"Libération", menacé, veut rester un journal

"Nous sommes un journal...", sous cette manchette totalement inédite et inattendue, en forme de manifeste, le journal "Libération" menacé par un projet économique stupéfiant, prend ses lecteurs et l'opinion publique à témoin pour dénoncer ce qu'il ne veut pas devenir

Société
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"NOUS SOMMES UN JOURNAL, pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel, pas un plateau télé, pas un bar, pas un incubateur de start-up...". La manchette de "Libé", ce samedi 8 février 2014, pouvait sembler sur-réaliste, évoquer un titre d'oeuvre à la Magritte.

Pourtant, contrairement à ces titres qui font souvent la "Une" de "Libé" et font partie de son image, le titre de ce matin n'était pas un jeu de mot. Ce titre disait seulement la stupéfaction, la sidération même qui a saisi la rédaction de "Libération" quand elle a découvert la veille au soir, vendredi 7 février, le projet de "restructuration" des actionnaires du journal. Un projet dans lequel en effet, "Libé" ne serait plus un journal mais une simple marque industrielle sous laquelle pourrait s'abriter des contenus, objets services monétisables. Pêle-Mêle donc en effet, "un réseau social, un espace culturel, un plateau télé, un bar, un incubateur de start-up ou autres.

Bien sûr, Libération affronte une grave crise financière. Il vient de fêter ses 40 ans dans une ambiance plombée par des années de ventes en chute libre, plusieurs nouvelles formules au succès mitigé et des tentatives de renflouement financier.
Les salariés, les journalistes de "Libé" ne le nient pas. Ils ont à y faire face et font, depuis des mois, avec des annonces de mesures et de plans sévères : réductions de coûts, de moyens, d'effectifs et de salaires. Mais ils se battent. Ils sebattent pour tenter d'obtenir un projet éditorial cohérent, solide, seul capable, aux yeux de ces professionnels, de redonner un sens au journal, donc un avenir.

Il étaient en grève hier, vendredi 7 février, pour pouvoir convaincre leur direction, les actionnaires. Mais dans la journée, ils ont découvert, médusés, le projet préparé par ces actionnaires, les hommes d'affaires Bruno Ledoux, Édouard de Rothschild et le groupe italien Ersel. Et leur sang n'a fait qu'un tour. Car dans ce projet, le siège de "Libération" abriterait désormais un plateau télé, un studio radio, une +news room+ digitale, mais aussi un restaurant, un bar... Nulle mention n'a été faite sur le sort de la rédaction ni sur le montant des investissements nécessaires. Un projet de transformation du quotidien français le plus inventif depuis 40 ans en un "réseau social" dont on ne sait plus très bien ce qu'il serait ou vendrait, sinon une marque industrielle, "Libé".

Alors, dans le numéro d'aujourd'hui, un numéro déja "collector", mais un numéro de combat, assez poignant, ils ont décidé de raconter tout ça et d'alerter leurs lecteurs et l'opinion publique.

Evoquant un "foutage de gueule", les salariés écrivent qu'il s'agit d'"un véritable putsch des actionnaires contre Libération, son histoire, son équipe, ses valeurs". Selon eux, le projet est clair: "C'est Libération sans Libération. Il faut déménager le journal mais garder le joli logo. Ejecter les journalistes mais monétiser la marque".

Sous le titre "Les jours noirs d'un quotidien", les journalistes dénoncent en pages intérieures la volonté "de construire un Libéland, un Libémarket, un Libéworld. Un losange rouge avec rien derrière, dix lettres qui ne signifient plus grand-chose.

Lundi, le 10 février, les salariés de "Libé" seront de nouveau en grève. "Les semaines qui viennent s'annoncent difficiles, mais nous restons unis et déterminés", préviennent-ils.

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