En janvier 2020, la plaque d'identité militaire du soldat Antoine Salvat a été retrouvée en Pologne près de la frontière allemande. L'auteur de cette découverte, un Polonais passionné d'Histoire, vient de retrouver les descendants de ce prisonnier de guerre évadé en 1945.
Il aura fallu 15 mois à Lukasz Jaszczyk pour que sa découverte prenne tout à coup vie. En janvier 2020, ce passionné d'Histoire polonais découvre cette ancienne plaque militaire avec pour inscription "Salvat Antoine 1936" d'un côté et de l'autre "Perpignan 564". "J'ai trouvé cette médaille tout à fait par hasard, je ne faisais aucune fouille." raconte Lukasz Jaszczyk. "Nous étions en train de rénover le plancher d'une grange pour le surélever et tout est tombé. Elle était partiellement enfouie dans le torchis fait de terre et de paille qui se faisait à l'époque. J'ai tout de suite reconnu une plaque militaire de soldat."
Le soir, j'ai regardé sur Internet et vu que Perpignan se trouvait au sud de la France. J'ai voulu savoir qui était Antoine Salvat et son histoire de militaire
Un appel lancé sur les réseaux sociaux
Avec la piste perpignanaise, il tente de retrouver une trace de la famille Salvat en Pays catalan, mais les Salvat sont pléthore. L'aide de l'Ambassade de France à Varsovie n'apporte aucune réponse. Il contacte alors le journal l'Indépendant, mais en vain jusqu'au 9 avril dernier où il poste un message avec la photo de la plaque sur le groupe Facebook de "Perpignan & Pyrénées-Orientales", un groupe privé qui partage toutes sortes d'événements sportifs et culturels dans le département.
Aussitôt, Jérôme Parilla, responsable du Souvenir Français à Ille-sur-Têt, se passionne pour cette histoire. Cet officier de réserve et féru de généalogie connaît quelques Salvat dans ce coin du Ribéral. " Sur la plaque est mentionnée Perpignan. C'était sûr que le soldat Salvat avait été recruté là. Et la date de 1936 correspondait à sa classe d'âge et par conséquent, il était né en 1916. Donc aucune chance qu'il soit encore en vie.
Cela m'a pris à peine trois quarts d'heure pour retrouver un de ses fils, Gérard qui vit à Néfiach, dans le village à côté. Il m'a bien confirmé que son père s'appelait Antoine. Qu'il avait été prisonnier de guerre au fin fond de l'Allemagne pendant toute la 2e guerre et qu'il est mort en 1978 à l'âge de 62 ans. Tout correspondait.
Le passé refait surface
Gérard, 74 ans, est le deuxième enfant d'une fratrie de six. Aujourd'hui, il ne reste que lui, sa soeur Andrée et son frère Marcel." Quand Jérôme Parilla m'a appris la nouvelle. Cela m'a fait un choc. Car tous ces souvenirs ont refait surface. À la maison où nous vivions à Néfiach, mon père parlait peu du temps où il était prisonnier en Allemagne. Il avait beaucoup souffert des conditions de vie. Il ne mangeait pas à sa faim et travaillait tous les jours dans une ferme car avant de partir à la guerre, il était ouvrier agricole.
Alors cette plaque représente beaucoup pour notre famille car c'est en Allemagne que mon père a rencontré ma mère
Le soldat Antoine Salvat est mobilisé en septembre 1939, dès la déclaration de guerre avec l'Allemagne. Il fait partie du 25e bataillon de Chasseurs Alpins basé à Menton. Mais en juin 1940, le bataillon est écrasé par les Allemands. Le 6 juin, le soldat Salvat est fait prisonnier près de Forbach en Moselle. Il est alors transféré au Stalag 3B, un camp de 170 prisonniers de guerre situé à Fürstenberg-sur-Oder aujourd'hui la ville d’Eisenhüttenstadt, collée à l'actuelle frontière avec la Pologne. Il y sera incarcéré jusqu'au début de l'année 1945.
Andrée Verdaguer, 73 ans, vit à Ille-sur-Têt. Mais elle n'a appris la nouvelle de la découverte qu'il y a seulement quatre jours. Avec le frère aîné, le courant ne passe pas trop bien en ce moment.
C'est sa nièce Sandrine qui l'a informée après lecture d'un article dans la Presse locale. "J'ai eu tout de suite un pressentiment qu'il pouvait s'agir de mon grand-père. Cela m'a donné les larmes aux yeux et m'a fait revivre le souvenir de ma mère décédée en 1989. Annie était l'ainée.
Et ma mère avait été conçue en Allemagne alors que ses parents étaient prisonniers. Alors cette plaque retrouvée là où mes grand-parents avaient vécu, c'est un lien énorme pour moi. Quand j'ai parlé de ça à ma tante Andrée, toutes les deux nous avons pleuré
Sa tante Andrée Verdaguer n'en revient toujours pas. " Je n'en dors plus depuis trois jours. Cela me travaille. J'étais si proche de Papa. Quelquefois, il se confiait à moi et me racontait en aparté des bribes de son passé en Allemagne. Il avait rencontré Maman dès 1943 quand elle fut déportée politique à l'âge de 16 ans tout près du Stalag III B où il était en captivité. Elle s'appelait Katerina Rochtchoupkina. Elle venait d'Ukraine où ses parents avaient été tués. Sa soeur Anna avait été arrêtée elle aussi par les Allemands et elle n'a jamais plus eu de ses nouvelles. C'était très dur pour ma mère. Elle travaillait elle aussi dans les champs par tous les temps sous l'oeil des gardiens armés. Elle avait très froid.
C'est certainement dans une ferme que mes parents se sont connus. Ma mère ne mangeait que le soir, un bouillon très clair d'épluchures de légumes et un morceau de pain. Souvent, elle était battue et humiliée. Les gardiens la rudoyaient. Ils étaient cruels. Elle ne pouvait pas en parler
et de poursuivre : "Je me souviens que dès que quelqu'un criait à la maison elle se recroquevillait dans un coin et devenait toute rouge. Cela lui faisait remonter des moments atroces pour elle."
Tuer pour survivre
Alors pour Andrée, cette plaque est le symbole de la liberté retrouvée de ses parents.
" Je sais que mon père avait tenté sans succés de s'échapper durant sa captivité. Mais en janvier ou février 1945, mes parents se sont fait la belle ! Je suis persuadée que c'est mon père qui s'est séparé de sa plaque militaire pour ne pas être identifié au cas où il serait repris. Je ne sais pas dans quelles conditions ils avaient réussi à s'échapper de la surveillance des Allemands, mais je sais qu'ils étaient poursuivis. Cela a été éprouvant pour tous les deux, car le jour il fallait se cacher et marcher la nuit. Tout ça en ayant faim et froid. C'est là qu'il m'a confié quelque chose de très dur.
Comme ils volaient de la nourriture dans les fermes, un jour, ils ont été surpris par une jeune Allemande. Et pour ne pas être dénoncés, mon père a dû l'étrangler. C'est affreux, mais c'était ça ou leurs propres vies. Les Allemands les avaient fait tant souffrir. Durant toute sa vie, ils n'a jamais pu supporter les Allemands
Deux à trois mois plus tard, Antoine et sa future épouse arrivent à la gare de Perpignan, le 6 mai 1945 . C'est son cousin germain René Chibaut qui est venu les chercher. " Le cousin m'a raconté que mon père pesait alors à peine 40 Kg. Pourtant à 29 ans, il aurait dû être en pleine force de l'âge, lui habitué aux travaux agricoles" se souvient Marcel Salvat, 70 ans, le jeune frère. Il vit lui aussi près de Perpignan à Baho.
Ma mère était aussi toute maigre, mais avec un ventre tout rond. Elle était enceinte de ma soeur ainée Annie. Et tous les deux se sont installés à Néfiach chez ma grand-mère. C'est avec elle que ma mère a appris à parler catalan. Ils se sont mariés en juillet puis ma grande soeur est née la même année
Le comble, c'est que peu de temps après son retour, mon père a été re-mobilisé un temps pour déminer la côte entre Argelès et Port-Vendres." conclut Marcel.
Retour en pays catalan
En 2009 Catherine - elle avait francisé son nom - décède. Avant cela, en 2000, avec l'aide de son fils Marcel et de sa belle-fille Yvette, elle constitue un dossier comme déportée politique en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale. Elle sera indemnisée par l'état autrichien pour la modique somme de 800 euros.
Si la crise sanitaire le permet, la plaque d'identité militaire d'Antoine reviendra en pays catalan dès cet été. La municipalité de Néfiach et le Souvenir Français 66 organiseront une cérémonie officielle. Lukasz Jaszczyk pourra alors remettre en mains propres sa précieuse trouvaille, le trait d'union de la famille Salvat.