Révélations sur la riche femme d’affaires chinoise "sans qui le Festival des lanternes de Gaillac n’aurait pas eu lieu"

Enquête sur Jing Liu, cette Chinoise impliquée dans l'arrivée du Festival des lanternes à Gaillac (Tarn). Condamnée en Chine et ayant changé d'identité, cette riche femme d’affaires a demandé la nationalité française avec l’appui d’hommes politiques locaux.

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En trois ans et plus de 600 000 visiteurs, le spectacle de représentations chinoises du Festival des lanternes est devenu un évènement incontournable et une vitrine médiatique pour la petite ville tarnaise de Gaillac. En ce mois de janvier, le flux de visiteurs venus déambuler dans les allées du parc Foucaud confirme son succès.
 
Jing Olivier, elle, n’a jamais cherché à s’exposer. Au contraire, la femme d’affaires a toujours choisi d’être aussi discrète et silencieuse que le Festival est flamboyant et spectaculaire. La Chinoise de 49 ans (elle est née le 16 mai 1971 à Zhejiang), coupe au carré et petites lunettes sur le nez, a pourtant joué un rôle central dans les coulisses de cette réussite.
 

Sans elle, il n’y aurait pas eu le festival des lanternes à Gaillac

répètent inlassablement ceux qui ont eu la chance de croiser sa route.

D’ailleurs, selon plusieurs témoignages, à la veille de la première édition du spectacle, en 2017, le maire de Gaillac, Patrice Gausserand, a remercié publiquement "Jing Olivier, celle sans qui cet événement n’aurait pas pu avoir lieu. "
 

Une "amoureuse de la culture française"

"Elle a fait jouer son réseau relationnel en Chine qui est très très fourni", témoigne l’un de ses proches. Grâce à elle, d’importants acteurs institutionnels et économiques chinois ont été impliqués et associés directement au festival. Un acte purement "bénévole et philanthropique", toujours selon cet intime, d’une femme "amoureuse de la France, de ses vins, de sa culture."
  
Les raisons de cette implication à Gaillac sont elles à chercher dans les liens avec Patrice Gausserand. L’ancien communiquant est un ami de 20 ans de Pierre-Yves Olivier, le mari de Jing Olivier. Ils se sont rencontrés lorsqu'ils travaillaient dans le  «monde de la mode. » Le premier s’est lancé en politique tandis que le second vit de ses investissements, essentiellement dans l’immobilier, après une « retraite anticipée » à l’âge de 35 ans
 

L’empreinte de Jing Olivier n’est pas cantonnée au Festival des lanternes. Dans le sillage d’investisseurs chinois comme Casil, qui a racheté l’aéroport de Toulouse-Blagnac, la riche Chinoise a fait des affaires dans le Tarn.

A titre personnel, avec son mari, madame Olivier est devenue propriétaire d’une ancienne école, par l’intermédiaire d’une SCI dénommé La Maîtrise, afin d’y réaliser 34 logements. Elle a aussi acheté le bâtiment d’un bar, pour 220 000 euros, "La Bodega" mais cette fois-ci via la société gaillacoise le Comptoir des bastides.

Plus d’un million d’euros de vin vendu en Chine 

L’achat de cet établissement vaut d’ailleurs aujourd’hui à Patrice Gausserand et à Pierre-Yves Olivier d’être renvoyés devant la justice pour corruption passive et prise illégale d’intérêt (procès prévu le 2 juillet 2020 à Albi). En août 2019, le maire assurait être "serein" face à cette affaire à laquelle il "répondrait point par point sur l'ensemble des faits" en précisant avoir "toute confiance en la justice."
 
Quoi qu'il en soit, durant l’enquête préliminaire ouverte par le parquet d’Albi, l’élu a expliqué aux enquêteurs que l’idée de lancer le Comptoir des bastides était celle de Jing Olivier. "M. et Mme Olivier ont souhaité faire une action pour Gaillac, a-t-il raconté durant son audition en juin 2019. Mme Olivier m'a proposé de l'accompagner pour l'achat de vin sur le Gaillacois. Elle souhaitait développer la vente de vin de Gaillac en Chine. Elle m'a proposé de créer cette société avec elle."
 
La vente de vin de Gaillac sur le marché chinois est d’ailleurs le premier objet de l’entreprise créée en 2015, et réunissant Jing Olivier, son époux, Pierre-Yves Olivier et Patrice Gausserand au sein de l’actionnariat.

Patrice Gausserand actionnaire et salarié

L’homme politique tarnais y est aussi salarié, pour 3500 euros par mois. A ce titre, il s’est occupé durant plusieurs mois de choisir les crus, de les acheter, de remplir les formalités administratives avant que la marchandise ne soit envoyée vers la Chine.
 
En 2015 et 2016, au moins 324 906 bouteilles du Gaillacois sont vendues en quelques mois pour un chiffre d’affaires d’un peu plus d’un million d’euros.
 

Selon Patrice Gausserand, toujours devant les policiers du SRPJ de Toulouse, le Comptoir des bastides ne comptait pour ce commerce qu’un seul client :  "une entreprise qui appartient à madame Olivier (…) basée à Shangai."  "Pour le vin il s'agit de grosses entreprises qui souhaitaient faire des cadeaux à leurs employés, précise également en audition Pierre-Yves Olivier. Nous connaissons des entreprises où il y a 200 000 employés, le marché est gigantesque."
 
Cette activité semble pourtant aujourd’hui révolue. Depuis 2016, le Comptoir des bastides n’a plus effectué d’exportation de vin mais s’est recentré sur l’organisation de spectacles, dont un en Chine.
 
Le projet immobilier de 34 logements et la transformation de la Bodega en restaurant de grand standing quant à eux sont aujourd’hui à l’arrêt. 

Accueillie à bras ouverts par les acteurs politiques locaux

Ces problèmes ne semblent pas avoir eu de conséquences. L’afflux d’argent dans le Tarn s’avère même un véritable sésame pour la femme d’affaire chinoise. Les portes des hommes politiques tarnais se sont ouvertes en grand rien que pour elle.  
 
Mairie. Agglomération. Conseil départemental. Députés. Sénateurs. Les élus locaux sont envoutés par les hypothétiques projets évoqués par les représentants chinois arrivés avec le Festival des lanternes. Une aubaine inespérée pour ce territoire rural fortement impacté au cours de ces deux dernières décennies par la fermeture des mines de charbon du Carmausin ou encore par la chute de l’industrie du cuir dans la ville de Graulhet.
  
De son côté, Patrice Gausserand va s’employer durant plusieurs mois à solliciter les "grands" élus du département. Sa mission est d’aider Jing Olivier à obtenir plus rapidement la nationalité française.

Demande de naturalisation express

Contactés par France 3 Occitanie, le sénateur Philippe Bonnecarère (UDI) se refuse à tout commentaire et le sénateur Thierry Carcenac n'a pas répondu à nos messages.
 
Le député tarnais, Philippe Folliot, rallié à la République en Marche, reconnaît en revanche avoir été sollicité. 

Je l’ai en effet été mais je leur ai conseillé de se rapprocher de Jacques Valax, qui était à l’époque le député de la circonscription de Gaillac. Il était plus logique de faire suivre une quelconque demande dans ce cadre-là. Mais je l’aurais fait avec plaisir, rajoute le président de l’Alliance centriste. Car je le fais régulièrement, pour des personnes réfugiées politiques ou économiques. Le fait que nous recevions des personnes d’un tel niveau paraît un élément éminemment positif.

 
Un intime de madame Olivier assure que :

Jing Olivier n’a jamais demandé la nationalité française. Elle n’avait aucun intérêt à le faire notamment pour ses affaires. La Chine ne reconnait pas la binationalité. Prendre la nationalité française, c’est perdre obligatoirement la chinoise. Ce qui n’était pas son souhait. Mariée en 2015 à Pierre-Yves Olivier, elle l'aurait obtenue automatiquement 4 ans plus tard.  En revanche, elle a demandé un droit de résidence de 10 ans.

Rendez-vous à l’Elysée

Une version qui contredit celle de l’ancien député Valax. Désormais en retrait de la vie politique, Jacques Valax, s’exprime sans détour à ce sujet : "Patrice Gausserand est venu me voir un jour, expose-t-il. Il m’a expliqué que cette femme avait beaucoup investi sur le territoire et qu’il serait bien de lui filer un coup de pouce. Cela m’a paru plutôt normal.
 

Le socialiste arrive à obtenir un rendez-vous à l’Elysée avec l’un des conseillers de François Hollande, alors président de la République. "L’idée était de voir si l’on pouvait essayer d’accélérer le processus de naturalisation de madame Liu, explique-t-il. Le conseiller nous a reçus longuement mais après enquête des services, il a été décidé de ne plus intervenir. J’ai à l’époque transmis un message à madame Liu pour l’en informer. Depuis, je n'ai plus eu de contact avec elle."
 
Car cette enquête va révéler des informations embarrassantes pour la riche Chinoise. Jing Olivier avait été condamnée en décembre 2010 par la justice chinoise pour "détournements de fonds".

Condamnée en Chine

Alors à la tête de Jiangsu Sinorgchem Technology, entreprise spécialisée dans la fabrication de produits en caoutchouc et pesant 2 milliards de dollars, celle que l’on désigne  alors sous son nom de jeune fille, Jing Liu, est sur le point, en 2008, de vendre une partie de ses actions au fonds de pensions américain Carlyle Investment.

20% des parts sociales du groupe industriel (vendus) pour la somme de 37 millions de dollars

selon le propre aveu de Pierre-Yves Olivier devant les membres du Service départemental de police judiciaire de Toulouse.
 
Mais d’anciens dirigeants de Sinorgchem soupçonnent Jing Liu de fraude. Les révélations vont alors s’enchaîner et faire la une de la presse, locale et internationale.
 
Une procédure judiciaire est ouverte. Interpellée et incarcérée durant plusieurs semaines, la femme d’affaire est reconnue coupable de "détournements de fonds" par la justice chinoise en décembre 2010. 

Changement d’identité

En dehors de cette condamnation, ces investigations vont révéler un autre élément troublant : Jing Liu, en possession de deux passeports différents, aurait changé d’identité au début des années 2000 et ne serait pas cette "riche héritière", issue du sérail du parti communiste chinois. Née le 26 septembre 1970 dans la ville de Dongyang (province du Zhejiang) d’une famille d’agriculteurs, son nom serait en réalité Jin Yueyi.
 
Celle que les journalistes locaux vont surnommer "la fermière de Donyang" n’aurait, toujours selon la presse, jamais obtenu le moindre diplôme et devrait son ascension à un puissant patron du régime chinois, un dénommé Xie Mingliang.
 

Des antécédents que son entourage relativise, soulignant le caractère très "spécifique et très différent du système judiciaire chinois". Jing Liu se serait retrouvée "dans une nasse", prise dans "un jeu de pouvoir entre différents clans et personnes qui voulaient récupérer à vil prix tout ce qu’elle avait fait."
 
Patrice Gausserand était-il au courant de cette condamnation et du changement d’identité de son associée au moment de la création du Comptoir des bastides, lors de ses démarches pour l’aider à obtenir plus rapidement la nationalité française et lors du lancement du Festival des lanternes ? Contacté plusieurs fois, le maire de Gaillac, investi récemment par la République en marche pour les élections municipales, n’a pas répondu à nos messages.

Absente de France depuis 6 mois

Suite à cet épisode, Jing Liu quitte la Chine pour s’installer en France, à Paris. Après l’échec du rendez-vous de l’Elysée, elle obtient en 2018 un permis de résidence de 10 ans. Pourtant, la femme d’affaires n’est plus apparue dans l’Hexagone depuis l’été dernier. Une absence pour "raison personnelle" d'après son entourage.

Selon une source sur place, Jing Olivier pourrait être sous le coup d'une interdiction de quitter la république populaire. Le président Xi Jinping a instauré un important climat de défiance vis-à-vis des riches chinois souhaitant s'implanter hors de Chine. Ainsi Xie Mingliang, lui même, fait ainsi l'objet d'une enquête de la justice chinoise.  

Contactés au sujet de sa situation et de son passé, madame Olivier mais également son mari, Pierre-Yves Olivier, l'ambassade de France à Pékin et le quai d'Orsay n'ont donné aucune suite à nos questions.A la veille de la publication de cet article, l'avocat albigeois de Jing Liu, maître Emmanuel Gil, nous a fait parvenir mardi 14 janvier ce message : "Je précise que ma cliente n’est pas un personnage public et qu’elle entend préserver le droit légitime au respect à sa vie privée. J’ajoute, en sus, que Madame Jing Liu n’a, bien entendu, jamais sollicité ni bénéficié de fonds publics et pas davantage du moindre traitement dérogatoire ou de « passe-droit. » Je perçois donc mal l’intérêt d’envisager la rédaction d’un article concernant Madame Jing Liu."

L'implication de madame Jing Liu dans l'organisation du Festival des lanternes, événement concernant directement la mairie de Gaillac ; son association avec Patrice Gausserand au sein du Comptoir des bastides ; la rémunération de ce dernier par cette société, son rôle d'intermédiaire avec plusieurs élus locaux ; l'intervention de ces personnages publics dans les démarches de naturalisation de Jing Liu ; sa condamnation en Chine en 2010 et son changement d'identité sont autant de raisons qui ont poussé la rédaction de France 3 Occitanie à publier ces informations. Elles sont d’intérêt général et relèvent donc de la mission d’information de France Télévisions.

Des éléments prenant d'autant plus d'importance pour le grand public que les investissements chinois en France, comme l'achat et la vente de l'aéroport Toulouse-Blagnac, sont actuellement au coeur de l'actualité.

Nous nous sommes attelés, tout au long de notre enquête, à solliciter tous les acteurs de ce dossier et à ne pas porter atteinte à la vie privée de Madame Jing Liu. Chacune des informations publiées aujourd'hui sont justifiées par le droit à l'information.

La rédaction de France 3 Occitanie prend note de la réponse de maître Gil et reste à la disposition de madame Jing Liu si elle souhaite enfin nous accorder une interview.
 
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