« Dans les années 70, l’inflation profitait globalement aux travailleurs. Aujourd'hui, ce n’est plus le cas… »

En 2023, le taux d’inflation a été de 5,7% en moyenne annuelle selon la Banque de France. La hausse des prix de l’électricité et des produits alimentaires notamment plombe le budget des ménages. Éclairage sur cette hausse des prix avec Jonathan Marie, maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord dont l’inflation est un de ses thèmes de recherche.

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Jonathan Marie, quels sont les mécanismes de l’inflation ?

C’est une question qui anime les économistes depuis longtemps. Certains estiment que l'inflation est la conséquence de l'offre de monnaie : si les prix augmentent c’est qu’il y aurait trop de monnaie dans l'économie. C’est ce qu’on appelle la vision monétariste de l'inflation développée en particulier par l’américain Milton Friedman, très influent dans les années 1970 et 80, dans un contexte où l'inflation était très importante. Pour lutter contre l'inflation on a alors recours à des politiques monétaires restrictives. Les banques centrales augmentent les taux d'intérêt. C’est ce qui a été fait dans les années 1980 et aussi à partir de 2021. Je ne partage pas cette vision. Pour ma part, je pense que l’inflation est toujours, non pas la conséquence d'un excès de monnaie, mais toujours la conséquence de conflits sur la répartition du revenu global.

Qu’entendez-vous par cette notion de conflit ?

Si on observe une augmentation des prix cela signifie que certains groupes économiques cherchent à maintenir ou accroître leurs revenus, et cela peut pousser les entreprises à vendre les biens plus chers si les coûts de production s’élèvent. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela : les travailleurs obtiennent des augmentations de salaires, les charges financières s’élèvent, les coûts des matières premières progressent ou encore parce que l’Etat augmente les impôts. En subissant cette augmentation des coûts et pour maintenir leurs marges, les entreprises augmentent les prix. Parfois, parce que les entreprises craignent moins l’effet de la concurrence et parce que les carnets de commandes sont pleins, les entreprises peuvent chercher à profiter de cette situation pour augmenter les prix et donc les profits réaliser. Ainsi, la cause de l’inflation est toujours un conflit entre acteurs du processus économique. Et la situation actuelle éclaire à mon sens parfaitement cette vision des choses.

 

En 2023, l’inflation a été de 5.7% en France selon la Banque de France. A qui profite-elle ?  

L’inflation ne profite pas nécessairement toujours aux mêmes acteurs. Dans les années 70 avec le phénomène qu’on a appelé « profit squeeze », les salaires ont augmenté plus vite que les prix. L’inflation était dans ce cas-là est alimentée par l’augmentation des salaires, les firmes réagissaient en augmentant les prix, mais cette augmentation était restée inférieure à l’augmentation des salaires.   

Donc dans cette période-là l'inflation profitait plutôt aux travailleurs. Aujourd'hui c'est l'inverse. Les prix augmentent plus vite que les salaires. Sur le plan macroéconomique, l’inflation profite donc plutôt aux entreprises, ou plus exactement, aux propriétaires de celles-ci qui sont rémunérées via les profits réalisés. Cela ne veut pas dire pour autant que toutes les entreprises ont bénéficié d’une amélioration de leur situation.  

Est-ce que l’inflation pourrait être encadrée ?

La politique économique aurait pu être différente. Par exemple, on aurait pu mettre en place des contrôles de prix pour limiter l'inflation, ça a d'ailleurs été fait dans certains secteurs, pour l'électricité par exemple avec le bouclier tarifaire. On aurait pu imaginer que ce mécanisme soit adopté aussi dans d'autres domaines. On aurait pu imaginer que la fiscalité soit utilisée par le gouvernement pour réduire les incitations à augmenter les prix. Il y a eu des effets d'aubaine dans certains secteurs : des entreprises se sont dit « puisque les prix augmentent, profitons de cette augmentation pour augmenter les nôtres ». C’était plus « acceptable » que lors de périodes de stabilité des prix. C’était d’ailleurs tout le débat sur la taxation des superprofits : si le gouvernement avait indiqué qu’il mettait en place une fiscalité sur ces profits anormaux par rapport aux années précédentes, les incitations à augmenter les prix auraient été réduites. On pourrait aussi pu imaginer qu’on encourage les salaires à augmenter par la généralisation de l’indexation par exemple. L’État pourrait lui-même donner l’impulsion via le point d’indice qui permet le calcul des rémunérations de tous les fonctionnaires. On n'a pas du tout favorisé l'augmentation des revenus du travail.

Les plus pénalisés sont les salaires juste au-dessus du SMIC car ce sont des bas salaires non indexés

Jonathan Marie, maître de conférences en économie

Est-ce qu’on peut envisager une baisse des prix selon vous ?

Sur la période actuelle, on peut imaginer que ce taux d’inflation diminue mais ça ne veut pas dire que les prix diminuent. C'est simplement le rythme auquel les prix augmentent qui diminue, c'est ce qu'on appelle la désinflation. Et rien ne garantit que cette désinflation soit pérenne tant l’incertitude qui pèse sur l’économie mondiale est tenace.

Je ne crois pas en revanche à la baisse des prix avec des taux d’inflation négatifs. On ne reviendra pas au niveau des prix que l'on connaissait avant l'inflation qui s’est amorcée en 2021. Certains prix pourraient ponctuellement diminuer dans des secteurs où les prix sont volatiles par exemple le prix de carburant, mais de manière générale, les prix ne vont pas diminuer. L’augmentation de prix enregistrée depuis 2021 a été plus rapide que les augmentations des salaires et il y a des conséquences sur le pouvoir d’achat des gens qui ont un revenu tiré de leur travail.

La désindexation inflation/ salaire date de 1983. En conséquence, les bas salaires sont-ils les premières victimes de la hausse des prix 

Le SMIC bénéficie d'une indexation sur l’augmentation des prix, donc le SMIC a pu augmenter. Les plus pénalisés sont les salaires juste au-dessus du SMIC car ce sont des bas salaires non indexés. D’ailleurs,  de plus en plus de salariés sont ainsi de fait rémunérés au SMIC alors qu’ils bénéficiaient d’une rémunération supérieure au SMIC précédemment. Les chiffres sont impressionnants : selon la DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques), le pourcentage de salariés directement concernés par la revalorisation du Smic au 1er janvier continue d’augmenter en 2023 pour atteindre un niveau historique de 17,3 % (après 12,0 % en 2021 et 14,5 % en 2022). Cela témoigne d’une compression des salaires sur le bas de la grille des rémunérations.

De plus, même avec l'indexation du SMIC et en partie du fait de la façon dont on calcule l'indice des prix à la consommation, les revenus les plus bas et les revenus du travail rémunérés au SMIC, bien qu'ils aient bénéficiés de l’indexation, ont globalement vu leur pouvoir d'achat diminuer car ces rémunérations faibles déclenchent une consommation plus tournée vers les biens alimentaires et de première nécessité notamment pour lesquels les prix ont plus augmenté que l'ensemble du panier de biens sur lequel on se base pour calculer l’inflation.

Quel regard portez-vous sur la période actuelle ?

La façon dont on a répondu à l'inflation était selon moi la pire des façons et ne répond à aucun enjeu de moyen-long terme. L’augmentation des taux d'intérêt par la Banque centrale a eu pour effet de ralentir l'activité économique et on est désormais en quasi récession en Europe, on est en récession en Allemagne par exemple. On crée le ralentissement de l'activité économique donc on génère du chômage, on renchérit le coût du crédit. On l'observe par exemple sur la congestion du secteur immobilier. Les transactions dans l'immobilier se sont largement ralenties. On voit là un effet direct de cette augmentation des taux d'intérêt sur l'économie réelle. On a pris conscience quand même avec la crise Covid, puis avec l'instabilité géopolitique depuis la crise ukrainienne, que nos économies sont excessivement dépendantes des chaînes globales de valeur. Il faut réindustrialiser, retrouver des productions domestiques de certains biens nécessaires, et réellement déclencher la transition. On a donc besoin d'investissements.

Or, répondre à l’inflation en augmentant les taux d'intérêt réduit la capacité de financement des investissements et cela empêche de réduire notre dépendance à l’instabilité globale. Nous avons eu de l'inflation aussi parce que les prix des matières premières ont augmenté. Après le déconfinement, on a eu du mal à resynchroniser les chaînes de valeur : on n’avait plus de puces électroniques pour l’automobile par exemple. Cela a initié l’inflation. Il y avait une demande forte mais la production ne pouvait pas y répondre. L’inflation a aussi sa source dans notre dépendance à la globalisation. 

 

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