Jeanne Uwimbabazi est infirmière à Toulouse. Elle est aussi un témoin de l'Histoire. Rescapée du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, elle a organisé avec son association une cérémonie d'hommage pour les 25 ans du massacre, le 7 avril. Pour que cet épisode funeste ne soit jamais oublié.
Ce dimanche est un jour particulier pour Jeanne Uwimbabazi. Cette Toulousaine est infirmière depuis 15 ans, mais pas seulement. Elle est aussi l'un des grands témoins d'un pan meurtrier de l'Histoire. Elle a vécu, dans sa chair, le génocide des Tutsis au Rwanda, d'avril à juin 1994. Le 7 avril, elle commémorera, lors d'une cérémonie d'hommage organisée par son association, les 25 ans du début de ce massacre, qui a fait plus de 800 000 victimes.
Les deux tendons sectionnés
Il y a 25 ans, Jeanne avait 16 ans. Elle était la petite dernière d'une famille de cinq enfants, et vivait dans le quartier de Kicukiru, à Kigali, la capitale. Elle appartenait à cette communauté ethnique appelée Tutsis, une minorité discriminée par le gouvernement de l'ethnie Hutu. Le 6 avril, le président décède dans un attentat. Le lendemain, les Tutsis se retrouvent à la merci de la barbarie des extrémistes.Le 11 avril, quatre jours après le début des massacres, alors qu'elle s'était cachée pour échapper aux milices Hutus, Jeanne est attaquée et laissée pour morte, dans un champ. Elle s'en sort en vie, les deux tendons sectionnés, un coup de machette dans la nuque. Ses proches n'ont pas eu cette chance. Ses deux parents, deux de ses sœurs et d'autres membres de sa famille ne s'en sortiront pas.
Une famille d'accueil albigeoise
Miraculeusement sauvée par les militaires du Front Patriotique Rwandais (FPR), elle est soignée sommairement sur place, avant d'être transportée en France par Médecins du Monde, avec les enfants les plus gravement blessés. Elle a été opérée gratuitement par un chirurgien à la clinique de l'Espérance à Albi, avec qui elle garde aujourd'hui contact.Placée dans une famille d'accueil albigeoise, elle fera son collège à Cordes-sur-Ciel, son lycée à Montauban, avant d'apprendre son futur métier à Sète. Elle est revenue ensuite s'installer avec son mari en banlieue de Toulouse, en bord de Garonne. Elle a aujourd'hui deux enfants, de 3 ans et demi et six mois.
Peu importe le nombre d'années passées, la douleur est toujours là. "Je pensais que 25 ans après, le temps aurait fait son effet. Mais les souvenirs sont toujours aussi vifs", confie-t-elle. À 41 ans, Jeanne peut être fière du chemin parcouru depuis l'horreur, de son travail qui lui plaît, de sa famille qui s'agrandit. Et pourtant.
Sa plus grande victoire ? "Me dire que finalement, ils n'ont pas réussi", souffle-t-elle, le regard doux posé sur son fils qui gigote sur son tapis d'éveil, dans son appartement toulousain.Quand on a vécu une telle barbarie, quand on a perdu autant de gens qui avaient tant de rêves, on a une soif de vivre et d'accomplir des choses... On voudrait vivre mille vies.
L'urgence de témoigner
Si Jeanne a choisi la voie de soignante pour se rapprocher des gens, elle admet aussi que son histoire n'est pas étranger à son choix de carrière. "Ma mère, de son vivant, nous disait toujours qu'elle aurait voulu que l'une de ses filles puisse la soigner lorsqu'elle sera vieille." Mais leur condition de Tutsi empêchait ses filles d'accéder à ce type de formation.Aussi loin que remontent ses souvenirs, Jeanne a tout de suite voulu témoigner, après le choc.
Son association, Diaspora Rwandaise à Toulouse, organise une commémoration chaque année pour poursuivre ce travail de mémoire. Elle s'est battue pour l'installation d'une stèle en hommage aux victimes, finalement installée en 2014, dans le jardin Raymond IV, à Toulouse. Cette année, des représentants de la mairie et de la région seront présents.Ce que j'ai vécu ne m'appartient pas à moi, ni seulement à tous ceux qui l'ont vécu. J'ai été victime d'un crime contre l'humanité, donc l'humanité doit savoir.
Outre la mémoire de ce lourd passé, Jeanne souhaite transmettre aux autres une volonté de "toujours garder éveillé un certain esprit critique". Pour elle, la propagande diffusée par le régime Hutu est à l'origine de ce que les victimes ont vécu. Pendant des années, elle est intervenue dans les écoles et lors de conférences pour se battre contre ces mots qui véhiculent la discrimination, qui sont "la source des malheurs du monde".
Une bataille pour la justice
"La tâche est encore immense pour les générations futures", prévient la rescapée. Les survivants du génocide se battent aujourd'hui pour que la justice avance enfin sur les nombreuses affaires en cours contre les responsables et les complices du génocide encore en vie. En France, la première condamnation n’a eu lieu qu’en 2014, et seulement deux ont suivi. Aujourd’hui encore, 25 dossiers sont en cours d’instruction. "On veut que ça bouge, il n'y aura pas de reconstruction du Rwanda sans la justice", prévient Jeanne.Jeanne espère aussi que la France finira par ouvrir ses archives, qui sont toujours pour la grande majorité sous le secret-défense. C'est l'un des combats qu'elle mène et mènera aussi dimanche, mais aussi après, pour que les victimes de la barbarie ne restent pas oubliées.
Programme de la cérémonie de commémoration
- 10 heures : Rassemblement devant le monument aux morts
Départ d’une marche silencieuse vers la stèle érigée à la mémoire des victimes
- 11 heures : Cérémonie en hommage aux victimes
. Accueil Jeanne Uwimbabazi
. Une minute de silence
. Discours des officiels de la région Occitanie, de la mairie de Toulouse et des Associations qui œuvrent pour la mémoire et la justice (l’amicale des Arméniens Toulouse, le CRIF; le mémorial de la Shoah, l’association survie Midi-Pyrénées)