Les professeurs tentent de faire travailler leurs élèves à distance mais redoutent un accroissement des inégalités. Selon Jean-Michel Blanquer, l’Éducation nationale est sans nouvelles de 5 à 8 % des élèves.
Deux fois par semaine, Véronique, professeure dans un lycée de Seine-Saint-Denis fait l’appel par mail pour sa classe de seconde. « Je passe plus de temps à faire la pêche aux élèves qu’à travailler », constate-t-elle. Si la majorité des élèves répond présent, rare sont ceux à rendre les devoirs. « J’ai à peu près 10 % d’élèves qui fonctionnent correctement, j’ai les chiffres inversés de ceux de l’éducation nationale ! » plaisante t-elle.
Car selon Jean-Michel Blanquer, l’Éducation nationale est sans nouvelles de 5 à 8 % des élèves. Mais selon le syndicat enseignant Snes-FSU, le chiffre serait bien supérieur par endroits. « J’ai 20 à 30 % des élèves avec qui je n’ai pas de contact », constate Delphine Romagny enseignante au lycée de Vinci à Saint-Germain-en-Laye et secrétaire départementale Snes-FSU. « Au lycée Saint-Exupéry à Mantes et au lycée de la Plaine de Neauphle à Trappes, des enseignants sont aussi autour de 20 à 30 %. Ce sont les plus fragiles qu’on n’arrive pas à raccrocher », poursuit-elle.
Fracture numérique et sociale
A Savigny-sur-Orge dans l'Essonne, difficile aussi de poursuivre les cours à distance. « Ça fait 3 semaines qu’on court après nos élèves !», raconte une enseignante du lycée Corot.Il y a ceux qui ne sont pas très motivés et ceux qui sont dans des situations difficiles : partage d’ordinateur, appartement exigu, problèmes de santé… « J’ai une élève qui m’a envoyé son devoir à 3 heures du matin en me disant: "je suis désolée de vous l’envoyer à cette heure mais on est 9 sur la connexion wifi". », nous raconte-t-elle. « Il y a un accroissement des inégalités ».
Des inégalités qui apparaissent dès la maternelle. « Je ressens vraiment la fracture numérique et culturelle. Il y a des parents qui sont à fond et d’autres un peu perdus. On a des parents qui lisent mal le français donc c'est compliqué de rentrer dans une continuité pédagogique », explique Corine directrice d'une école maternelle dans l'Essonne.
Des élèves difficiles à motiver à distance
Sami, élève en première technologique à Paris reconnaît travailler beaucoup moins qu’en classe. Il met notamment en cause les problèmes d’accès à l’ENT, le site qui permet aux élèves et enseignants d’échanger les documents. « Le problème c’est que souvent on n’a pas accès au site. Du coup, on ne peut pas voir ce que les profs mettent. » Il y a surtout la difficulté d’apprendre seul. « Je préfère les cours en vrai, c’est plus pratique pour se concentrer », explique t-il.Si certains enseignants font des classes virtuelles, beaucoup envoient les cours par écrit. « Je ne suis vraiment pas une geek, je suis dans l’incapacité totale de faire une une visioconférence avec les élèves », explique Véronique, enseignante en Seine-Saint-Denis. « Certains sont trop perdus dans les apprentissages pour travailler tout seul », reconnait Delphine Romagny, enseignante au lycée de Vinci à Saint-Germain-en-Laye.
La FCPE demande l’arrêt des notes
Pour la FCPE, les facteurs de décrochage sont multiples. « Ce sont tous les élèves un peu fragiles qui décrochent, les élèves dont les parents sont allophones, les élèves porteurs de handicap, les élèves de l’aide social à l’enfance », énumère Rodrigo Arenas, président de la fédération des parents d’élèves. Il appelle à cesser de mettre des notes, arrêter Parcoursup et simplifier l’obtention des examens. « On a un ministre qui continue à avancer comme si l’Education nationale était une armée et qu’il fallait avancer coûte que coûte », déplore t-il.Pour tenter de raccrocher les décrocheurs Jean-Michel Blanquer assure qu’un dispositif de soutien gratuit à distance sera mis en œuvre cet été et lors des vacances de Pâques, qui commencent ce week-end pour l'Ile-de-France.