Le roman graphique Le rapport W se lit comme un véritable récit d'espionnage avec une évasion à la clé. Sa particularité ? Le cadre de l'action : Auschwitz. Un officier de l'armée secrète polonaise s'était porté volontaire en 1940 pour une mission d'infiltration dans ce camp de concentration.
Le rapport W, c'est le titre du roman graphique de Gaétan Nocq et nom de code du rapport rédigé par Witold Pilecki. Ce dernier ne vous dit rien ? Normal. Les cours d'histoire n'enseignent pas son nom. Et pourtant Witold Pilecki est un des rares Polonais, avec son compatriote Jan Karski, à avoir fourni des informations de première importance sur la politique menée par les nazis dans les camps de concentration en Pologne. Un témoignage oculaire devenu, par la suite, une base essentielle pour le travail des historiens sur la Shoah.En septembre 1940, il est capitaine de cavalerie et membre de la Tajna Armia Polska, l'armée secrète polonaise. Bien que marié et père de deux enfants, il s'est volontairement laissé arrêter au cours d'une rafle à Varsovie et interner à Auschwitz. Son but : collecter des informations et monter un réseau de résistants parmi les prisonniers. Ce qu'il découvrit dépassa toutefois ce qu'il imaginait avant son entrée. C'est son histoire vraie qui est mise en image par Gaétan Nocq dans un roman graphique saisissant, Le rapport W paru aux éditions Daniel Maghen.Numéro 4859
Pilecki reçoit à son arrivée à Auschwitz le numéro 4859. Il restera dans ce camp 947 jours, jusqu'à son évasion le 23 avril 1943. Le premier rapport qu'il fera parvenir à sa hiérarchie pendant son internement contient des informations détaillées sur le nombre d'arrivées et de morts dans le camp et sur l'horreur des conditions de détention. La résistance polonaise transmettra ce rapport aux Anglais dès 1941.Le second rapport que Pilecki rédige après son évasion se révèle tout aussi précis, mais le chiffre de 1,5 millions de prisonniers gazés est reçu comme exagéré. Incrédulité et déni. Le rapport de Jan Karski suscitera les mêmes réactions auprès des hiérarchies militaires et politiques Alliées.Voici Witold Pilecki. En 1940, ce résistant polonais se fait volontairement interner dans le camp de la mort d’Auschwitz. Son objectif : organiser une rébellion et témoigner des atrocités commises par les nazis. Après 947j passés dans le camp d’extermination, il s'évade. pic.twitter.com/BDrj3ASLJH
— Mamytwink (@mamytwink) January 9, 2019
Przypomnijmy o rotmistrzu. Wielki Polak,Wielki Bohater,Wielki Człowiek pic.twitter.com/tAJYSoisgR
— Witold Pilecki (@WitoldPilecki1) January 4, 2014
Un rapport publié seulement en 2010
Pendant l'été 1945, Pilecki décida de mettre par écrit tout ce qu'il avait vu, et envoya son tapuscrit à un général polonais avec lequel il avait eu une longue conversation quelques jours plus tôt, avant de partir pour une nouvelle mission d'information dans la Pologne occupée cette fois par les Soviétiques. Trois ans plus tard, à l'issue d'une parodie de procès politique, Pilecki sera accusé de trahison et exécuté. Il faudra attendre la chute du Mur de Berlin et du régime communiste en Pologne pour que sa mémoire et son honneur soient officiellement rétablis et que son action au cours de la seconde Guerre mondiale soit officiellement reconnue. Son tapuscrit sera publié de manière posthume sous le titre de Rapport Pilecki au début des années 2010. La traduction française de 2014, aux éditions Champ-Vallon, est accompagnée des notes de l'historienne Isabelle Davion.Lorsque le dessinateur Gaétan Nocq prend connaissance de cette publication – l'historienne Isabelle Davion est une amie – il décide immédiatement de l'adapter en bande dessinée :C'est une histoire méconnue, pourtant vraie & incroyable ! Witold Pilecki se laisse interner à Auschwitz afin d’y constituer un réseau de résistance au sein même du camp de la mort... Gaétan Nocq et Isabelle Davion racontent l'histoire de ce héros sur @RFI https://t.co/kssDhHZ67T
— VMDN_RFI (@VMDNRFI) June 20, 2019
Au micro de FranceInfo, Gaétan Nocq ajoute :"J'ai été absorbé par ce récit. J'avais entre les mains une aventure humaine dans un lieu inhumain. C'est un témoignage très fort, qui correspond à ce que je veux développer en bande dessinée : ce tissage entre la petite histoire et la grande Histoire. Et ce récit est d'autant plus fort qu'il est factuel."
"Il se retrouve dans ce camp qui n’est pas encore un camp d’extermination. La solution finale appliquée aux juifs sera mise en œuvre en 1942. Mais dès le début, quand il arrive, dix prisonniers polonais sont pris au hasard et exécutés froidement. C’est un camp de travail où l’on sait que si on ne meurt pas tout de suite, on meurt à la tâche."
Représenter l'indicible
Dans cet album le dessinateur parvient ainsi à rendre palpable l'horreur d'Auschwitz sans montrer une seule scène de torture. Car la nuance du propos se traduit dans le choix des teintes : ocre, bleu et rose. Et en dessinant les personnages et le camp dans une brume fantomatique, Nocq révèle tout ce que le témoignage de Pilecki contient mais ne dit pas : l’ambiance suffocante du camp, le danger permanent, la vie qui ne tient qu’à un fil."Je suis supposé décrire seulement les faits bruts. Mes amis le souhaitent : Plus tu t'en tiendras aux faits en les relatant sans commentaires, plus cela aura de la valeur. Je pourrais essayer. Mais n'oublions pas : nous n'étions pas faits de bois et encore moins de pierre. Nous sentions nos cœurs battre, parfois très fortement, et nos cerveaux continuaient à fonctionner comme en une pensée difficile à saisir mais persistant toutefois à surnager en nous. Dire ce que nous ressentions permettra de comprendre ce qui s'est passé."
Au dessus de l'épaule de W
Le scénario imaginé par l'auteur de BD entend en effet "suivre Witold Pilecki dans le cheminement complexe de sa mission. Être à ses côtés, au dessus de son épaule, mais être aussi dans sa tête. Traduire ses espoirs et ses doutes, évoquer son histoire personnelle, ses souvenirs, ses rêves et ses cauchemars. Raconter ce huis clos comme un voyage, une pérégrination dans l'espace physique mais aussi dans l'espace mental."Le résultat : un album saisissant de précisions et d'émotions. L'ouvrage est complété par un important dossier historique sur le rapport Pileki. Un double travail de mémoire à lire absolument.