Trois anciens dirigeants de Deliveroo sont soupçonnés d'avoir employé en tant qu'indépendants des livreurs qui auraient dû être salariés. Le procès s’est ouvert ce mardi au tribunal Judiciaire de Paris, une première au pénal en France.
L’entreprise est aujourd'hui poursuivie pour travail dissimulé : port de l'uniforme, des créneaux attribués, des attitudes à adopter devant le client ou le restaurateur, imposées aux livreurs sous peine de réprimandes, des sanctions en cas de non respect du rythme de travail...
Une enquête diligentée par les gendarmes de l'Office central de lutte contre le travail illégal, saisis de faits concernant la période 2015-2017 a permis d'établir un "lien de subordination" entre Deliveroo France et plus de 2.000 livreurs qui ne disposaient d'"aucune liberté" dans leur organisation. Selon les enquêteurs, l'entreprise se présente faussement comme une plateforme de "mise en relation" entre clients, restaurants et livreurs, alors que la livraison de repas au domicile ou travail est "l'objet même de son activité".
"Des salariés déguisés"
"On est persuadé de l'infraction. L'enquête pénale a montré les abus de Deliveroo", confirme Maître Kevin Mention, avocat de plusieurs dizaines de livreurs déjà parties civiles dans ce dossier. Il décrit une activité organisée par l'entreprise de livraisons. "Le coursier n'a aucune indépendance", poursuit-il.
Valentin, un ancien livreur qui a sillonné la capitale à vélo pendant 3 ans avant de jeter l'éponge, ajoute : "C'est censé être un job étudiant, flexible, en fait, c'est tout l'inverse." "Dans ce procès, j'attends que Deliveroo reconnaisse le lien de subordination et que l'on était des salariés déguisés."
"Aujourd'hui, c'est le procès de Deliveroo, mais c'est surtout une alerte à toutes les sociétés qui fonctionnent sur le même principe et abusent du statut d'indépendant", a dénoncé Me Kevin Mention.
Flexibilité et sous-traitance
Côté Deliveroo, les anciens dirigeants n'ont pas souhaité s'exprimer avant l'audience. Mais l’entreprise a expliqué devoir recourir à la sous-traitance, faute de disposer "en interne" de personnel à la "technicité" requise et de "savoir-faire particulier" nécessaires à la livraison à vélo. "Deliveroo travaille avec des livreurs indépendants, parce que cela est conforme à la manière dont ils nous disent qu'ils aiment exercer leur activité. Cela leur accorde une flexibilité dont ils ne pourraient pas bénéficier dans une relation salariée", a-t-elle déclaré à l'AFP.
Un statut contesté
Très contesté, le statut d'indépendant des chauffeurs Uber ou des coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois qui ont poussé certains géants du secteur à proposer des compromis. En Grande-Bretagne, le géant américain Uber, visé par une enquête pour travail dissimulé en France, a accordé à ses 70.000 chauffeurs un statut hybride de "travailleurs salariés" qui leur octroie salaire minimum, congés payés et accès à un fonds de retraite, une première mondiale pour la société américaine. Deliveroo a annoncé son intention de quitter l'Espagne, où une loi votée l'an dernier oblige le groupe britannique à salarier ses livreurs.
Le procès de l'ubérisation se poursuit jusqu'au 16 mars au tribunal Judiciaire de Paris.