Ma vie avec Jean-Paul Huchon : portrait d'un hédoniste intranquille

 Daïc Audouit a suivi Jean-Paul Huchon pendant ses 17 années de mandat. Le président du conseil régional d'Ile-de-France quittera son fauteuil en décembre prochain. Notre journaliste se souvient de ce parcours commun avec cette question: Jean-Paul Huchon a-t-il été un notable ?

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Jean-Paul Huchon a-t-il été un notable ? Après plus d'une décennie passée à ses côtés, je ne saurai répondre à cette question.

En 1998, je suis un jeune journaliste, sorti de l'école. J'effectue mes premières piges à France3 Ile-de-France. 
Comme petite main, je couvre un peu les élections régionales de cette année là. Ce sera mon premier contact avec le journalisme politique. Mes premières rencontres avec Jean-Paul Huchon aussi.

Depuis, je n'aurai connu que lui à la tête de la région. Il est sans doute l'homme politique que j'ai le plus interviewé après Bertrand Delanoë. Et même si à France 3 Ile-de-France, j'ai en charge la mairie de Paris et la droite francilienne, Jean-Paul Huchon a accompagné ma vie de journaliste. Voici quelques scènes de notre histoire commune.


2008: C'est mon souvenir le plus fort. Une salle de tribunal anonyme. Il attend le délibéré de son appel dans le procès sur "l'emploi fictif" dont il a fait bénéficié sa femme. En première instance, il a été condamné à une peine d'inéligibilité qui signifierait sans doute la fin de sa carrière politique. Il a changé d'avocat et de stratégie. Entouré de son équipe, il est debout, légèrement penché ses deux bras tendus agrippant le dossier d'un banc. Il se balance nerveusement. Je suis assis au fond de la salle. Il se retourne, m'aperçoit et m'adresse un petit sourire triste et désarmé. Le genre de sourire, comme une fermeture éclair qui s'ouvre, et vous met à nu. Un masque d'intranquillité. Il sera condamné mais échappe à la peine d'inéligibilité.

2003 : Nous sommes fin août. Sous un soleil radieux. L'herbe du Domaine de Saint-Cloud est brûlée par la canicule. C'est la première édition du festival Rock en Seine. Jean-Paul Huchon porte une chemise noire et un pantalon beige. Peut-être même qu'un chandail noué sur ses épaules est jeté comme un air de vacances. Il regarde Polly Jean Harvey, mini jupe blanche immaculée et hargne calculée, cracher "Good Fortune". 



Ma caméra le filme. Il se met en mode air guitar et bat le rythme à grands coups de boule et de riffs imaginaires. Il sait que ma caméra le filme et en rajoute. Mais son amour du rock n'est pas feint. A l'époque ce n'est pas encore de notoriété publique. Ce n'est que deux ans plus tard que nous organiserons un débat avec Philippe Manoeuvre sur notre antenne. 

Je croiserai  un peu plus tard Jean-Paul Huchon à un concert de Lou Reed, salle Pleyel. Le chanteur du Velvet rejoue l'album "Berlin". Le président rockeur est juste une rangée devant moi. Il est heureux. Un de ces sourires qui est un choc de simplification contre les sentiments mêlés. "Men of good fortune, often cause empires to fall", entonne Lou Reed. Un masque de béatitude.


1998-2015 : Entre l'intranquillité et la béatitude, il y a les travaux et les jours de la vie politique. Principalement, au siège du conseil régional, rue Barbet de Jouy, une de ces rues du VII è arrondissement, truffées d'ambassades où il n'est guère aisé de se garer. C'est là où se trouve son bureau. L'hémicycle est lui rue de Babylone à une cinquantaine de mètres. Les architectures sont belles et classiques Il s'agit d'anciens hôtels particuliers. Les signes du pouvoir régional sont discrets. Quelques plaques sur les murs, quelques drapeaux. En un coup d'oeil, si vous passez par là, vous comprendrez la problématique de ce conseil régional d'Ile-de-France, institution si adolescente.  Comment exister face à Paris et à l'Etat, si puissants, si glorieux...si installés ? Ce fut tout le combat des trois mandats de Jean-Paul Huchon.

Aucun décorum républicain dans l'hémicycle qui ressemble à une salle de séminaire lambda. Aucune fresque symbolique, aucun bronze ancestral ne viennent égayer cette salle anonyme sans lumière du jour. Au début des années 2000, les portables passent mal. Pour contacter leurs rédactions, les journalistes sont obligés d'utiliser des cabines téléphoniques. Mais, il n'y a pas un urgent tous les jours. La prolongation de la ligne W du Transilien,ce n'est pas la machine à buzz idéale. 

Jean-Paul Huchon nous reçoit à déjeuner de temps en temps. On ne mange ni bien ni mal. Enfin, je ne sais pas. La gourmandise m'importe assez peu. J'ai le souvenir quand même de quelques débuts d'après-midi embrumées par l'alcool. Je me souviens aussi qu'à la fin du repas les serveurs passaient et proposaient  des cigarettes et des cigares comme dans les casinos. Je me souviens aussi que parmi les extras, il y avait Dinah de " l'Ile de la Tentation" et que cela nous émoustillait un peu. 

On y discutait STIF et SDRIF. Rien d'incisif ou de festif. Du jargon de technocrate décentralisateur que Jean-Paul Huchon agrémente d'expressions populaires désuètes. "Tiens fumes c'est du belge", était une des ses favorites. Bien avant Martine Aubry, on lui doit la réintroduction dans le vocabulaire courant de l'expression  "il y a un loup". Ce fut l'un des premiers à émettre des doutes sur l'agression antisémite dans le RER dont se disait victime une jeune étudiante

Jean-Paul Huchon, énarque bonhomme. D'un commerce agréable. Avais-je un notable face à moi dans ces costumes amples cachant une corpulence débonnaire ? Selon les apparences certainement. Mais au fond ? En 16 ans, je n'ai jamais vu un Jean-Paul Huchon sûr de lui et dominateur, arrogant et installé. Est-ce affaire de tempérament ou de contexte politique ? Il faut se replonger dans l'histoire de ces trois mandatures.



1998 : La vraie puissance, celle de l'ombre, Jean-Paul Huchon l'a connu à Matignon comme directeur de cabinet de Michel Rocard. Quand il arrive aux régionales de 1998, c'est une seconde carrière qu'il entame. Certes, il est maire de Conflans-Sainte-Honorine, ville des batellers, héritée de Michel Rocard. Mais, il n'est ni député, ni sénateur. Il n'a pas été ministre. A 52 ans, c'est encore un néophyte dans la carrière électorale. Lionel Jospin est au pouvoir. La région Ile-de-France gouvernée par la droite est associée à des affaires judiciaires. Le fruit de l'alternance est mûr. 



Mais, Jean-Paul Huchon n'est pas le cueilleur en chef. C'est Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'économie qui mène la campagne face à Edouard Balladur. A Strauss-Kahn, les caméras, à Jean-Paul Huchon les salles de meetings pourries au confins de la Seine-et-Marne. Bien sûr, DSK ne sera pas président de la région en cas de victoire, mais celle-ci sera la sienne. Jean-Paul Huchon va s'ajouter à la longue liste de ceux qui deviendront président à la place de DSK. 

Cela ne l' empêche pas de danser le rock, un rituel, au soir du second tour. Jurés de "Danse avec les stars", vous pouvez noter. La choré est à la deuxième minute dans la vidéo ci-dessous.




Un sens de l'équilibre et du tempo qui va lui être utile. Il n'a pas la majorité absolue. Le groupe FN, où on reconnaît Jean-Yves Le Gallou et Marie-Christine Arnautu posent complaisamment devant l'urne lors de la première séance. Genre c'est nous les faiseurs de roi. La suite, on la connaît. Jacques Chirac et Philippe Seguin tapent du poing sur la table. Il n'y aura pas d'alliance RPR/FN en Ile-de-France. La voie est libre pour Jean-Paul Huchon, président ni par défaut, ni par raccroc. Mais président empêché. 

Sans majorité absolue, Jean-Paul Huchon voit chaque année se profiler avec inquiétude le vote du budget pour lequel il doit négocier dur avec ses alliés écologistes. Il peut toujours se consoler en se disant qu'à l'époque, il n'y avait ni Jean-Vincent Placé, ni Cécile Duflot. La tranquillité d'esprit ce n'est pas pour maintenant. 


2004 : "Jean-Paul qui ?", "Jean-Paul H". Jean-François Copé a l'ironie un peu lourde en cet hiver 2004. Wannabe Copé face à Mr. Nobody. C'est le message délivré par le maire de Meaux tout au long de cette campagne des régionales en Ile-de-France. Le coup du mépris et de l'indifférence. Huchon cet inconnu, après six ans de mandat. 

Jean-Paul H réponds par la métaphore du saumon. Il est comme cela Huchon, meilleur encaisseur que puncher. Un édredon se moquent également ses adversaires. Au soir du second tour, Jean Polochon (l'humour de l'UMP est au plus haut en cette période) triomphe sur les ricaneurs. Il devance nettement Jean-François Copé et Marine Le Pen . Pas mal comme tableau de chasse. Mais cette belle victoire est noyée dans la vague rose de ces régionales qui amènera Ségolène Royal aux portes de l'Elysée.



Pour ce deuxième mandat, il a une majorité à gauche pour gouverner. Dégagé aux entournures politiciennes, il peut se consacrer à son grand oeuvre : se faire connaître et faire connaître la région Ile-de-France. Cela tombe bien. La Région hérite vraiment de la compétence transports et prend la direction du STIF (syndicat des tranports d'Ile-de-France). Dans le même moment, Jean-Paul Huchon élabore son shéma régional directeur de la région Ile-de-France (SDRIF). Traduire : sa vision de l'aménagement de la région capitale pour les 20 prochaines années. 

Huchon devient-il  un Georges Frèche, tout puissant, les dérapages en moins ? Pas vraiment. Car pour les transports, il faut compter avec la RATP et la SNCF, entreprises publiques qui ne s'en laissent pas compter par les politiques locaux . Quant à son SDRIF; il percute de plein fouet le projet de Grand Paris initié par Nicolas Sarkozy, signant en force le retour d'un Etat bâtisseur, menace directe pour le pouvoir régional. De cette période finalement, il ne reste peut-être que le nouveau logo de l'institution crée en 2005.
 



Néanmoins, ce sont des années heureuses pour M. le Président. Il impose sa rondeur dans le paysage francilien, y compris grâce au combat politique contre Nicolas Sarkozy. Bertrand Delanoë l'éclipse bien sûr en notoriété, mais sa nouvelle responsable presse se bat comme une lionne pour dégoter des interviews. Patricia Blanchard : efficace, professionnelle et protectrice. 


Quand je rencontre Jean-Paul Huchon ou quand je l'invite à "La Voix est libre", elle est toujours à ses côtés. Veillant à le rectitude d'une cravate, à la justesse d'un tombé de veste, lui donnant les dernières consignes. Evitez le jargon techno et les "fume c'est du belge". Un homme qu'elle magnifie en vantant "sa grande finesse d'analyse" et qu'elle rabaisse, malgré elle, par sa sollicitude de tous les instants. 

Son entourage est alors très féminin, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Un entourage bienveillant pour ce gaffeur, capable de féliciter devant moi une de ses attachées de presse pour la faible longueur de sa jupe, sous le regard un peu désespéré de ses collègues. Huchon, ce grand enfant avec son grand jouet l'ile-de-France. 

J'exagère bien sûr. Mais quelque chose de juvénile se dégage dans sa volonté de faire coïncider ses passions et son action. Rock en Seine, on l'a vu. Le soutien à la production cinématographique. Un sujet très sérieux puisque c'est un secteur économique conséquent dans la région parisienne. Il est néanmoins flatté que les acteurs et producteurs viennent le solliciter. Un déjeuner avec Isabelle Adjani ne se refuse pas. Que celui qui passe son temps à inaugurer des gares RER lui jette la première pierre de ballast. Cela ne suffit pas à faire de lui le dernier nabab. 


Mais l'hiver arrive. Un premier procès, voire le début de cet article, lui gâche cette deuxième mandature. Une troisième campagne régionale sera nécessaire pour devenir le notable ultime. 

2010: Cette année là, sa partenaire de rock sera Cécile Duflot. La It girl de l'année. Les listes d'Europe Ecologie obtiennent 16,5% des voix en Ile-de-France au premier tour. Celles de Jean-Paul Huchon, 25%. Ensemble, ils battront nettement Valérie Pécresse au second tour. Une victoire sur une ministre de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle étoile au palmarès de Jean-Paul Huchon. Mais, le prix du notable de l'année est attribué à ....François Hollande, en route pour l'Elysée. 

Mandatus horribilis ? "Dura lex, sed lex", en tout cas. En 2011, le conseil d'Etat prive Jean-Paul Huchon du remboursement de ses frais de campagne. Soit 1,5 millions d'euro à débourser de sa poche et de celle des élus socialistes. En cause, une infraction aux règles de la propagande électorale. Une campagne d'affichage vantant les transports dans la région  trop proche du scrutin pour être désintéressée  électoralement. Jean-Paul Huchon, victime de son péché mignon : le besoin de reconnaissance. 

S'ensuivent des campagnes de presse sur le train de vie du Conseil Régional d'Ile-de-France, dont s'empare Valérie Pécresse, première opposante féroce qui a fait de la région son objectif politique. La voilà enfin la notabilisation ! Version crépuscule du vieux.  Le baron local qui se croirait tout permis et qui gèrerait sa clientèle à coups de deniers publics. Notable, c'est le mot qui revient aussi à gauche quand on s'interroge sur les chances de Jean-Paul Huchon de l'emporter une nouvelle fois. 

Fuite en avant ou fuite du confort ? Chacun pourra analyser la tentative, avortée, de Jean-Paul Huchon de briguer un quatrième mandat. Moi je pense que c'était une façon de se "dénotabiliser" avec un dernier combat difficile et incertain. Il sera président de la région jusqu'en décembre. Prince qu'on sort de la campagne de Bartolone. Inaugurateur de sa propre épitaphe, il est des positions plus confortables. 

Croulant sous les hommages hypocrites de ses camarades, il va devenir le notable qu'il n'a jamais été. Je serai bien sûr présent à la dernière séance du conseil régional qu'il présidera. Je guetterai la nature du sourire. Triste ou soulagé ? Intranquille ou béat ? On se regardera. Et sans se parler, nous conclurons ensemble la morale de ses dix-sept années de mandat. En région parisienne, la notabilité n'existe pas. 

 

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