélan dans le Gers, des factrices ont fait l'année dernière plus de 3 mois de grève. En Aveyron, à Cassagne-Bégonhes, une médiation est en cours car la majorité des facteurs ont déposé les sacoches mi-décembre. Pourquoi ces conflits à La Poste en milieu rural ?

Les postiers de la petite commune aveyronnaise de Cassagnes-Béghonès sont en grève depuis la mi-décembre 2019. Ils sont actuellement en négociation avec leur direction sous la houlette de la sous-préfète de l'Aveyron. Objet du conflit : la réorganisation du site.

A Miélan, dans le Gers, quatre factrices ont fait plus de trois mois de grève l'année dernière. Elles se disaient pressées comme des citrons et en danger sur les routes. 
 

Pourquoi ces conflits ? Une déléguée du syndicat CGT, porte-parole des facteurs grévistes de Cassagnes-Béghonès et un représentant de la direction de La Poste en Occitanie exposent les arguments des deux parties.

Des contraintes calculées par des ordinateurs

Pas de doute pour Laurence Cahors de la CGT, la problématique est nationale. La direction "rentre tout un amas de données sur les facteurs dans des ordinateurs. Le nombre de boîtes aux lettres desservies, le nombre de recommandés à l'année, avec ou sans accusé de réception, les colissimos, etc. Et avec ça, ils calculent la charge de travail à la journée".

C'est ce procédé qui ne va pas, estime la salariée. "Ils travaillent sur des moyennes alors que le trafic fluctue au jour le jour. En plus, on n'est pas d'accord avec les normes qu'ils fournissent. Une minute 30 pour distribuer un recommandé !" . La syndicaliste explique :

En milieu rural, il faut le temps de se garer dans la cour, de chercher la personne, qu'elle trouve ses lunettes, son stylo. Ils trouvent des charges de travail bien inférieures à ce qu'on a, nous, au quotidien.


Baisse du courrier de 50%

Olivier Marçais de la direction de La Poste en Occitanie justifie les réorganisations dans les sites par des questions de cohérence et d'équité. "Il y en a tous les 2 ans en moyenne. On s'adapte à l'évolution des flux. A Cassagnes-Bégonhès, la distribution n'avait pas été réorganisée depuis 12 ans or il y a eu une baisse de 50% du courrier".

Parallèlement, l'e-commerce se développe de 9 à 10% chaque année, explique le cadre. Ce qui veut dire de plus en plus de colis. "Mais depuis 3 ans, Amazon par exemple a ouvert sa propre plateforme logistique à Toulouse. Les géants de l'e-commerce procèdent ainsi : ils distribuent là où ça rapporte". Entre un colis livré à Toulouse et un autre à Aspet, le rapport est de 1 à 20 en terme de coût.
 

Montée en puissance de l'e-commerce

"Or nous avons la mission de livrer tous les habitants. Les gens font confiance à La Poste. Mais cette évolution, le fait que les courriers des particuliers ne représentent plus que 3% des envois, la forte concurrence de l'e-commerce ont des impacts sur notre activité". 

Les facteurs grévistes ne remettent pas en cause la baisse du volume de courrier. "C'est vrai sur le courrier de particulier à particulier. Mais on a parallèlement une augmentation des objets suivis, des petits et gros colis, ça demande plus de temps. On a aussi une augmentation de la publicité non adressée. Et puis, en milieu rural, la presse aux abonnés, c'est nous".
 

"Les kilomètres, c'est incompressible !"

Laurence Cahors estime que la direction de La Poste se contente de prendre en compte la baisse de courrier. "Mais il nous faut faire les kilomètres", s'insurge-t-elle. "Comme on a des tournées de 80 à parfois plus de 130 kilomètres. Si on a de la presse, par exemple, c'est le même parcours. Les kilomètres, c'est incompressible !"
 

Une donnée que ne nie pas Olivier Marçais. Mais pour lui, les levées de bouclier médiatisées ne reflètent pas la réalité du climat social.

On est 18.000 en Occitanie avec 7800 facteurs et 300 sites. En 2019, 90 sites ont connu une nouvelle organisation. Or, les effectifs en grève ont représenté 0,2%". Olivier Marçais, La Poste.

 

"J'ai pas le temps, je m'arrête pas !"

Pour la direction, le conflit n'est pas la norme, loin de là. "On a systématiquement un calendrier de 8 mois de négociations pour arriver à une nouvelle organisation avec instances, plénières, commissions techniques, commissions paritaires. Nous travaillons pour l'équité entre les facteurs sur une base de 35 heures rémunérées. Nous sommes toujours ouverts au dialogue".

Les normes, toujours les normes... réplique en substance la déléguée CGT pas du tout convaincue. "Ils calculent, par exemple, une vitesse moyenne de 70 km/h. Mais toutes ces données chiffrées ne sont pas la réalité. Il y a des personnes en milieu rural qui ne voient que le facteur dans la journée. Elles nous attendent à la boîte aux lettres. On a un rôle social qui n'est pas quantifié. Or nous, on a ce souci. C'est difficile de dire à cette personne "j'ai pas le temps, je m'arrête pas !"
 

1 boîte aux lettres = 1 facteur

Olivier Marçais répond que la direction est sur ce terrain-là justement. "L'enjeu pour nous est de maintenir un facteur en face de chaque boîte aux lettres. Le courrier est essentiellement économique aujourd'hui (gestion, marketing, factures) alors on déploie des stratégies pour développer le rôle social du facteur avec la distribution de repas, la fonction de vigie quand ils passent au domicile des personnes âgées". 

"Les gens ont besoin de proximité, de services humains. Qui mieux que le facteur pour assumer ce rôle ? On lui ouvre sa porte. On lui fait confiance et il est présent 6 jours sur 7. Mais on a encore du mal à instaurer cela : on a une moyenne de 2 à 3 services par semaine, par facteur. Il en faudrait 2 à 3 par jour".

"Cela nous pénalise moralement"

Pour les facteurs grévistes, cette évolution se fait au détriment du coeur de métier. Ils déplorent une perte de qualité de service, qui pèse sur le facteur car c'est lui qui essuie les reproches. "Il manque du monde, explique Laurence Cahors. Plein de gens sont partis. On assume une charge de travail plus importante. Des tournées ne sont pas faites".

"Pour nous, c'est la double peine : les usagers se plaignent à nous. Quand ils ne nous voient pas passer pendant 1 ou 2 jours, ils râlent... ça nous pénalise moralement".

Autre objet de vindicte : les nouveaux horaires. Les facteurs vont devoir faire une pause de 3/4 d'heure entre 12 et 14h pour déjeuner. Une disposition qui fait grincer des dents Laurence Cahors. "Ils ne se sont jamais préoccupés du fait qu'on pouvait manger ou pas mais maintenant, c'est une priorité !" ironise-t-elle.

"Clients" ou "usagers" ?

La déléguée du personnel voit dans ce changement un tout autre motif : "ils veulent qu'il y ait un choix d'horaires plus large pour ceux qu'ils appellent les clients et nous les usagers. Le courrier arrive de plus en plus tard car on a supprimé des trains et des avions. Et on a construit des plateformes immenses qui trient le courrier loin des bureaux... ça prend du temps ! Nous dans l'Aveyron, on a notre courrier trié à Castelnau d'Estrétefonds près de Toulouse".

La factrice n'est pas optimiste. Elle pense que des aggravations vont encore survenir.
Pour la direction, les tensions sociales au sein de la société pèsent lourdement dans les affrontements. "On se retrouve parfois au coeur de conflits idéologiques. Des grévistes se font porte-étendard du maintien des services publics en milieu rural. On mélange tout. Nous, ce qu'on essaie de faire, c'est au contraire de pérenniser le rôle du facteur".

Difficile de concilier deux points de vue si différents sur l'organisation de La Poste. Une entreprise qui conserve quoiqu'il en soit aux yeux de ses "clients" ou "usagers", un fort capital-sympathie.

 
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